Interview. Yekima De Bel Art : « Mpiak’corona n’est pas une chanson de sensibilisation au coronavirus »

Lundi 3 Août 2020 - 17:03

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En quatre minutes le slameur raconte la réalité vécue par le Congolais lambda lors de la crise du corona. C’est une histoire qui relève aussi son pari, proposer un titre accrocheur en lingala. Dans cet entretien exclusif avec Le Courrier de Kinshasa, le Poetic soldier évoque les contours de l’écriture de cet air où il est question de son ressenti personnel face à la crise qu’il a éprouvée à l’instar de tous les Kinois.

 Yekima De Bel’Art dans Mpiak’coronaLe Courrier de Kinshasa (LCK) : Quelle était la première idée à germer dans votre esprit, le déclic pour l’écriture de Mpiak’corona ?

Yekima De Bel Art  : Je crois que c’était le besoin d’écrire ce texte en lingala, je vais appeler cela la petite rampe de lancement. En amont, j’avais déjà écrit un texte en français pour la BBC qui m’avait contacté pour ce faire. Je n’étais pas en bonne santé sur le moment, donc je n’étais pas très au taquet. Le confinement ou la situation inhérente à la crise de la covid-19 ne m’a pas beaucoup servi. Ce n’est vraiment qu’à la der des ders que j’ai commencé à avoir quelques éclairs de génie parce que j’étais un peu en « cœurfinement » (petits rires). Je pense qu’à un moment, j’ai eu envie de le faire parce qu’avec le premier texte en français, je tombais dans l’ornière de la routine de tout ce que j’écoutais déjà. Je voulais me proposer singulier dans l’univers du tout. L’idée était d’abord d’écrire en lingala, quitte à sortir de ma zone de confort linguistique.

L.C.K. : Pourquoi avez-vous choisi d’aborder le sujet de la crise sous l’angle du « Mpiaka », qui signifie …  ?

Y.B.A.  : En lingala, « Mpiaka » signifie manque, vide, bredouille, vacuité…

L.C.K. : Cela ne se réfère-t-il pas plutôt essentiellement à l’argent  ?

Y.B.A.  : Non ! Justement pas. Dans le texte, je dis : « Nzungu vide, mesa vide, kopo vide (marmite vide, table dégarnie, verre vide) ». Pour moi, ce sont toutes là les différentes formes de mpiaka. Lorsque je dis : « Mikol’oyo naza mpiaka na kopo, mpiaka na mesa fort ! » (Ces derniers temps mon verre est vide, ma table fortement dégarnie !), j’offre des expressions nouvelles au langage courant. En même temps, c’est vrai que mpiaka va de la poche, c’est vrai que c’est la source, et les conséquences se répercutent sur la table, dans le verre, etc. c’est une chaîne de conséquences qui viennent les unes après les autres. Pour en revenir à Mpiak’corona, comme je le disais plus haut, je n’ai pas voulu être une copie-carbone, un facsimilé des autre artistes. Ils ont déjà fait des choses que j’ai trouvées pas mal, entre autres insister sur les gestes barrières : « Lavez-vous les mains, etc. », ce qui n’est pas mauvais. Mais c’était itératif, récurrent et en même temps un peu routinier. Donc je voulais me proposer singulier dans l’univers du tout. Et, moi qui suis un observateur fieffé de ma société, n’étant pas un grand lecteur de livres, mon livre favori, j’en ai un, c’est ma société. Je l’observe.

Elle est endogène, aussi exogène. Je parle de celle d’ici, elle m’est proche mais aussi celle de l’extérieur, comment elle fonctionne. Je fais une corrélation entre tout cela, j’ai regardé comment le Kinois a traversé ce moment, il n’était pas équipé face à cette pandémie qui lui est arrivée de manière inopiné. Et donc, il a vécu la hausse de sa précarité. Alors qu’il vit déjà dans une précarité qui ne dit pas son nom, il s’est créé avec résilience des modes de survie dans la débrouillardise : il doit sortir pour se trouver de quoi manger. Il y a tout un tas de choses qu’il se résigne à faire pour cela mais du coup, tout s’arrête ! L’idée que je véhicule dans la chanson c’est que : « les mesures barrières ont été appliquées, ce qui n’est pas une exclusivité de la RDC car c’est partout pareil. Elles ont été drastiquement implémentées ici, ce qui est bien pour nous préserver face à une crise mondiale. L’état d’urgence a été décrété, mais ma petite question, est-ce que cela ne devrait pas, ma foi, tenir compte des réalités locales ? Car, cela comporte une implication sociétale sur la dynamique des populations, leur quotidien. Il y a des conséquences assez probantes qui renforcent parfois la précarité, la paupérisation dans laquelle le peuple vit déjà ». Pour moi, il était essentiel de repenser un peu l’application des mesures barrières en tenant compte des réalités locales.Un extrait du clip Mpiak’corona (DR)

L.C.K. : Au-delà de rapporter les réalités vécues par les Kinois, Yekima parle-t-il aussi de lui, a-t-il lui-même enduré les affres de la crise de covid-19  ?

Y.B.A.  : Oui, parce que je suis moi-même un pur produit de la cité, de la banlieue. Je suis un citoyen lambda. Je suis dans le fretin, pas dans le gratin. J’ai donc expérimenté cela au quotidien. Je le dis toute modestie bue, il n’y a pas de chansons plus congolaises que les miennes. Mes textes racontent le Congo : Je te présente Kinshasa, Les années Zaïre et Place Mukwege qui parle d’un Congolais pour une fois que je le fasse, je ne fais pas de dédicaces autrement dit mabanga. J’y parle d’un Congolais dont je suis fier. Il fallait le mettre en exergue même si l’on ne parlait pas de tous les exploits dont il est auteur. Et de quels exploits ! Sur des femmes, nos mères et nos sœurs. De Place Mukwege à Mpiak’corona, tout raconte le Congo. Comme je le disais, je suis un pur produit de la cité. Je veux bien me laver les mains, mais où. Pas d’eau courante au robinet alors que je marche sur de gros tuyaux dans la rue mais l’eau n’arrive pas jusque chez moi. Je dois aller puiser de l’eau dans une grande rivière… Au-dessus de ma tête passent de gros câbles électriques, si seulement on pouvait y étaler des habits, du moins pour que cela serve à quelque chose…

En plus, ça gâche le décor ! Le Kinois endure tout cela. Il est obligé de rester à la maison, ce serait bien s’il pouvait regarder la télévision, passer du bon temps, s’oublier un peu, s’évader… On se lave les mains si jamais on trouve de l’eau. On se lave les mains aujourd’hui et demain, mais quand est-ce qu’on se les lave pour manger ? Si l’adulte ne se pose pas cette question-là, l’enfant la lui pose car il est censé sortir pour ramener à sa progéniture de quoi se mettre sous la dent. Tout le monde est allé dans un sens, je ne suis pas un nageur à contre-courant, pas forcément. Mais, si c’est important à un moment, je place les choses en amont. C’est là où le Kinois se situe. Je voudrais bien que l’on repense les mesures barrières quitte à encadrer le Kinois dans son vécu sinon il guérit mais meurt de faim. C’est bien un comité de riposte contre la Covid-19, mais il faudrait aussi un comité de riposte contre la Faim-20, la Misère-21, les guerres incessantes de l’Est-16, 17, 18, 19-20 ! Il faudrait un comité de riposte contre toutes ces situations misérables auxquelles sont confrontés les Congolais. C’est bien un vaccin contre cette maladie mais les vaccins contre la faim, les tueries incessantes, quand viendront-ils ?

Yekima De Bel’Art esquisse le respect des gestes barrières, tousser dans le creux du coude (DR)L.C.K. : À qui vous demanderait de lui commenter Mpiak’corona, vous diriez  ?

Y.B.A.  : Je vais reposer les bases, renuancer les choses de façon plus claire : Mpiak’corona ne parle pas forcément du coronavirus. Ce n’est pas une chanson de sensibilisation au coronavirus. C’est une chanson de narration, une histoire que je raconte à l’instar de Les années Zaïre. Prenons que dans cinq-dix ans, un enfant apprenne par Google ou tout autre moteur de recherche qu’une crise a affecté la vie dans le monde à une certaine époque, une chanson comme Mpiak’corona servirait à lui raconter ce qu’il en était. Ce que les gens ont vécu pendant cette crise, la faim qu’elle a occasionnée, son impact, etc. C’est une histoire que je raconte, celle du Congolais, du Kinois à une période donnée. C’est vrai qu’à la fin de la chanson, je réitère les mesures barrières qui sont ma foi importantes. Je pense qu’elles vont résister à l’usure du temps. Elles doivent continuer, survivre à cette pandémie car je pense que ce sont des mesures naturelles qui devraient ponctuer notre vie quotidienne.   

Propos recueillis par

Nioni Masela

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Yekima De Bel’Art dans Mpiak’corona (DR) Photo 2 : Un extrait du clip Mpiak’corona (DR) Photo 3 : Yekima De Bel’Art esquisse le respect des gestes barrières, tousser dans le creux du coude (DR)

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