Mondial 2014 : mauvais résultats, primes et indiscipline plombent le bilan du football africain

Samedi 5 Juillet 2014 - 0:15

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Les plus optimistes souligneront que l’Afrique a qualifié, pour la première fois, deux équipes en huitièmes de finale, le Nigeria et l’Algérie. Mais le parcours honorable des Fennecs et des Super Eagles est surtout l’arbre qui cache la forêt. Car avec trois petites victoires en dix-sept matchs joués, le football africain fait, avec l’Asie (0 pointé) figure de mauvais élève. Pire encore, les éternels problèmes de primes et les comportements extra-sportifs ont terni l’image du football continental

Honneur aux bons élèves, l’Algérie et le Nigeria, qui ont fait honneur à leurs couleurs, et par ricochet, au football africain. Champions d’Afrique en titre, les Nigérians ont connu un départ diesel, presque inquiétant. Leur entrée en matière face à l’Iran a été très poussive (0-0), face à une équipe plus courageuse que talentueuse. L’(in)animation offensive des Super Eagles a d’ailleurs interpellé plus d’un observateur.

Odemwingie titulaire, la défaite référence face à l’Argentine de Messi
Mais Stephen Keshi a su réagir et changer ses choix initiaux en titularisant Peter Odemwingie lors du match suivant. L’ancien Lillois a apporté une touche technique supplémentaire à l’attaque nigériane. Buteur victorieux face à la Bosnie (1-0), Odemwingie, placé en 9 et demi, a soulagé le duo Musa-Emenike, qui ont ainsi pu se concentrer sur le but adverse. Et si la victoire n’a pas été au rendez-vous, à cause d’un Messi des grands soirs, les Nigérians ont livré un beau match face à l’Argentine (2-3), synonyme d’un huitième de finale. Un bonheur qu’ils n’avaient plus connu depuis 1998.

Arbitrage défavorable face à la France et favorable contre la Bosnie
Peu épargnés par les blessures (Oboanoba face à l’Iran, Babatunde face à l’Argentine, Onazi contre la France), les Super Eagles ont aussi subi un arbitrage défavorable en huitièmes face à la France : si le hors-jeu d’Emenike, pourtant réel, a vainement fait couler beaucoup d’encre, le penalty non sifflé pour un ceinturage d’Evra sur Odemwingie ou le terrible tacle de Matuidi sur Onazi n’ont pas été sanctionnés comme il se devait. À l’inverse, les Super Eagles doivent, en partie, leur présence au second tour à une erreur d’arbitrage favorable face à la Bosnie (but de Dzeko annulé à la 21e).

Enyeama, meilleur joueur d’une équipe somme toute limitée
Globalement, il y a du potentiel dans cette équipe, mais pas assez de talent pour espérer mieux. L’absence d’un vrai meneur de jeu fait regretter les brillants Okocha et Amunike ; et Obi Mikel, qui joue de moins en moins en club, est certes un bon récupérateur, mais pas un chef d’orchestre. Sur les ailes de la défense, Keshi a été contraint de faire jouer des défenseurs axiaux, dont le très peu véloce Ambrose. Meilleur joueur nigérian du tournoi avec 21 arrêts en 4 matchs, Vincent Eneyama est avec l’Algérien Raïs M’Bolhi (23 arrêts), l’un des meilleurs portiers du tournoi.

Nouredine Kourichi : « La star de l’Algérie, c’est l’équipe »
Ce qui nous amène aux Fennecs de Vahid Halilhodzic, entrés dans l’histoire de leur pays en devenant la première équipe algérienne à se qualifier pour les huitièmes. Probablement moins talentueuse, sur le papier, que la génération 1982 (Belloumi, Madjer ou Dahleb), la génération 2014 a affiché un état d’esprit et une force collective impressionnants. Dans les colonnes de notre numéro spécial Coupe du monde, Nouredine Kourichi, l’adjoint d’Halilhodzic, expliquait que la star de l’Algérie « était l’équipe ». Cela s’est confirmé dès l’entame.

Un collectif brillant, un coaching gagnant
Malgré la défaite face à la Belgique, les Fennecs ont réalisé un bon match (1-2). Confirmé par la belle victoire face à la Corée du Sud (4-2 après avoir mené 3-0). L’un des succès du staff technique est d’avoir réussi à mettre les individualités, comme Feghouli, Brahimi ou Taïder, au service du collectif. Le coaching de l’ancien buteur du FC Nantes est aussi à saluer : après un match nul acquis au mental face à la Russie (1-1), « coach Vahid » n’a pas hésité à changer cinq éléments pour le huitièmes de finale face à l’Allemagne.

Le départ d’Halilhodzic peut-il briser la dynamique algérienne
Et le pari a été presque gagnant : face aux triples champions du monde, les Fennecs ont été brillants et héroïques. Et s’ils ont craqué en prolongations (0-2), le bilan est forcément bon. Seule ombre au tableau, le technicien bosniaque, lassé par ses relations tendues avec la presse locale, jette l’éponge. Ce qui risque de briser une dynamique qu’il aurait pourtant fallu entretenir à deux mois du début des éliminatoires pour la CAN 2015. Espérons que cette belle équipe algérienne ne soit pas pénalisée par les changements à venir.

Les affaires de primes, une habitude depuis 1974
Si le manque de stabilité n’est pas une exclusivité africaine, les problèmes de primes sont devenus une spécialité, dont il se passerait bien, du football africain. Dans un entretien réalisé par le quotidien L’Équipe, Mwepu Ilunga expliquait récemment comment les Léopards du Zaïre avait été déstabilisés, en 1974 (déjà), quand les primes des joueurs avaient été détournées « par des prédateurs dans la délégation ». Quarante ans après, de tels faits sont devenus tellement courants qu’ils n’étonnent plus. Mais ils plombent la progression du football continental.

Les Lions commencent par une grève avant même d’arriver au Brésil
Premiers à s’illustrer dans cette rubrique, les Camerounais ont fait grève avant même de poser le pied sur le sol brésilien. Alors que le gouvernement camerounais avait doté les joueurs d’une prime individuelle estimée à 50 millions de CFA, les Lions Indomptables ont refusé d’embarquer dans l’avion tant que la Fécafoot ne leur versait pas les 10 millions dus à chaque élément (en vertu des 6% de dotation Fifa que la Fédération devait contractuellement rétrocéder aux joueurs). Si la méfiance des joueurs à l’encontre d’une Fédération habituée aux frasques financières semble légitime, cette grève de millionnaires a choqué l’opinion mondiale. Et mis une sacrée pression sur les épaules des hommes de Volker Finke.

Jeu de mains, jeu de vilains, coups de tête et caprices de vedettes
Une pression vraisemblablement trop lourde pour un groupe limité sportivement et miné par les luttes d’ego. Car les Camerounais ont roulé leurs spectateurs dans la farine en jurant avoir changé d’état d’esprit par rapport au Mondial 2010, de triste mémoire. Las, les Lions ont fait encore pire au niveau comportemental avec la honteuse agression de Song sur Mandzukic, le coup de tête d’Assou-Ekotto à son coéquipier Moukandjo et les caprices de diva d’un Eto’o qui semble, désormais, vivre dans une autre galaxie.

Suspicions de match truqué et niveau calamiteux
Au niveau sportif, le Cameroun a été sur la lignée du Mondial 2010 avec trois défaites, mais avec neuf buts encaissés, les Lions ont réussi à faire pire. Et peuvent remercier l’arbitre du match face au Mexique qui a refusé deux buts valables à la Tricolore. Mais, cerise sur le gâteau, le match Cameroun-Croatie fait état d’allégations, qui semblent prises au sérieux par la Fécafoot, de paris truqués. Primes, guerre d’ego, niveau insuffisant, la recette camerounaise a malheureusement été administrée au Ghana.

Chez les Black Stars, primes et grève au menu…
Ambassadeurs brillants du foot africain en 2006 et 2010, les Black Stars n’ont pas pu et su réaliser la passe de trois. Certes, les Ghanéens étaient placés dans un groupe relevé. Mais là encore, l’équilibre du groupe a été plombé par une affaire de primes totalement incompréhensible, car, après dix jours de tensions, de grève d’entraînement, les primes ont finalement été versées aux joueurs. Un avion spécial a été affrété pour apporter l’argent, en liquide, aux joueurs : comme si le foot ghanéen, qui ne dispose pas d’un championnat professionnel, avait pouvait se payer le luxe d’un vol spécial pour expédier une mallette de cash, alors que les virements bancaires sont gratuits.

…et bagarres en dessert
De toute façon, le mal était fait et la tension avait atteint son paroxysme avec la bagarre opposant Sulley Muntari à Moses Armah Parker, le manager général de l’équipe. Ce n’est malheureusement pas le seul affrontement physique que le Ghana eut à déplorer, puisque Kevin-Prince Boateng en est venu aux mains avec son sélectionneur, James Kwesi Appiah. Le joueur de Schalke aurait pourtant dû faire profil bas, tant il a été nul, le mot n’est pas trop faible, lors de sa titularisation face à l’Allemagne. Mais non, comme le ridicule ne tue pas, il est allé, avec sa manière d’impoli, demander des comptes à Appiah qui ne s’est pas couché devant la pseudo-star, dont la carrière internationale est probablement terminée.

Le revers face aux USA définitivement préjudiciables
Et le terrain dans tout ça ? Handicapés par un axe central d’une grande faiblesse (Mensah-Boye), les Ghanéens perdent le match qu’il fallait gagner, face aux USA (1-2). Le nul face à l’Allemagne (2-2) qui suivit fut plus honorifique qu’utile. Mais laissait un infime espoir aux Black Stars. Qui ne sont pas parvenus à battre un Portugal abordable. Deux bourdes de Boye et Dauda vont renvoyer le Ghana à la maison (1-2).

Appiah, un technicien à poigne mais aux choix discutables
Si James Kwesi Appiah n’a pas été aidé par ses dirigeants, certains choix du technicien ghanéen sont discutables, à commencer par le positionnement de Kwadwo Asamoah au poste de latéral gauche. Comment se priver, dans l’entrejeu, d’un gaucher aussi technique alors que Daniel Opare, capable de jouer sur les deux flancs ou Jeffrey Sclupp, auteur d’une saison pleine à Leicester, auraient pu faire l’affaire ? La sélection de Michael Essien laisse aussi pantois : si le Bison a été un joueur extraordinaire entre 2001 et 2011, il n’est, à 31 ans ( ?), plus que l’ombre de lui-même depuis trois saisons (47 matchs de championnats).

Drogba, symbole de l’échec ivoirien au Brésil
La gestion des gloires déclinantes a aussi été au cœur de l’échec ivoirien. Qui porte, en grande partie, un nom : Didier Drogba. L’ancien attaquant de Chelsea a été un joueur éblouissant et a porté haut les couleurs de l’Afrique sur tous les terrains européens durant une décennie. Mais son comportement lors du Mondial a été préjudiciable pour sa sélection. Alors que Sabri Lamouchi avait choisi de miser sur la vitesse et la vélocité du trio Kalou-Gervinho-Bony, Drogba n’a pas joué le jeu, rechignant à endosser le rôle du joker de luxe qui entre en cours de match pour faire la différence.

La grogne de l’ancien Marseillais plombe la stratégie de Lamouchi
L’idée était pourtant bonne et a porté ses fruits face au Japon : son entrée en jeu, alors que les Éléphants étaient menés au score, a galvanisé ses coéquipiers qui l’emportent finalement 2-1. Au lieu de s’en réjouir, l’ancien Guingampais étale ses états d’âme et sa déception d’être remplaçant. Malgré la défaite face à la Colombie (1-2 avec une perte de balle coupable de Zokora), les Eléphants n’ont besoin que d’un match nul face à la Grèce pour décrocher l’historique qualification.

La guerre intestine entre Yaya Touré et Didier Drogba
Pourtant étouffé par le « vieux » Mario Yepes face à la Colombie, Drogba exige et obtient sa titularisation face à la Grèce. Et sera bien décevant jusqu’à sa sortie. Mais le plus désolant réside dans les révélations de la presse ivoirienne qui font état d’une malsaine rivalité entre Yaya Touré et Didier Drogba pour le capitanat. Alors que la Côte d’Ivoire tend les bras à une qualification historique, ses deux leaders se chamaillent pour le brassard… et rateront tous deux leur match.

La leçon de solidarité des Grecs
Triste et frustrant pour une équipe qui prendra une leçon de solidarité et de dévouement de la part des Grecs. Un match qui prendra une dimension tragique avec le penalty, sévère mais existant, concédé dans les ultimes secondes (1-2).

Aurier et Gervinho, les satisfactions ivoiriennes du Mondial
La malédiction ivoirienne perdure donc, prolongeant une décennie d’échec pour une génération qui aurait dû tout rafler, au moins sur le plan continental. Mais minée par les clivages entre Drogba et les Académiciens, les Eléphants font choux blanc. Malgré ce dur constat, la Côte d’Ivoire reste compétitive avec des éléments comme Gervinho, Aurier, la révélation ivoirienne du Mondial, Bony et Yaya Touré.

Suivre l’exemple du Congo et de l’Algérie dans la gestion des primes
Sévère mais lucide, ce constat n’est pas un réquisitoire à charge, mais tente de cerner les obstacles qui empêchent l’essor du football africain. Le talent est bien là, et le potentiel est immense. Le gâcher par des affaires de primes, qui avaient déjà émaillé les parcours du Cameroun en 1990 et 1998, du Sénégal en 2002, du Togo en 2006, n’est pas une fatalité. En Algérie, comme au Congo ces dernières années, ces problèmes n’existent plus : chez les Fennecs, la transparence est totale concernant la dotation de la Fifa et les sommes versées aux joueurs. Rappelons que chez les Diables rouges, les virements bancaires ont été mis en place par la SCPS, qui réduit également les risques de dérives de type « 10% ».

Solidifier le statut du sélectionneur, seul maître du vestiaire
Les batailles d’ego existent dans toutes les équipes du monde : religion aux Pays-Bas, coutume en équipe de France, elles prennent toutefois une dimension supérieure dans le football africain, qui court encore derrière la première demi-finale de son histoire. Loin d’être aisée, la solution passe par un renforcement du rôle des sélectionneurs, qui doivent être confortés dans leurs choix et stratégies par leurs Fédérations et ministres de tutelle. Seul un sélectionneur fort peut réguler les humeurs d’un vestiaire.

Savoir écarter des joueurs populaires pour assainir le vestiaire
Quitte à écarter les perturbateurs à forte popularité, ce qui vaut, bien sûr, pour toutes les équipes. Le parcours de Vahid Halilhodzic, maintenu après l’échec à la CAN 2013, est aussi parlant : il a su écarter les « grosses têtes » comme Ziani, Djabbour ou Matmour pour assainir son vestiaire et mener à bien son projet. Des décisions parfois impopulaires, souvent critiquées par la presse, mais nécessaires pour éviter de polluer l’ambiance du groupe et entraver la marche en avant des équipes.

Camille Delourme

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : La titularisation d'Odemwingie a fluidifié le jeu des Super Eagles. (© DR) ; Photo 2 : Vincent Enyeama est le meilleur joueur nigérian, preuve des limites sportives des Super Eagles. (© Adiac) ; Photo 3 : Maintenu en 2013, Vahid Halilhodzic a su créer une équipe d'Algérie collective et brillante. (© Dzfoot.com) ; Photo 4 : Avant le début de la compétition, les Lions indomptables étaient en grève et sont arrivés au Brésil avec retard. (© Adiac) ; Photo 5 : Alexander Song et Samuel Eto'o ont échoué dans le rôle de leaders qu'il leur était dévolu. (© Adiac) ; Photo 6 : Sulley Muntari a fait le coup de poing avec le manager général de la sélection ghanéenne. (© DR) ; Photo 7 : Alors qu'il ne joue presque plus depuis trois ans, Michael Essien méritait-il sa sélection ? (© DR) ; Photo 8 : Les relations plus que tendues entre Touré et Drogba ont gâché le parcours ivoirien. (© Adiac) ; Photo 9 : Sabri Lamouchi avait choisi de donner le brassard à Touré et de placer Drogba sur le banc : ce dernier l'a vécu comme un affront. (© Adiac) ; photo 10 : Aurier et Gervinho portent les espoirs ivoiriens pour la suite de la compétition. (© Adiac)