Evocation : regard sur les indépendances des pays d’Afrique francophone

Samedi 8 Août 2020 - 13:45

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La République du Congo va commémorer le 15 Août 2020 les 60 ans de son indépendance. Beaucoup d’autres pays, environ une quinzaine en Afrique noire francophone, ont, en effet en l’espace de quelques mois, autour de 1960, accédé à la souveraineté internationale. Evocation.

Comment en est-on arrivé aux indépendances après des décennies de colonisation ? Cette brusque accélération de l’histoire pose de nombreuses questions, notamment celle du rôle des élites et des peuples africains dans le contexte politique, économique et culturel mondial. Si l’on  s’en tient aux recherches de beaucoup d’historiens africains et aux archives françaises et étrangères, on comprend pourquoi les milieux politiques français, qui considéraient le mot indépendance comme tabou, finirent par s’y rallier ; pourquoi le panafricanisme sincère de Nkrumah ou tactique d’autres leaders échoua ; pourquoi la communauté créée en 1958 par le général de gaulle se défit, si peu de mois après avoir été construite, tandis que la coopération se révéla une politique d’avenir.

Alors que les images de violence et de tragédie sont encore assez souvent liées à la décolonisation, ce vaste panorama nous montre que « le soleil des indépendances » ne se lève pas nécessairement sur les champs de ruines.

 Regardons vraiment en arrière : sur les questions relatives aux causes et aux origines, à la combinaison des facteurs internes, on peut noter qu’ici, il convient de retenir les continuités idéologiques fondamentales et les attitudes de refus qui ont constitué un soubassement, en quelque sorte récupérable, et effectivement récupéré, dans le discours et dans la symbolique, sinon dans la pratique, anticoloniaux.

La colonisation a cependant introduit dans cette continuité des ruptures qui peuvent prendre un caractère ambivalent transformant par exemple « l’ethnicité » en « tribalisme », mais engendrant aussi, volontairement ou non, des cadres nouveaux propres à l’accélération des contestations ouvertes à la modernité : partis, associations, mouvements coopératifs et étudiants.

C’est dans la combinaison des deux phénomènes de longue durée et du changement conjoncturel que réside évidement l’explication de la poussée décisive vers l’aboutissement ultime des indépendances. A cet égard, il est important de relever éloquemment comment la revendication d’égalité qui a si fortement caractérisé les élites francophones, spécialement sénégalaises, préfigura la revendication d’indépendance, et l’impliquait nécessairement.

On peut aussi s’interroger sur les facteurs externes qui ont pu contribuer à « mûrir » les situations. Le contexte international était sûrement peu favorable au maintien en survie des empires coloniaux, même rebaptisés autrement ; une « Amérique ambigüe », une ONU hostile, des colonisateurs divisés et fatigués, il n’y avait guère là un environnement que la France puisse mettre à profit, à la fin des années 50.

Et l’Algérie ? N’a-t-on pas eu tendance à lui attribuer une importance démesurée dans le choix décolonisateur de la France en Afrique noire ? Que représente cette dernière pour l’Algérie musulmane ? S’il n’y eut pas un « mutisme » africain aussi net qu’on voulait le dire, s’il y eut bien de révélations, de prises de positions chez les leaders noirs, force est de constater, là aussi, qu’on en resta à des sympathies impuissantes. Quant à l’Algérie dans la politique africaine de la France, elle joua essentiellement le rôle de simple « aiguillon » ;

 Sur les questions relatives au transfert de la souveraineté, il faut tout d’abord commencer par une remarque. On a coutume d’opposer les décolonisations « pacifiques » de l’Afrique noire francophone au moins, aux luttes armées d’Asie et d’Afrique du Nord ; et certains témoignages tendraient à faire croire que tout se passa presque « dans la bonne humeur ». Loin de nous, l’idée de les mettre en doute, mais ils caractérisent des situations exceptionnelles. La violence et les tensions se multiplient. On le savait déjà pour Madagascar et pour le Cameroun ; la vision d’une décolonisation irénique est un mythe.

Il a volé en simples éclats une fois encore ici, mais en dévoilant des réalités autrement complexes. Les forces en présence n’étaient pas seulement ni simplement celles du colonisateur et du colonisé ; elles furent aussi et surtout des forces « indigènes » qui s’affrontèrent autour d’un enjeu majeur : le pouvoir à prendre et à conserver.

 

Cette violence au paroxysme en Guinée exista aussi au Congo (Brazzaville) de manière ouverte au Mali fédéré et en Haute Volta (actuel Burkina Faso) de manière plus camouflée.

On peut s’interroger évidemment sur la signification de cet usage de la violence.

Après les voies et moyens, la question se pose du Transfert à qui ? Autrement dit, des partenaires et des adversaires de la marche aux indépendances, des acteurs vainqueurs ou écartés.

Ici, il ne faut pas seulement se contenter de la litanie des pères fondateurs et des ténors politiques de l’époque. Que ce soit à propos de l’évolution de la Communauté, de la crise de la Fédération du Mali, du rapport entre la Guinée et ses voisins ou de l’échec de la création de la République centrafricaine par Barthélémy Boganda. Il faut relever les rôles joués par Senghor, Mamadou Dia, Modibo Keita, Houphouët Boigny, Sékou Toure, Barthélémy Boganda, Jacques Opangault, Félix Tchicaya ; rôles à inscrire dans le contexte des enjeux et des contraintes du moment.

A cet égard, particulièrement intéressants, ont été les apports des élites intellectuelles : les nouveaux cadres administratifs appelés à remplacer les français, et formés à l’Institut des hautes études d’Outre-mer, héritière de la vénérable et ancienne Ecole coloniale ; les étudiants de la FEANF dont les itinéraires et les options ont été soigneusement définis. L’hypothèse séduisante d’un « réseau des prêtres » qui auraient profondément orienté l’évolution politique des pays de l’ex A.E.F est à creuser. L’analyse de l’action et du recrutement des syndicats, il est vrai, largement défrichée, est à ne pas sous-estimer pendant ces années décisives.

Transfert, à quelles dates ? La question n’est naïve qu’en apparence comme le montrent les archives. Tout dépend, en effet, de l’approche et des choix méthodologiques. Pour les Malgaches comme le rappelle Jacques Rabemanandjara, témoin et acteur, tout commence en 1947 ; pour les Africains, dix ans plus tard, avec les suites de la loi-cadre ; on pourrait encore compliquer en soulignant que le signal fut donné entre 1951 et 1954 lorsque les Britanniques firent souffler en Gold Coast les premières brises de ce « Vent de changement » dont le Premier ministre M C Millan devait connaître la force irrésistible en 1959. Il est certain que l’entrée en vigueur des accords de coopération dès 1961 se conjuguant avec les transferts de compétences marqua un point d’aboutissement ; mais, la remise en cause et la révision de ces accords en 1974 ont déterminé l’« avènement d’une nouvelle indépendance ».(A suivre)

 

 

 

 

 

 

Emile Aurélien Bongouandé

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