Interview. Moïse Moni Della :" Le discours de Kabila est un rendez-vous manqué avec la population"

Mardi 16 Décembre 2014 - 17:49

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Réagissant au discours du chef de l’État devant le congrès, le secrétaire général du Rassemblement des Congolais démocrates et nationalistes (RCDN), une figure de l’opposition congolaise, estime que Joseph Kabila n’a pas rencontré les attentes des Congolais. Dans cet entretien accordé aux Dépêches de Brazzaville, il estime que la situation du pays est contraire à la conception du chef de l’État.

Les Dépêches de Brazzaville : Quelle lecture faites-vous du discours du chef de l’État devant le congrès ?

Moïse Moni Della Idi : C’est un discours indigeste et insipide. C’est un rendez-vous manqué de M. Kabila avec le peuple congolais, parce que lorsque des milliers de gens meurent par jour parce qu’ils manquent de quoi manger et de quoi se soigner, parce qu’ils sont tués par des forces négatives, et il y a en face un gouvernement incapable de les sécuriser, lorsque les militaires sont sous-payés et lorsque les femmes sont violées tous les jours, et le Congo est devenu aujourd’hui la capitale du viol, lorsque le Congo est placé parmi les pays les plus corrompus du monde, selon Transparancy international, lorsque le Congo se trouve à la queue des pays les moins développés du monde, selon l’indice du développement du Pnud, l’on voit un président de la République faire l’autosatisfaction et dire que tout se passe bien, on se demande dans quel monde l’on est. Est-ce que Kabila a cerné les réalités de notre pays ? J’ai comme l’impression que ce discours n’est pas celui d’un chef de l’État congolais. Ce sont des propos d’un chef d’État d’un pays développé, européen ou d’un pays émergent.

On a tué les gens à Beni alors que le chef de l’État était dans la ville. Cela est un message fort. Lorsque l’on est devant cette réalité, on doit être modeste et accepter de regarder la vérité en face. Cette vérité qui saute aux yeux est que le Congo ne se porte pas bien. Lorsqu’il parle de la communauté internationale, pour dire que le Congo a besoin des conseils et non des injonctions, je pense que ce discours ressemble à celui de Blaise Compaoré. On devrait tirer les leçons de l’histoire.

Lorsque l’on est incapable de curer les caniveaux des nos municipalités sans l’aide de l’Union européenne alors que ces pays sont intervenus pour construire certaines de nos routes, lorsque l’on est incapable d’organiser nos élections sans l’aide de ces pays-là, on doit être conséquent car la main qui donne reste au dessus.

Demander le départ de la Monusco signifie, à mon avis, que l’on veut tuer, violer, tripatouiller les élections, sans témoins. Nous sommes dans un moment crucial, avec l’organisation des élections prochaines, et nous avons besoin de la communauté internationale pour nous accompagner. Que la Monusco joue le rôle de certification. Quand le pouvoir, qui recourt de temps en temps à la communauté internationale, est dans le besoin, cela semble être acceptable. Au cas contraire, il semble ne pas réaliser ce que cette communauté peut apporter au pays.

LDB : Joseph Kabila motive cette décision par le fait que le gouvernement a atteint un de ses deux objectifs, la fin à la guerre. Cela sous-tend-il qu’il n’a plus besoin de la Monusco, notamment dans son aspect militaire ?

MMDI : À Beni et les environs, les gens meurent plus qu’il y a peu, sous la guerre. La guerre n’est pas seulement le crépitement des balles. Il y a des coups de baillonnettes et de machettes ainsi que des maladies et autres qui déciment la population congolaise. On sait également que tous les analystes sérieux pointent un doigt accusateur vers les autorités de ce pays sur ce qui se passe à Beni-Butembo. Pour eux, si ce n’est pas la passivité de ces autorités, il y a leur complicité dans la situation que cette partie du pays traverse. À Katanga, c’est la même chose.

Nous avons donc besoin de cette communauté internationale, même pour enterrer nos morts. Joseph Kabila a dit qu’il y a dans le pays des gens capables de résoudre les problèmes qui se posent à la RDC. Mais on recourt toujours à la communauté internationale pour dénouer nos différentes crises.

LDB : Le président s’est félicité de la mise en place du gouvernement de cohésion nationale, qui comporte en son sein plusieurs tendances politiques du pays. Comment jugez-vous cette équipe ?

Ce gouvernement n’aura comme mission que d’organiser le glissement pour permettre à Kabila de se pérenniser au pouvoir, en tripatouillant la Constitution et les élections. Ce que le peuple attend de Kabila aujourd’hui, ce sont des élections au temps indiqué. Un gouvernement constitué à la veille des élections aura des difficultés à faire des projections, des planifications et développer le pays, parce qu’un gouvernement sérieux ne voudra pas signer des contrats ou s’engager avec un régime finissant et titubant, qui souffre d’une crise de légitimité. Déjà, le gouvernement précédent était incapable de sécuriser les Congolais. Ce que les gens attendaient du discours de Kabila, c’est de leur annoncer que les élections vont s’organiser dans le délai constitutionnel et qu’il ne va pas se présenter en 2016. Mais il est resté évasif. Le système n’a pas changé.

LDB : Il y a peu, vous étiez pour la mise en place de ce gouvernement. Comment expliquez-vous ce changement d’avis et de ton ?

MMDI : Moi, je ne suis pas pour un gouvernement qui donne des béquilles à Kabila. Ce gouvernement pouvait tenir si on l’a constitué en tenant compte de la politique réelle, de la crise de légitimité, de toutes les tendances, etc. Il y a de grandes figures et de grandes forces politiques dont on devrait tenir compte. Quand on laisse certaines grandes figures de l’opposition en prison ou on fait une amnistie sélective en écartant des gens comme Roger Lumbala, le président du RCDN, qui sont obligés de s’exiler, et l’on fait une lecture partisane, on ne devra pas parler de la cohésion nationale. D’ailleurs, même au sein de la majorité, il y a des mécontents. Que dire des provinces, de la parité ?

LDB : Kabila a cité des noms, sans mentionner Mobutu. Comment jugez-vous cette attitude ?

MMDI : Il a également oublié Tshisekedi. Comme le gouvernement, son discours devant le congrès ne reflète pas l’esprit de cohésion nationale. On ne peut pas escamoter une partie de l’histoire du pays alors que l’on parle de la cohésion nationale. Là, il rejoint Mobutu dans les discours vides.

LDB : D’une manière concrète, qu’est-ce qui a manqué dans ce discours ?

MMDI : Les deux questions majeures ont été les élections dans le délai et sa non-représentation en 2016. Ce discours n’a été qu’un saupoudrage, un raté. Il n’y avait pas du contenu, qui est l’avenir du pays.

LDB : Kabila a annoncé sa main tendue, êtes-vous prêts à négocier avec lui ?

MMDI : Kabila a dit que le pays est sorti de la zone de désespoir mais, en voyant sa façon de faire, il veut amener le pays dans une autre zone de désespoir. Il a également promis des lois au niveau du Parlement. Mais il y a déjà des prémisses qui dénotent de la volonté de confectionner des lois d’exclusion. D’ailleurs, je salue le retrait, par le député Delly Sesanga, de la proposition de loi modifiant la loi électorale dans laquelle le pouvoir a ajouté des éléments d’exclusion. Le débat sur l’exclusivité de la nationalité congolaise et sur la filiation est dépassé. On ne peut pas dire qu’une personne est électrice et qu’elle ne soit pas éligible. Même la Constitution stipule que tous les Congolais ont les mêmes droits. Si l’on veut exclure tous les métis comme Kengo, Olivier Kamitatu, Moïse Katumbi, Endundo ainsi que d’autres qui ne sont pas nés de deux parents congolais, ce sera une arme dangereuse qu’on sera en train de manipuler. Cette loi risque de tourner contre ses initiateurs. Insérer une telle loi serait un recul pour les droits de l’Homme et la démocratie au Congo.

Lucien Dianzenza

Légendes et crédits photo : 

Moïse Moni Della Idi