Les Dépêches de Brazzaville



Zone Franc CFA : la Cémac se démarque et fabrique sa monnaie en terre africaine


 

« La Banque des Etats de l’Afrique centrale (BEAC) envisage d’acquérir, sur fond propres, le matériel destiné au traitement des signes monétaires.  À cet effet, elle invite, les entreprises remplissant les conditions requises, à présenter une offre au plus tard le 1er juillet. L’appel à concurrence est subdivisé en deux lots indépendants. Le premier concerne 600 rouleaux de feuillards synthétiques siglés « BEAC » […] Le second lot concerne 54 machines à cercler les billets de banque, et le Dossier d’appel d’offres (DAO) doit être rédigé en français et retiré au siège de la BEAC, moyennant le paiement d’un montant non remboursable de 100 000 FCFA par lot ou l’équivalent dans une monnaie librement convertible », selon un communiqué.

L’appel d’offre annonce la fin de l’impression des billets FCFA de la zone Cémac à Chamalières, une bourgade dans la région de Clermont-Ferrand en France. Jusqu’ici des droits de tirage étaient reversés à l’Etat français. Ceci va bouleverser la politique française d’émission qui date des lendemains des indépendances africaines. La décision d’imprimer les billets de banques en terre africaine va permettre de faire des économies sur les frais et droits de tirage, et de créer des emplois dans l’espace Cémac.

Une autre étape doit être franchie

Faire de la BEAC l’agent opérationnel de la politique monétaire en Afrique centrale avec  la prérogative de définir et conduire la monnaie de manière indépendante libre et autonome, sans la garantie de la France et sans sa présence dans le Conseil d’administration pour que les Etats de la Cémac prennent entièrement en main leur destin. Selon l’article 29 des statuts de la BEAC, la Banque compte 14 administrateurs à raison de 2 administrateurs par pays (12 administrateurs (6 pays CEMAC) + 2 administrateurs français). Rappelons que les deux administrateurs français ont un droit de veto.

René Pleven, signataire du décret du franc CFA, le 26 décembre 1945 doit se retourner dans sa tombe. Ce décret permet à la France de décider de la quantité d’argent à injecter dans le circuit économique de ses ex- colonies indépendantes depuis les années 1960. Les Africains considèrent cette monnaie de « servitude ». Or la France affirme soutenir le franc CFA en tant que « pays riche », et garantir sa convertibilité, donc sa crédibilité (référence J.O.F n°3 du 15 avril 1970, p.186 alinéa 5 : « La coopération monétaire doit permettre aux pays d’Outre mer d’avancer plus vite qu’ils ne pourraient le faire seuls ».

L’ancien ministre ivoirien des Finances,  Mamadou Koulibaly  disait: « Bien que la gestion de cette monnaie ait été confiée à des banques centrales communes, ces banques n’ont d’africain que le nom. En réalité, elles n’ont aucun pouvoir et ne sont rien de plus que de gigantesques institutions bureaucratiques qui ne décident pas des politiques monétaires. Elles sont là pour faire croire aux pays de la zone franc qu’ils sont maîtres de leur destinée ». Une nouvelle étape vient d’être franchie.

Espérons que les Etats de la Cémac n’auront plus à verser au Trésor français 50% de leurs ventes à l’exportation, que la fuite des capitaux provenant du commerce extérieur et les devises issues reviendront dans la zone. La révélation venait de l’actuelle directrice générale du FMI Christine Lagarde, ex-ministre de l’Economie, avant le sommet de la zone franc au Tchad en avril 2010. On sait que la question de la monnaie est indissociable de la question de la démocratie, de l’indépendance et d’un État de droit, on sera attaché à voir les pays de la Cémac se « responsabiliser » rapidement, grâce à une « autonomie et une indépendance monétaires progressives » et ainsi s’occuper de l’intérêt des populations et la maîtrise de leur développement, tout en gardant de très bonnes relations avec la France, des relations d’égal à égal.  

Grâce à leurs atouts conjugués, les Etats de la Cémac doivent se montrer à la hauteur de supporter le poids de leur développement en décidant désormais de leur politique monétaire sans prendre langue à Paris, à Bercy, à la Banque de France ou au Trésor français. Ils doivent posséder tous les instruments pour se donner les moyens d’aboutir à leurs fins.

Les pays de l’Afrique (Bénin, Burkina Faso, Côte d’Ivoire, Guinée-Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo), ont un projet de monnaie commune avec sept Etats de l’espace CEDEAO. Ils verront leurs pièces et leurs billets imprimer en France. 


Noël Ndong