Interview. Otis Ngoma : « La RDC ne doit pas aborder le match contre l’Ouganda avec anxiété… »

Jeudi 20 Juin 2019 - 18:00

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L'entraîneur de Daring Club Motema Pembe (DCMP) de Kinshasa suivra de près la phase finale de la 32e édition de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Dans cette interview exclusive, lui qui  par le passé a aussi conduit les Léopards donne son avis sur les chances de cette sélection dans ce tournoi qui se joue, pour la première fois de l’histoire, avec vingt-quatre pays.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : Coach Otis Ngoma, quel est votre avis sur les chances de la République démocratique du Congo (RDC) à la CAN Egypte 2019 ?

Otis Ngoma (O.Ng.) : La RDC a toutes ses chances dans cette CAN. En maîtrise technique et en qualité individuelle, elle rivalise avec tout le monde. C'est un groupe de grande qualité, avec un potentiel hallucinant, une impressionnante armada offensive, atout numéro un en Égypte. Ses membres forment une véritable tribu avec ses rites, faisant de cette équipe une vraie famille, et c'est cela qui sera fondamental pour le sacre. Au-delà des aspects techniques, les joueurs doivent y croire et aborder cette compétition dans l'esprit de la gagner. Il y a des raisons de croire, parce que l'équipe est expérimentée grâce aux sélections et compétitions cumulées depuis 2008 à Marbella.

L.C.K. : Comment aviez-vous jugé la présélection des trente joueurs pour le stage de Marbella d’illustre mémoire, où vous aviez conduit les Léopards en février 2008 contre la France A’ (0-0) ?

O.Ng.: La présélection d'une trentaine de joueurs, c’était pour anticiper, prévoir et gérer le temps et l'espace. Car on commence par créer un climat qui va au-delà de la performance mais qui la conditionne. La liste de trente joueurs présélectionnés paraissait plus cohérente afin de maintenir la pression sur l'ensemble du groupe et instaurer la concurrence avant la sélection, même si, humainement, cette approche est tellement traumatisante pour les recalés qui se sentent forcément mis à l'écart. Mais c’est aussi une situation difficile pour le sélectionneur, Florent Ibenge, dans sa gestion au niveau émotionnel. Malheureusement, atteindre la plus haute marche est un exercice qui nécessite une réflexion en profondeur, gérer le relâchement et le contre-coup physique de fin de saison, les blessures en plein stage. Marbella ? Oui, c'est là que tout a commencé avec les binationaux. J’avais à l’époque souhaité que mon ami Florent soit à mes côtés contre la France de Raymond Domenech.

L.C.K. : De vingt-neuf joueurs, Florent Ibenge en a retenu vingt-trois …

O.Ng. : Faire une liste de vingt-trois joueurs, ce n’est jamais prendre les vingt-trois meilleurs... Les choix du coach ne sont pas discutables... Mais voilà que mon ami Forent Ibenge est déjà en première ligne, comme si déjà certains veulent l'immoler, les médias, les supporters et le public critiquent, assassinent et discutent déjà de ses choix. Simplement certains sont devenus plus toxicos de la victoire avec cette envie tellement forte d’avoir une autre « Moseka » (CAN remportée en 1974, ndlr). Les choix ne sont pas discutables, dis-je, hormis autour d'une bière à Matonge ou après une prière à l'église entre supporters qui sont devenus en même temps des millions de sélectionneurs. Florent a confiance en lui, il est le principal socle sur lequel vont reposer staff et joueurs. Aujourd'hui, il est déjà attaqué, mais s’il réussit, d'autres s’approprieront sa victoire qui deviendra la leur. Le sélectionneur doit être fort dans sa tête et être aidé par un staff honnête et loyal à sa guise. Ceci, pour arriver à résister à la pression permanente de tout un peuple. Personnellement, je suis persuadé qu’il a bien su fixer des objectifs cohérents, atteignables. Et il sait au fond de lui que le groupe choisi partage son point de vue. Dans une compétition qui s’avère être un parcours de combattant, le groupe a besoin d’une identité forte pour réussir. Il faut que les relations à l'intérieur du groupe soient équilibrées et solidaires, la notion de cohésion sociale et opératoire seront plus que nécessaires pour jouer une même partition sur le terrain et en dehors. Ceci étant, vaut mieux un joueur qui accepte son statut (à valeur égale) que celui qui vient brouiller les cartes et polluer la vie d’un groupe. Tout mon soutien à mes collègues, mon équipe, ma nation « Kongo dia ntotila…».

L.C.K.: La RDC joue son premier match de groupe contre l’Ouganda qui vient de surprendre la Côte d’Ivoire en amical (1-0). D’après vous, comment les Léopards devront aborder cette rencontre?

O.Ng. : Comment aborder l'Ouganda ? C’est une équipe du style anglo-saxon dirigée par un Français, Sébastien Desabre. Notons que tous ses joueurs sont des locaux, évoluant au pays, avec plus ou moins six cadres qui jouent à l'extérieur comme Joseph Ochaya dans TP Mazembe de Lubumbashi, Mugabi à Yeovil Town en Afrique du Sud, Aucho Khalid en Inde. Trois autres, je pense, jouent en Égypte, en Afrique du Sud et en Tanzanie. C’est une sélection qui a, bien entendu, du répondant, surtout sur le plan athlétique, une équipe agressive, audacieuse et accrocheuse. Sur papier, la RDC  est mieux lotie. Mais sur le terrain, il n’y aurait pas de différence dans l’approche tactique du match entre deux entraîneurs formés en France. Conscient des doutes et du scepticisme général provoqués par les deux matchs amicaux des Léopards, il n’y a cependant pas lieu de paniquer. Lorsqu’on figure parmi les prétendants à la couronne africaine, il ne faut pas aborder ce premier match avec l’anxiété de ne pas le perdre parce que derrière, il y a l'Égypte, c'est la meilleure façon de se casser la gueule. Par contre, il s’agira de bien préparer mentalement les hommes à ce premier rendez-vous, et essayer de ne pas provoquer le stress chez les acteurs. Car ce match va conditionner l’étape suivante. Restent quelques équations inconnues à résoudre, notamment sur la complémentarité et la créativité du milieu de terrain (animation et positionnement du triangle Yousouf Mulumbu, Trésor Mputu, Chancel Mbembal), la concentration dans la qualité intellectuelle de prise de décisions offensives et défensives. Pour passer ce premier tour, il faudra bien débuter. Un bon début passera par gommer les petits détails désagréables observés pendant les matchs amicaux.

LCK : Pour la première fois, la phase finale de la CAN va se jouer avec vingt-quatre nations. Cela n’influera-t-il pas sur le niveau du tournoi avec la présence des équipes qui se qualifient très rarement à cette étape ?

O.Ng. : La Confédération africaine de football  a eu le temps de réflexion avant de trancher sur ce passage à vingt-quatre sélections en phase finale de la CAN. C’est vrai que l'interrogation subsiste sur les réelles capacités de la présence d'équipes rarement qualifiées. Le niveau va-t-il baisser ou pas ? Nul ne le sait avant la compétition. Chose sûre, nous avons tous constaté le nivellement des valeurs des sélections africaines lors des éliminatoires. Il reste à confirmer la progression de ces équipes dites petites, à l'exemple du Madagascar qui n’a jamais atteint ce niveau auparavant. Ces nations dites petites se sont bien préparées pour obtenir les meilleurs résultats, il reste la vérité des terrains et non des urnes. Passer à vingt-quatre équipes en phase finale de la CAN, c’est aussi permettre aux villes d’accueillir plusieurs rencontres, un avantage financier non négligeable.

Propos recueillis par Martin Enyimo

Légendes et crédits photo : 

Otis Ngoma aux côtés de Chancel Mbemba, le capitaine des Léopards / DR

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