Nollywood : un miroir de l’Afrique

Samedi 5 Avril 2014 - 14:41

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Le label du cinéma nigérian s’exporte depuis près d’une décennie à une vitesse fulgurante, occupant en termes de productivité plus ou moins la place qu’occupent les superproductions hollywoodiennes aux États-Unis. Malgré son extrême jeunesse et des moyens de production plutôt réduits, la production cinématographique nigériane a étendu son influence jusque chez les Congolais des deux rives. Pas une journée sans mon « karachika » pourrait être leur devise

Pas du tout comparable au deuxième pôle cinématographique au monde, Bollywood de l’Inde, c’est vrai. Mais Nollywood, bien installé à Lagos, la capitale économique du Nigeria, a trouvé sa place sur le petit écran partout sur le continent et de sa diaspora. Zones anglophones ou francophones dévorent littéralement les productions nigérianes. Les raisons ? D’abord le thème de ces productions de genres variés, la réalité toute crue présentée sur les coutumes africaines qui se découvrent plus ou moins similaires, ou encore le fameux et incontournable « kindoki », la sorcellerie !

À côté, les histoires romanesques viennent peupler le monde du rêve d’une jeunesse en mal d’évasion et même de miracles : une jeune fille de milieu modeste accède par alliance à un autre rang social, et c’est la revanche sur la vie ! Succès garanti partout. Finalement, qu’elles soient servies à la sauce africaine, occidentale ou indienne, les Cendrions, Sandokan et autres Belles au bois dormant touchent à la même fibre sensible.  Nollywood, le domaine cinématographique nigérian, vient apporter la preuve, pour qui en doutait encore, que la recette à succès des acteurs noirs, métis ou blancs, avec tuniques traditionnelles made in Nigeria ou costume-cravate, est d’abord dans le talent, pas dans le budget !

Pas un jour sans un karachika ? Bonjour les dégats !

Au Nigeria, c’est la série Lekki Wives (Les femmes de Lekki) qui fait un tabac. Mélange de trahison, d’infidélités et de riches parvenus qui en mettent plein la vue avec leurs billets et leurs rutilantes berlines, il y a là de quoi faire dévier n’importe quel saint(e) ! Mais la comédie plaît au-delà de l’indicible ; elle est suivie de près par ces dames, même à Brazza où les maris ont toutes les peines du monde à les détacher du petit écran à leur retour au foyer.

À la frustration s’ajoute la colère lorsque, comme souvent, le ménage n’a qu’un seul téléviseur ! Le chef de famille veut-il suivre le journal télévisé du soir ? Un match de football ? Madame a décidé de s’approprier la télécommande, qu’elle ne lâchera qu’à la fin de son karachika du jour. Et, surtout, que les enfants n’appuient pas l’un ou l’autre des deux parents dans leurs revendications du soir. On ne sait quel dicton s'applique : « Ce que femme veut, Dieu le veut » ou « Ce que femme veut, le diable le veut » ! Il faut avoir de solides arguments pour soutenir l’un ou l’autre à l’heure d’un karachika.

Les enfants n’ont donc qu’à bien se tenir. Une mère au foyer l’a appris à ses dépens récemment à Brazzaville. Cette-fois, c’est monsieur qui était le premier devant le téléviseur, tranquille à suivre une partie de foot très importante. Alors madame déboule très visiblement déterminée à envoyer paître tous les maris s’arrogeant les télécommandes de la création. Mais son air menaçant n’a pas eu raison de l’intrépide footballeur de salon, bien calé dans son fauteuil et encouragé dans son « droit » par les voisins venus suivre le match. De fureur, madame n’a fait ni une, ni deux : elle est partie derrière le téléviseur et a arraché la prise d’alimentation. Folie passagère? Non, crime complet qui s’est soldé par un divorce prononcé sur le champ !

Un autre fait recueilli montre madame bien scotchée devant sa télé après avoir mis au feu une marmite de saka-saka certainement pour la dégustation du week-end. Mais la série était passionnante et le jeu des acteurs très prenant, et la traduction de l’anglais ou du yoruba en lingala des plus envoûtantes. Et le film durait, durait. Le saka-saka cuisait, cuisait dans sa marmite sans couvercle… La fin de cette cuisson et du film ? Donnons plutôt la fin du plat de saka-saka cuit à point comme le veut la première phase de préparation de ce met très prisé des Congolais. Mais lorsqu’au matin, la dame a voulu y ajouter les ingrédients de complément, la surprise et l’émotion se sont saisi de toute la maison, parce qu’au fond de la marmite gisait un lézard bien mort. Une autre victime collatérale du karachika !

Une industrie transportée en grand rendez-vous culturel

La traduction de l’anglais en lingala est une autre des recettes qui fait le succès des productions de Nollywood dans les deux Congo. Et qui explique l'immédiate « consommation » de séries qui arrivent à peine dupliquées sur nos marchés sous la forme de DVD dupliqués à la va-vite ou, surtout, projetés par les chaînes privées de télévision dont on suppose qu’elles ne sont pas toujours regardantes en matière de droit d’auteur.

En anglais-français sur le câble, en français-lingala pour les francophones ou encore en version français-français cette fois réalisée par d’autres pays que le Nigeria, les karachikas de toutes formes, adaptations et origines ont conquis par leur formule tout-terrain mais pas seulement en Afrique. Ayant le monopole, deuxième producteur au monde en termes de films, le Nigeria sans exagérer figurera dans peu de temps parmi les premières puissances économiques du continent.

Pour en revenir à son exportation, en France, à Londres où à New-york, les événements ont tout simplement pris place pour dynamiser, élargir la visibilité du made in Nigeria avec la naissance de festivals tel que le Nollywood  Week. Pour une fois, l’Afrique consomme africain et en redemande. Succès perceptibles jusque dans les petites salles de fortune de Brazzaville !

Luce-Jennyfer Mianzoukouta

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : L'emblème Nollywood. (© DR) ; Photo 2 : Un film karachika en vogue à Brazzaville. (© DR) ; Photo 3 : L'affiche de la Nollywood Week. (© DR)