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Suppliques du de cujus

Mercredi 1 Avril 2020 - 16:44

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De cujus, je le deviendrai incessammant. Aussi, libéré des obligations de réserve, j’esquisse ici la traçabilité de mon cheminement vers cet anéantissement. Grâce à un effort serein d’anticipation sous-tendu par des événements familiaux récents et également par les affres prévisibles de la pandémie du corona virus Covid-19, j’exprime ici mes sentiments, mes vœux et mes revendications qui sont aussi, sans doute, celles de tous les citoyens.

J’en entrevois déjà la chaîne des principales étapes de mon parcours. Sitôt le décès annoncé, une veillée est organisée au domicile du Chef de famille. La nouvelle provoque une grande affluence de personnes se réclamant de la famille, venant des quartiers et/ou « du village ». A cette occasion, si besoin en est, les organisateurs dressent des tentes en pleine rue afin d’élargir l’espace réservé à la veillée, faisant ainsi obstacle à la circulation des véhicules. Fort heureusement, tout désagrément inhérent à cette circonstance est généralement bien toléré par les riverains. La veillée est l’occasion emblématique pour tous, le lieu où chacun doit verser sa cotisation, chanter les louanges du disparu et affirmer sa notoriété dans la cérémonie. C’est également le moment d’empathie et de retrouvailles diverses. A l’arrivée du corps l’émotion atteint son apogée. Le de cujus est glorifié par les chansons et le son continu des tam-tam. Dans le cas des Tékés, les griots et les danseurs de la célèbre Association Obilitan, sont gratifiés de billets de banque par les proches du défunt, une façon de les inciter à redoubler d’ardeur. La veillée est également ponctuée de chants religieux et de prières sous l’égide des réprésentants d’églises d’obédiences diverses. Autour du cercueil, les femmes pleurent, se roulent par terre et entrent parfois en transe. Curieusement, les hommes sont souvent plus calmes. Peut-être estiment-ils que pleurer est un signe de faiblesse, donc réservé aux femmes !? Les vendeurs de kolas et de cacahuètes s’activent à proposer leurs amuse-gueules aux propriétés ravigotantes. La veillée se tiendra avec une telle animation jusqu’à bout. Dans certains cas, avant d’arriver à l’église pour la messe, d’autres cérémonies auront eu lieu dans les différentes institutions où a évolué sa vie durant le de cujus.

En fait, les étapes qui m’intriguent sont celles qui suivent. Tout d’abord, pourquoi un si long séjour du de cujus à la morgue ? La raison est simple, m’a-t-on rassuré. Il faut attendre de réunir, grâce aux cotisations, les sommes requises pour les différentes opérations, notamment la garde et la préparation du corps à la morgue, l’achat du cercueil et l’acquisition d’une place dans un cimetière. Avant la levée de corps, il y aura eu «un geste fait » envers les agents de la morgue et aux personnels funéraires. Ensuite et surtout, il a fallu acheter un cercueil dont tout le monde sait que le prix est élevé et aléatoire. En fait, mon souci majeur réside dans la difficulté à trouver un cimetière qui soit dans les normes ! Les trop nombreuses inhumations auxquelles nous assistons justifient cette revendication. Le cimetière devrait être protégé, entretenu et aisément accessible, les tombes construites aux normes requises, espacées les unes des autres et non accolées, afin de permettre aux familles de retrouver aisément leurs lieux de recueillement. Enfin, on peut se demander s’il ne serait pas opportun de proposer aux populations l’initiative des caveaux familiaux ? Cette pratique réduirait considérablement les terrains réservés aux cimetières et atténuerait peut-être le coût des inhumations.

A la fin des funérailles, le de cujus à peine parti, les problèmes surgissent et sèment la division. Tous, nous connaissons ces histoires pénibles d’héritage, de sorcellerie et autres pratiques. Le plus odieux des méfaits est sans doute, la martaitance de la veuve souvent dépouillée de tout et abandonnée à elle-même. Par conséquent, on peut proposer d’ores et déjà la systématisation effective d’un testament en bonne et due forme ainsi que la publication d’un statut de la veuve.

Pour conclure, mes angoisses sont certainement celles de tous les Congolais. Mes suppliques s’adressent principalement à l’Etat pour l’amélioration des conditions de départ du de cujus, l’allègement des charges des familles éprouvées et la protection de la veuve.

Christophe Bouramoue

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Édition Quotidienne (DB)

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