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Mwènè Okondji parle de Serge Boubanga

Samedi 6 Juillet 2019 - 20:22

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La " Gourmandise poétique" du 31 mai dernier, consacrée au poète Boubanga, a été pour moi une aubaine lors de mon séjour à Brazzaville. Cette manifestation, conçue par des écrivains de la capitale du Congo, est animée par l’un des leurs, Florent Sogni Zaou. Elle a la belle initiative d’épargner au public le ronronnement habituel des rencontres littéraires, en proposant essentiellement des lectures de textes portées par la voix des comédiens. Le tout en présence de leur auteur.

Donc nous avons vécu ce jour-là un de ces moments où la terre se fait rêve. Les comédiens Stan Matingou, Emerix, Klaous et d’autres compagnons encore, l’un à l’autre complémentaires, ont déclamé des mots où chaque voyelle et chaque consonne faisait battre le pouls du poème. A la fin de la rencontre, il était difficile de ne pas avoir soif de poursuivre l’œuvre du poète. Et voici un des titres de Serge Eugène Ghoma Boubanga qu’il faut absolument lire et relire "Cantiques Incandescents", paru aux Editions L’Harmattan (2016 ; préface de Boniface Mongo Mboussa, 118 pages).

 Il est bon que la poésie concède au jour sa clarté, et qu’en même temps, elle accorde à la nuit la faveur d’être pour l’Homme une obscurité remplie de lueurs d’espoir. C’est précisément le cas de ce recueil, précieux petit livre aux vers denses auréolé d’une belle préface. L’ouvrage s’ouvre comme dans une sorte d’inquiétante étrangeté à même le regard songeur du poète sur sa ville de naissance, Pointe-Noire, désormais lointaine, insaisissable : « Je chante pour toi le cantique des possédés / Tant je souffre de ne pas te voir souvent / Et t’entendre mentir sur les orgies de la mer… ». Cependant, dans l’imaginaire du poète, cette ville suscite aussi le tumulte : « De quel nom curieux / Suis-je la risée des Blancs / Pointe Noire… ». Mais le sol de Ponton-La-Belle, berceau des premiers pas de l’auteur, renvoie tout naturellement à cette demeure maternelle, lieu d’amour et de la « quiétude des antiques murailles », figure consolante « semblable à la Sainte », visage d’apaisement à l’heure du tumulte : « Et me dire tendrement / Toute la chaleur de tes entrailles / Devenues encore plus amènes ».

Cependant, au fil de l’écoulement de ce poème, l’affection scandée par Ghoma Boubanga n’est plus orientée uniquement vers sa ville. Par un beau et talentueux glissement d’images, le poète opère une mutation qui nous fait apparaître au grand jour la figure tutélaire de Radegonde. Radegonde, « la tendre amante de Loango ». C’est elle l’aimée, la consolatrice, la protectrice, l’inspiratrice des élégies des Vents solaires, contre le sein duquel le poète s’allonge pour espérer la paix de l’âme. C’est avec elle désormais que le poète peut vaincre les espaces ombreux. Car Radegonde seule sait lire la colère des veuves « A l’heure où les ombres défuntes s’agitent à midi / Comme la poussière sous les arbres de Dolisie ». La conversation charnelle avec la bien aimée est flamme inscrite en toute lettre (p. 27 et suivantes).

Avec Radegonde pour alliée, le poète peut se mettre en chemin : « marcher sur les eaux de la mer » et ainsi parcourir les territoires de son identité : « Ce que je sais ! Tu es ma siamoise […] Tu m’accompagnes jusqu’à l’infini / De ma marche humaine…». Ainsi partent-ils l’un avec l’autre, l’un dans les pas de l’autre, ensemble « Sous la chaleur doucereuse du Congo », à la quête des étendues de l’horizon et des ethnies multiples. Dans leur odyssée, sont évoqués tour à tour les pays Kongo, Loango, Téké, Mbochis, les terres de Ngo, les plaines d’Etsouali, les forêts de Ouesso, les rives du fleuve Kouyou là où vit un initié, Mwènè Sondjo. Les collines de Mantsimou qui surplombent le Djoué, etc.

Toutefois, on regrette grandement de ne pas entendre dans ce recueil, l’éclat des mots de la langue maternelle héritée de l’ethnie de l’auteur.

Le poète du voyage astral, après avoir ouvert ses bras jusqu’aux confins de la finitude de son pays, nous convoque au devoir de vigilance.

A mes enfants

Je dirai toute la colère

Celle de ma mémoire entière

Face aux outrages malsains

De la déraison humaine.

 

Cette enflure quotidienne de la misère

me semble un mauvais rêve

qui recommence à courir dans ma tête.

Ami lecteur, garde mémoire de cette voix prometteuse de la poésie congolaise. Elle a pour nom : Serge Eugène Ghoma Boubanga.

 

                               

Gabriel Mwènè Okoundji

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Édition Quotidienne (DB)

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