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Débat: crises et tensions en Afrique au cœur des relations avec l’Occident

Jeudi 19 Décembre 2019 - 12:06

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Depuis des années, les tensions, les crises sociales et les conflits armés ont tué des centaines de personnes en Afrique et jeté des milliers d’autres dans la déshérence.

Malgré les nombreuses et coûteuses interventions des grandes puissances internationales, les multiples forums, sommets et conférences, le nombre de conflits et de victimes ne cesse d’augmenter. Ce qui laisse douter de l’efficacité des interventions des forces internationales et la volonté de l’Occident à œuvrer pour une véritable paix durable. Mais la question se pose aussi de savoir s’il existe une solution africaine.

Crises africaines : diagnostics et solutions, comment s’y prendre ?

Le dernier sommet de Paris sur la paix et la sécurité en Afrique a posé la question restée sans réponse : quelle solution pour une paix véritable et durable en Afrique ? Une question posée au moment où plus d’une quarantaine de soldats tombaient au Mali et soixante et onze au Niger, où les attaques se multipliaient au Burkina Faso, au Nigeria, dans le bassin du lac Tchad et en République démocratique du Congo.

Le président Idriss Déby Itno, dans un entretien avec Alain Foka sur RFI*, affirmait tout récemment : la déflagration de la violence en Afrique est consécutive à l’assassinat du président Kadhafi.

Avant l’implosion de la Libye, la situation dans la région était calme.  Il y avait certes de la pauvreté mais à l’époque de Kadhafi, plus de 500 000 Africains dont beaucoup originaires d’Afrique noire, travaillaient en Libye. Mais alors que la Libye est un pays africain, les décisions furent prises sans écouter les dirigeants du continent. Et c’est le voisin immédiat qui paye le lourd tribut d’une opération pour laquelle il n’a pas été consulté et dont il a appris le déclenchement à la radio, renchérit le président Issouffou du Niger. Les peuples africains subissent aujourd’hui encore les conséquences de cet assassinat.

Situation inédite en Afrique, poursuivait au micro Idriss Déby, le 21 février 2011, pour la première fois, on a vu en Afrique un homme noir se faire exploser. L’Afrique avait sa pauvreté et ses problèmes mais jamais les Africains ne s’étaient exprimés sous cette forme. 

La semaine dernière, un député malien a violemment interpellé le gouvernement de son pays en demandant la démission des chefs de renseignements militaires, incapables, selon lui, d’intercepter les communications des terroristes. Il a également demandé que la France soit dénoncée comme complice de ces mouvements.

Ironie du sort, c’est aux Africains que l’on a demandé de trouver des solutions et de venir à Pau, en France, pour préciser s’ils veulent ou non de la présence de soldats étrangers sur leur territoire pour enrayer le cycle de violence de la zone sahélienne…

Quelle solution pour une paix durable ?

Le terrorisme dans sa forme moderne, estime le président Issoufou Mahamadou du Niger, est né en Afghanistan au moment où les Occidentaux décidaient, à travers une coalition de forces internationales, d’engager la guerre contre les Talibans en 1989. Depuis lors, les Talibans n’ont pas été vaincus et les forces internationales sont obligées de quitter le pays en optant pour une solution politique négociée.

Une autre source de terrorisme est la déflagration de l’Irak de Saddam Hussein. Selon le président nigérien, la plupart des cellules djihadistes sont aujourd’hui animées et encadrées par d’anciens cadres des forces de Saddam Hussein. Là encore, la responsabilité des Occidentaux et celle de leur allié américain est totale.

Vaincre le terrorisme, dans sa nature actuelle, ne pourra se faire sans une coordination et une harmonisation des vues qui ne peut s’obtenir que grâce à un dialogue équilibré ; et non par des dictats qui compliquent les situations.

Il s’agit tout d’abord de dresser un diagnostic objectif et honnête de la situation actuelle du continent africain. Une situation caractérisée par la pauvreté, le déficit d’infrastructures et de nombreuses crises.

Si la pauvreté est souvent mise en avant pour expliquer les guerres récurrentes du continent, à la lumière de la nature de la coopération militaire de l’Afrique avec ces anciennes puissances colonisatrices, particulièrement la France, beaucoup d’observateurs, surtout les jeunes africains, commencent à douter de l’efficacité de cette coopération.

Pour eux, l’opinion qui consiste à dire que ces crises sont plutôt des conflits intercommunautaires est erronée. Certes, l’Afrique a encore beaucoup de survivances traditionnelles qui interfèrent dans les rapports sociaux et politiques mais cette logique est insuffisante pour justifier des conflits de cette ampleur.

Mais en l’absence d’une initiative africaine efficace, la nécessité d’une coopération internationale renouvelée devrait être une solution. De fait, un appel a été lancé à l’endroit de la communauté internationale. Voir une véritable paix s’installer dans cette zone est à ce prix.

Renforcer la coopération sous-régionale et conjuguer les efforts

La sécurité et la paix en Afrique sont une équation complexe avec beaucoup d’inconnues. Pour la résoudre, il faut plus qu’une simple volonté politique : une stratégie globale qui impliquerait toutes les forces avec des objectifs clairs et précis.

Les pays du G5 Sahel ont tenu dernièrement une réunion pour évaluer la situation et conclu à la possibilité pour eux de venir à bout des conflits s’ils parvenaient à mobiliser des ressources suffisantes, soit environ cinq cents millions de dollars.

Les troupes locales sont les mieux outillées pour combattre sur des terrains connus d’elles seules. Dans un combat militaire, la maîtrise du terrain est un facteur décisif pour la conduite des opérations. On l’a vu avec l’arrivée des troupes tchadiennes dernièrement pour venir à bout de l’avancée de AQMI (Al Qaida au Maghreb Islamique) au Mali, et de Boko Haram au Cameroun.

Malheureusement, l’Occident ne l’entend pas de cette oreille et le président français, Emmanuel Macron, a cru bon de convoquer les dirigeants africains à Pau pour venir repréciser leurs doléances et dire si oui ou non la présence française leur était indispensable.

Cette rencontre a été annulée à la dernière minute après l’attaque de la caserne militaire au Niger qui a fait soixante et onze morts. Un message fort envoyé par les terroristes à l’encontre des forces françaises dans la région.

Aujourd’hui, on peut légitimement se poser la question de la crédibilité de ces opérations internationales dont le mandat n’est souvent pas compatible avec la nature de la crise. Quand l’ennemi tire, on ne vient pas pour maintenir ou renforcer la paix, mais pour combattre. Aussi le mandat doit-il être conforme à cet objectif.  

Faire évoluer le mandat de la force onusienne sur les théâtres d’opérations en Afrique est une solution envisageable pour renforcer les capacités combatives des pays assistés.

Des projets et des programmes cohérents devront permettre à la population africaine d’envisager son avenir avec sérénité dans un monde en pleine évolution.

L’Afrique doit s’ouvrir dans un multilatéralisme renouvelé et donner une assurance à sa jeunesse de plus en plus nombreuse mais manipulée par des forces négatives à cause du manque de perspectives rassurantes.

 

* Emission Le Débat africain, le 13novembre 2019, à l’occasion du forum de Paris sur la paix tenu les 12 et 13 novembre 2019, à Paris.

Emmanuel Mbengué

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Édition Quotidienne (DB)

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