Interview. Maître Katako Okende Nicolas : « L'interminable crise congolaise est d'abord une crise constitutionnelle»

Mardi 23 Septembre 2014 - 18:45

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Premier vice-président de l’Alliance des mobutistes (AMO) et juriste de son état, Me Katako Okende va au-delà du débat classique sur la possibilité de réviser la Constitution de la RDC et propose plutôt une totale rédaction de ladite loi fondamentale répondant à la volonté du pouvoir constituant originaire. Cela aura le mérite de fermer définitivement la longue parenthèse de l’imbroglio constitutionnel.

Les Dépêches de Brazzaville : Le débat sur la révision de la Constitution prend des allures inquiétantes. Qu’elle est l’opinion de l’AMO à ce sujet?

Katako Okende Nicola : Pour nous, les néomobutistes, c’est-à-dire les mobutistes débarrassés des pesanteurs de la guerre idéologique, il n’est pas question de procéder à une quelconque révision de la Constitution du 18 février 2006, qui n’est qu’un faux, comme toutes les Constitutions ayant régi le Congo-Léopoldville après la Loi fondamentale du 19 mai 1960 relative aux structures du Congo. Il est plutôt question de rédiger la Constitution définitive du Congo postcolonial, qui n’a jamais été adoptée conformément à la volonté du pouvoir constituant originaire de l'ex-Congo belge. En effet, la Constitution est l’acte fondateur de l’État. C’est le document dans lequel l’individu ou le groupe d’individus disposant du monopole de la  contrainte physique  légitime procède à l’aménagement du pouvoir politique dans l’État qu’il fonde.

Dans le cas d’espèce, le pouvoir constituant originaire du Congo Indépendant c’était le parlement belge, qui adopta la Loi Fondamentale, fruit d’un consensus avec la classe politique congolaise à la Table ronde belgo-congolaise de Bruxelles en 1960. Constitution provisoire, la Loi fondamentale a institué le pouvoir constituant dérivé qui devait adopter la constitution définitive du nouvel Etat, et a défini la procédure d’adoption et de l’entrée en vigueur de cette constitution définitive. Hélas, quelques jours après l’installation des chambres parlementaires élues en 1960, le président Kasa-Vubu  révoquera le Premier ministre Lumumba au mépris de la Constitution, et de manière franchement antidémocratique. S’étant saisi du dossier, le Parlement renouvela sa confiance au Premier ministre. Sous la pression des dirigeants occidentaux, le chef de l’État rejeta le vote du Parlement, le déclarant « précipité », et mettra sine die les deux chambres en congé. Paralysé, le Parlement congolais ne siégera pas en assemblée constituante et ne mettra pas en place les nouvelles institutions du pays conformément aux prescriptions du pouvoir constituant originaire.

LDB : D’où et comment serait alors venue la première Constitution du Congo indépendant ?

KON : Après tous les évènements précédemment décrits, c’est plutôt une « commission constitutionnelle » qui, au mépris flagrant de la volonté du pouvoir constituant originaire, siégera à Kananga et octroiera au peuple congolais la Constitution de la République démocratique du Congo du 1er août 1964, dite Constitution de Luluabourg. De fraude en fraude, on en est arrivé à la Constitution du 18 février 2006, en passant par la Constitution du 24 juin 1967, l’Acte constitutionnel de la transition, le Décret-loi constitutionnel n°003 du 27 mai 1997 relatif à l’organisation et à l’exercice du pouvoir en République démocratique du Congo, et enfin l’Acte global et inclusif, Constitution de transition de Sun city.  « Fraus omnia corrumpit », dit un célèbre adage juridique. Le faux n’engendrant que le faux, l’ex-colonie belge se trouve dépourvue de Constitution depuis le 1er août 1964. La question étant d’actualité ce jour, il est temps d’y répondre une fois pour toutes par la rédaction et l’adoption de cette Constitution répondant aux prescriptions du pouvoir constituant originaire. L’on fermera ainsi définitivement la longue  parenthèse de l’imbroglio constitutionnel mais aussi, nous l’espérons, de ses incessantes violations délibérées. Dans tous les cas, il ne sert à rien de réviser un faux texte, encore moins de le maintenir.

LDB : Quel schéma pratique proposez-vous pour l’élaboration de cette nouvelle Constitution sans tomber dans une situation de coup d’État ?

KON : Depuis le 5 septembre 1960, le Congo-Zaïre vit sous le coup d'État constitutionnel permanent. Avec la rédaction de la Constitution définitive du Congo postcolonial tant attendue, les Congolais mettront fin à l'évolution circulaire que ce pays-providence connaît depuis son entrée dans Pax Christiana, sous la houlette de l'Église catholique romaine, à la fin de l'âge des ténèbres. Il sera, par la même occasion, mis fin au coup d'État constitutionnel permanent datant de 1960. Le schéma pour la rédaction de cette Constitution ? Il faut simplement interroger la Loi fondamentale du 19 mai 1960 sur les structures du Congo et procéder aux ajustements appropriés. Pour plus de détails, l'Alliance des mobutistes  invite le public, surtout scientifique, à participer nombreux à la grande conférence-débat qu'elle organisera le 30 octobre à l'occasion de la commémoration du discours du Maréchal Mobutu Sese Seko à la tribune des Nations unies.

LDB : Quel est l’intérêt d’une telle initiative maintenant ?

KON : Maintenant, plus que jamais, il faut mettre le Congo-Zaïre sur le rail, sur la voie d'une réelle république, d'une réelle démocratie, d'une réelle majorité et d'une réelle opposition fondées sur le respect effectif des textes et l'organisation des élections crédibles, œuvre d'un souverain conscient de ses choix et capable de les défendre. Il est utile de retenir que les Congolais n'ont jamais connu une expérience constitutionnelle avant la "décolonisation" de 1960. Hélas, aussitôt cette nouvelle expérience amorcée, ceux-là mêmes qui nous l'ont apportée nous ont appris que la Constitution n'est qu'un chiffon, un simple chapelet d'intentions qu'on peut ne pas appliquer, et pire qu'on peut même piétiner en toute impunité. Ainsi, sous leur pression, au nom de la défense de l'Occident au top niveau de la guerre froide, le chef de l'État congolais limogea le Premier ministre au mépris flagrant de la Loi fondamentale. Aujourd'hui, les mêmes Occidentaux sont, avec l'Église catholique romaine (source originelle de la légalité internationale) en tête, les premiers à recommander le respect strict de la Constitution, subitement devenue, on ne sait par quelle baguette magique, sacrée et donc inviolable. Bref, l'interminable crise congolaise est d'abord et avant tout une crise constitutionnelle. Le Congo/Léopoldville était mort dans l’œuf par le rejet de son acte fondateur, la Loi fondamentale. Résoudre cette crise passe d'abord par le respect de la volonté du pouvoir constituant originaire.

LDB : Quel bilan les mobutistes dressent-ils de la démocratie en RDC ?

KON : Acteur et témoin privilégié de l’histoire coloniale et postcoloniale de son pays, le Maréchal Mobutu a versé les larmes le 24 avril 1990. Cela, pour deux raisons majeures : d’une part, il savait que, résultante de la dynamique interne d’une nation, la démocratie ne se décrète pas, comme l’a fait la Perestroïka ; d’autre part, il était parfaitement conscient de la médiocrité de la classe politique congolaise. Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à constater le nombre illimité des partis politiques actuels, alimentaires dans leur quasi-totalité,  avec des membres s’agglutinant non autour des idéologies globalisantes, mais autour de quelques visages emblématiques pour, le moment venu, participer au partage du gâteau national. Pourtant, réaliste, Mobutu suggéra le multipartisme à trois à la fin de la guerre idéologique. En réalité, la pratique démocratique est atypique en RDC. Avec une opposition inexistante depuis 1960, car ne faisant que l’obstruction, la classe politique congolaise, égocentriste à souhait, offre au monde le répugnant spectacle de « ôte-toi de là que je m’y mette » et de « j’y suis, j’y reste. Avec force ! ». C’est là une preuve, de plus, que nos textes constitutionnels ne sont pas adaptés aux réalités africaines. En effet, jusqu’à la décolonisation des années 60, l’Afrique n’a pas connu d’expérience républicaine. Depuis des temps immémoriaux, le continent noir n’a vécu que dans la monarchie. Sans transition, passer de la monarchie à la république, est une entreprise vouée à l’échec. Bien plus, sans transition, passer, dans des sociétés politiques inachevées, de la démocratie consensuelle (« l’arbre à palabre », propre aux groupements humains des dimensions réduites) à la démocratie parlementaire occidentale hypersophistiquée, propre aux  sociétés politiques achevées et aux dimensions robustes, c’est ouvrir la voie à d’interminables conflits et guerres intercommunautaires. L’histoire de l’Afrique postcoloniale est assez éloquente à ce sujet. Voilà pourquoi, plus que jamais, c’est le moment  d’écrire, en toute souveraineté, des textes adaptés aux réalités sociales et aux valeurs culturelles africaines, selon l’ardent vœu des pères de nos indépendances, et même du mouvement de la Nouvelle renaissance africaine.

Jeannot Kayuba

Légendes et crédits photo : 

Me Katako Okende Nicola