Afrique : Jean-Yves Ollivier s’exprime sur différents dossiers du continent

Samedi 15 Février 2020 - 15:45

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Dans la revue Politique Internationale qui vient de paraître, le créateur et président de la Fondation Brazzaville fait le point sur les relations France-Afrique et la démocratie.

Jean-Yves Ollivier qui s’implique depuis des années sur le continent africain raconte comment le progrès économique et la croissance de l’Afrique ne peuvent venir que du domaine de l’énergie et des infrastructures. « Il y a vingt ans, l’Afrique comptait toujours sur l’extérieur pour décoller. C’est encore vrai aujourd’hui. Il y a vingt ans, les coopérations internationales ne s’intéressaient qu’à la santé et à l’éducation. On avait complètement oublié les infrastructures. On a construit des écoles et des hôpitaux, mais sans électricité pour les éclairer et sans routes pour y parvenir », a-t-il rappelé.

Pour illustrer ses propos, il prend l’exemple du Congo-Brazzaville qu’il a visité pour la première fois en 1969, et qui a pu réaliser, en peu de temps, son projet de construction de la route entre Brazzaville et Pointe-Noire, lorsque le président Denis Sassou N’Guesso décida de se tourner vers la Chine, un autre partenaire, dans le cadre de la coopération entre les deux pays. « C’est typique de ce que les Occidentaux n’ont pas compris en Afrique. Ça ne peut marcher que s’il y a énergie et infrastructures. Vu du ciel, on s’aperçoit que tout se bâtit autour des routes », a-t-il indiqué.

« Si on dit que l’Afrique a de l’avenir parce qu’on va y investir pour gagner de l’argent, alors oui, il y a de quoi faire ; mais elle reste un continent en développement et il faudra des décennies avant qu’il ne soit développé », a-t-il déclaré.

Cependant, Jean-Yves Ollivier reste optimiste en l’avenir de l’Afrique. Il fait sienne la formule de l’archevêque sud-africain Desmond Tutu qui déclarait : « Je ne suis pas un optimiste, mais un prisonnier de l’espoir ». En outre, il précise que « l’afro-optimisme est un peu trop à la mode. Et ceux qui l’utilisent sont plutôt en retard. Parce que les Chinois sont là, les Turcs, les Indiens aussi et les BRICS ». Les puissances dites émergentes que sont le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du Sud ont montré, a-t-il dit, leur utilité en développant les échanges, « alors que la France a décroché. Mon optimisme vient du fait que je ne crois plus en la possibilité d’un retour en arrière pour l’Afrique ».

« La révolution post-apartheid est faite d’attentes et de promesses »

Parlant justement de l’Afrique du Sud où il s’est impliqué pour mettre fin à l’apartheid, Jean-Yves Ollivier parle du « désastre ». « La révolution post-apartheid est faite d’attentes et de promesses. Or ceux qui ont promis la révolution n’ont pas tenu leurs engagements. La corruption, la mauvaise gouvernance et le tribalisme se sont installés. Mandela avait promis la démocratie au sein de l’ANC quand ce parti finirait par gouverner. Or l’ANC est resté un parti de fonctionnement marxiste-léniniste qui pratique l’entre-soi, au seul profit des camarades dans le business ».

« L’emprise zouloue sur l’État a donc été un phénomène tribal lié à la pure corruption. N’oublions pas qu’on est en Afrique où la notion de famille est extensive. Il n’y a pas de cousins, de neveux ou de gendres mais des fils, des filles, des mères et des pères. Quand on accède à la richesse, on en fait profiter sa famille au sens large », a-t-il fait comprendre. Pour lui, la promesse de Nelson Mandela d’une nation arc-en-ciel réconciliée « n’existe que dans les discours du dimanche. D’abord, parce que les Blancs continuent de partir. Ensuite, parce que l’affirmative action, la discrimination positive, réserve les emplois de l’administration aux Noirs ».

Sur la question de la terre, il a expliqué que c’est une « situation explosive » qui ne permet pas le développement de l’Afrique du Sud. « La terre est indissociable de l’homme et l’on se fait la guerre pour la terre depuis que le monde est monde. Ne pas s’en occuper est une erreur fondamentale ».

Favoriser des initiatives africaines dans l’esprit des « accords de Brazzaville »

A propos de la santé publique en Afrique qui constitue l’un de ses chantiers, Jean-Yves Ollivier souhaite favoriser des initiatives africaines dans l’esprit des « accords de Brazzaville » qui, d’après lui, avaient vu l’Afrique s’impliquer directement dans la solution du dossier de l’apartheid. « Dans ce même esprit, j’ai lancé le Fonds bleu qui a contribué à réunir seize pays pour la protection des rives du Congo ».

Pour l’heure, il a dit se concentrer sur un autre dossier qui est « une des plaies de ce continent » : le trafic de faux médicaments. « Je dis aux Africains, sur ce drame sournois et méconnu, qu’il ne faut plus compter sur l’aide internationale. À moins que les partenaires, notamment en Occident, prouvent qu’ils sont vraiment combatifs sur cette question. »

En outre, il a rappelé la nouvelle offensive africaine contre le trafic de faux médicaments, matérialisée par la signature, en Janvier dernier à Lomé, au Togo, d’un traité qui engage l’Afrique « à criminaliser ce trafic par la loi, avec des unités de police dédiées et coordonnées ».

« Parfois l’alternance est une catastrophe, comme en Libye »

Jean-Yves Ollivier a également évoqué l’alternance politique en Afrique. Sur ce sujet, il a dit ne pas se focaliser sur ce problème « comme s’il n’était qu’Africain ».

« À Hong Kong, comme au Chili, en France, en Bolivie, au Liban ou en Irak, la population manifeste son mécontentement avant même les fins de mandat des présidents. Car les exigences et les impatiences sont grandes. Je ne fais pas l’apologie de l’éternité au pouvoir, loin de là. Mais est-ce que la démocratie consiste à dire pousse-toi de là que je m’y mette, à unir toutes les oppositions pour démolir le pouvoir et renverser ses dirigeants ? », s’est-il interrogé.

« Parfois, l’alternance est une catastrophe, comme en Libye. Qui peut dire que le peuple libyen a bénéficié de l’élimination de son chef d’État bien qu’il fût un dictateur irrespectueux des droits de l’homme ? La situation n’est-elle pas pire aujourd’hui ? Même chose en Irak, en Égypte ou en RDC ? Ce dernier pays ne s’est toujours pas remis du départ de son dictateur d’antan, Mobutu », a expliqué le président de la Fondation Brazzaville.

Il estime que « Ce n’est pas à vous ou à moi, ni aux ONG ou aux Nations unies de décider des critères de départ d’un chef d’État. C’est aux peuples d’en décider par des élections claires et transparentes en respectant les échéances électorales. S’ils veulent garder leurs leaders, c’est leur affaire, pas la nôtre ».

La responsabilité des Français, Européens et partisans de la démocratie, a-t-il indiqué, « c’est de respecter cette volonté, même si cela ne correspond pas à nos vœux ».

Le Tchad, pour lui, constitue un cas particulier. « C’est le garant de la protection de l’Afrique sahélienne face au terrorisme. Il investit toutes ses forces dans ce combat qui sert la France, l’Europe et l’Afrique ».

Par ailleurs, il s’inquiète de la situation en Côte d’Ivoire. Car, « On peut retomber dans une guerre civile là-bas. Les pays de la CEDEAO (Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest) en ont bien conscience ».

A propos de la politique africaine du président Français Emmanuel Macron, Jean-Yves Ollivier pense que « toute politique, en ce qui concerne l’Afrique, doit être basée sur une expérience et une connaissance affective. Ce continent n’a jamais été celui de l’écrit. C’est celui de la parole et du contact humain. On ne traite pas les Africains avec des fiches et des notes. On doit les écouter et leur parler parce qu’ils ne feront jamais, eux, de notes en retour. L’Afrique, il faut l’ausculter, l’écouter. L’Afrique a beau se digitaliser à toute vitesse pour être connectée avec le reste du monde, elle n’en reste pas moins singulière, tout le contraire du virtuel ».

Au sujet de la démographie au Niger évoqué par le président Emmanuel Macron, et ayant déclenché une polémique, il a dit qu’il faut plutôt aider les pays africains comme le Niger « à supporter l’augmentation démographique ». Et d’ajouter, « C’est cela notre devoir. Ce n’est pas de leur suggérer de faire moins d’enfants. Même la Chine et l’Inde ont renoncé à leur politique de restriction de la natalité. Le Niger a des capacités de développement inimaginables, notamment sur le plan minier ou solaire. Qui sommes-nous pour donner de tels conseils ? ».

Concernant l’immigration, il a annoncé que sa fondation essaie de réunir les pays du Sahel sur cette thématique afin « d’édifier un plan économique global ». Puisqu’il n’y a, selon lui, qu’une seule réponse au défi de l’immigration, à savoir le développement.

Yvette Reine Nzaba

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