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Crise des devises dans la Cémac: une affaire d’éthique

Jeudi 11 Juillet 2019 - 16:15

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Au moment où la croissance économique de la Communauté économique et monétaire de l'Afrique centrale (Cémac) s’améliore, en passant de 1,7 % en 2018, à 3 % du produit intérieur brut à fin juin 2019, sa position budgétaire globale tend vers l’équilibre et ses réserves extérieures qui garantissent les importations, augmentent pour atteindre 3 822 milliards francs CFA au 30 juin 2019, contre 3 360 milliards francs CFA à fin 2018, un faisceau de dysfonctionnements institutionnels et comportementaux des acheteurs et des vendeurs de devises sur le marché de change régional fragilise la parité fixe du franc CFA par rapport à l’euro. Le volume de devises rétrocédées par les banques commerciales à la Banque centrale est passé de 605,2 milliards francs CFA en 2018 à 1 376,1 milliards francs CFA en mai 2019, soit une hausse de 127 %, rendant rares les devises dans la Cémac. En cause:

1) la faiblesse du contrôle: Depuis 2000, les banques commerciales de la Cémac rétrocèdent 100 % des devises encaissées à la Banque des Etats de l'Afrique centrale (BEAC). Les six États de la Cémac ont permis aux agents économiques résidents de détenir de nombreux comptes en devises sans autorisation préalable de la Banque centrale, en violation de la règlementation en vigueur. Au 28 février 2019, le nombre de comptes ouverts au profit des États s’établit à 2 188. Le Cameroun en détient 244  pour 53,6 milliards francs CFA de devises, la République centrafricaine 31 pour 146 millions francs CFA, le Congo 202  pour 27,23 milliards francs CFA, le Gabon 239 comptes pour 9,9 milliards francs CFA, la Guinée équatoriale 59 comptes  à 439 millions francs CFA, et le Tchad 1 413 comptes pour 886 millions francs CFA. La BEAC a ramené le taux de rétrocession de devises à 70% dès fin mars 2019. Les 30 % restants sont conservés par les banques commerciales pour couvrir leurs opérations de change ;

2) les comportements délétères des agents: Selon le Fonds monétaire international (2019), le volume des avoirs illégalement détenus par les entreprises et autres agents, hors de la zone Cémac, s’élève à près de 3 000 milliards francs CFA, avoisinant le volume des réserves de change des six États de la Cémac au 30 juin 2019. Mais, les banques commerciales refusent de rapatrier leurs avoirs extérieurs, malgré les injonctions de la Banque centrale et les dispositions de la réglementation interdisant cette pratique. Elles ont même développé un marché interbancaire de devises et font du trading en parallèle qui rapporte entre 50 et 80 % du produit net bancaire des établissements de crédit en activité dans la zone.    

Or, entre 60 à 80 % des demandes de transfert effectuées par les opérateurs économiques sont retenues par les banques commerciales. Les demandes de devises formulées par les établissements bancaires détenant illégalement des avoirs à l’extérieur, représentent 32,4 % des demandes soumises à la Banque centrale. Les 77 % des demandes restantes sont traitées en vingt-quatre heures contre vingt jours avant 2018, permettant aux opérateurs économiques d’effectuer plus rapidement les transactions externes;

3) deux mesures de régulation peu efficaces: La première est une période transitoire de six mois, à compter du 1er mars 2019, permettant aux opérateurs de régulariser les comptes indument ouverts. Au 31 mai 2019, trente-sept dossiers ont été reçus et examinés par la BEAC dont 56,76% au titre de régularisation et 43,24% de demandes d’ouverture de compte. Plus de 95 % des opérations nécessitant un compte en devises pour leur réalisation peuvent maintenant s’effectuer sans problème.

La seconde mesure est l’obligation faite aux banques commerciales de mettre à la disposition de la Banque centrale les coordonnées des demandeurs de devises sollicitant des transferts à l’international. La Banque centrale pourra directement informer ces agents du traitement de leur dossier. Elle ne pourra plus rejeter systématiquement les demandes de transferts des banques commerciales ayant des avoirs extérieurs suffisants qui auraient dû servir à l’exécution, par les banques elles-mêmes, de ces transferts sans recourir à la BEAC. En contrepartie, ces banques  rétrocéderont leurs avoirs extérieurs, faute d’une amende de 5 % du montant des avoirs qu’elles détiennent illégalement. Ce dispositif est faiblement dissuasif, sans un changement de culture.

Ainsi, l’équilibre du marché de change de la Cémac est menacé par l’opportunisme des agents et la faiblesse du contrôle de l’autorité de régulation. Le mauvais signal qui en résulte n’attire pas les investisseurs, décourage les partenaires institutionnels, affecte la confiance des entreprises internationales résidentes et menace la parité du franc CFA par rapport à l’euro. La sortie de cette crise impose une discipline financière éthiquement responsable à tous les niveaux.

Emmanuel Okamba maître de conférences HDR en sciences de gestion

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