Carrière musicale: Michel Boyibanda de A à Z

Vendredi 27 Janvier 2017 - 18:30

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Il aurait pu devenir ingénieur, comme bien de ses compatriotes fréquentant l’école agronome de Mouindi, à Dolisie, dans le Niari, dans les années 1950. Mais il a choisi la musique, poussé sans doute par le mystère du destin qui veille en chacun de nous. Michel Boyibanda a forgé sa longue carrière aux travers de rencontres inattendues, voyageant entre Brazzaville, Pointe-Noire, Kinshasa et Paris. À 74 ans, aujourd’hui, s’il porte son âge, « Vieux Bobo », expression française parfaite, garde en mémoire le moindre détail de l’itinéraire qui en a fait l’un des grands noms de la rumba congolaise éternelle. Entretien.

Dans notre modeste lieu de causerie où il vient de prendre place, nous lui balançons "Sélenga", l’un de ses grands succès avec « les Trois frères », le groupe qu’il a monté avec Loko Massengo et Youlou Mabiala, en 1978, à Brazzaville, de retour de Kinshasa. Il s’écrie, fredonne quelques airs, joyeux et à la fois perplexe : il n’a plus ce titre dans son évanescente discothèque ! « Pourriez-vous, peut-être, me le copier sur un CD ou une clé USB ? ». Ce que nous lui promettons.  

Michel Boyibanda est né le 22 février 1943, à Makouango, une petite localité du district de Pikounda dans la Sangha, au nord-Congo. Son père, Gabriel Boyibanda fonde une famille d’une demi-douzaine de gosses avec deux femmes dont Simone Ewè-Ekoué, la mère de Michel et sa sœur cadette. A l’école primaire, Michel Boyibanda, tel un petit doué est par une ou deux fois reclassé au cours supérieur au point de se résoudre à voir son âge « augmenté » pour répondre à la norme scolaire qui voudrait qu’à une certaine classe corresponde un certain âge. Surtout lorsque cela concerne un enfant moins âgé. Il est désormais mentionné comme né en 1940. Il fréquente ensuite à Mouindi, dans le Niari. Il chante souvent. Pendant ce temps, Franklin Boukaka, artiste-musicien émérite, a des habitudes à Dolisie et s’y produit à intervalles réguliers. Les deux hommes font connaissance en 1958, et tout se précipite pour Michel Boyibanda. :

« Franklin Boukaka me demande de l’accompagner à Pointe-Noire, puis au Cabinda où nous restons trois mois. Nous-nous retrouvons ensuite à son initiative à Kinshasa. C’est sur place que j’écoute un communiqué sur la chaîne radio de l’AEF émettant à Brazzaville, appelant sept jeunes congolais à remplir des formalités administratives pour un voyage d’études en agronomie à Marseille en France. Ma grand-mère fait le voyage de Brazzaville à Kinshasa pour me chercher. Je décline de rentrer, car nous venions d’arriver et les perspectives semblaient bonnes pour Franklin et moi ». Sans doute, puisqu’ils créent alors l’orchestre Négro Band, le 11 novembre 1958. « Je n’aime pas me rappeler cet épisode de ma vie ».

Michel Boyibanda a de la considération pour Célestin Nkouka Célios, Edo Nganga, Delalune, Jean Serge Essous. Des aînés, qui assure-t-il, lui ont montré le chemin, l’ont bien accueilli invariablement à Kinshasa et à Brazzaville, lui ont prodigué de sages conseils. Il rappelle que c’est en souvenir de l’orchestre Négro Jazz fondé par ces derniers qu’il donna au sien et Franklin Boukaka le nom de Négro Band. Il reste dans ce groupe de 1958 à 1963, avant de le quitter pour des problèmes de management. Lui voulait faire venir un bon guitariste, de la taille de Papa Noël, virtuose en la matière, ses amis y étaient opposés. Il se souvient de sa chanson « Kourand tata wa biso » dans Negro Band et raconte :

« Papa Kourand était un fan de Negro Band comparé au président Fulbert Youlou qui lui aimait les Bantous de la capitale, orchestre crée en 1959. Mais Papa Kourand a tout entrepris pour nous faire aimer du président Youlou, et tous les lundis soir, Negro Band jouait chez le président Fulbert Youlou à Madibou. Il s’entourait de son épouse, Jeanne, et de sa mère ».

En 1963, Jean Serge Essous parraine l’entrée de Boyibanda dans les Bantous de la capitale. Il n’y reste pas longtemps, mais se fait remarquer grâce à sa chanson « Masuwa Enani », un hymne à la gloire des habitants des deux rives du fleuve Congo. : « Je traverse le fleuve pour Kinshasa avec Pamélo qui est proche de Tabu Ley Rochereau, qui a promis de nous prendre dans l’African Fiesta. Je ne trouve pas satisfaction auprès de ce dernier qui a des préférences pour le seul Pamélo. Je suis sur le point de regagner Brazzaville quand, au Beach, je rencontre Mujos. Alors musicien des Bantous de la capitale, sur le chemin de retour à Brazzaville, il est en compagnie de Franco Luambo Makiadi venu lui dire au revoir. C’est là que ce dernier me prend avec lui sur le conseil de Mujos ».

Pendant cette période, nous répète le musicien, « Nkouka Célestin, Edo Nganga, Delalune ont pris en main la gestion de l’Ok Jazz. Au cours d’une répétition, contre l’avis de Vicky Longomba, qui doute de mes qualités d’interprète, Kwami m’accorde de chanter en public. Nous sommes le 18 avril 1964. Je répète « Masuwa Enani ». C’est un succès. Quelques jours après, je signe un contrat en bonne et due forme avec l’Ok Jazz. Pour six longues années ».

Michel Boyibanda raconte ensuite l’épopée des « Trois frères » : quelques déceptions à Kinshasa le dissuadent alors de rentrer au pays en 1977. Rencontre fortuite avec le président Marien Ngouabi qui fait des courses avec son épouse, Céline Ngouabi en ville. Le couple lui rend hommage de ce qu’il défend bien les couleurs du Congo à Kinshasa. Puis avec Pierre Nze, chez qui, une fois de plus le président Ngouabi vient les trouver. Promesse d’achat d’instruments musicaux ; passage à vide après les événements du 18 mars. Il est enfin relancé en 1978 par le président Joachim Yhombi Opango. Lui, Loko Massengo et Gilbert Youlou Mabiala qui se fait prier au départ, font le voyage de Paris pour s’acheter leurs instruments. Les Trois frères sont nés, avec en prime, malgré ses caprices, semble-t-il légendaires, un Youlou Mabiala, auteur compositeur plus qu’inspiré avait apporté dans ses valises des chansons de rêve dont « Kumbé-Kumbé », « Ma vie la vie », ou encore « Saley ». Le succès est à son comble.

Malgré un répertoire fourni, les « Trois frères » ne vivent que huit mois. Evidemment ce patrimoine déborde largement le temps de vie de l’orchestre. Youlou Mabiala a d’autres occupations, il fait Kinshasa et Brazzaville, enregistre en solo où avec l’Ok Jazz. Youlou l’avait auparavant intégré grâce justement à Michel Boyibanda qui se souvient du voyage de ce dernier à Kinshasa, des réticences des meneurs de l’orchestre, Vicky Longomba et consorts, pour qui Youlou est un chanteur amateur qui ne pourrait tenir un poste dans la rutilante famille Ok Jazz. Il avait néanmoins fini par y faire partie, non sans montrer combien il ne voulait jamais être « emboité ». Il partait et revenait. Sa première chanson dans Ok Jazz, rappelle Boyibanda, est « Obimi Mbwe ».

Quand les « Trois Frères » disparaissent, Michel Boyibanda et Loko Massengo poursuivent l’aventure sous le label Rumbayas. Pas pour très longtemps. Michel mène une carrière solo à la tête d’Ebuka Système, retrouve des années plus tard Max Massengo pour se relancer à nouveau. Cela ne prend plus du tout, mais les artistes sont increvables. On ne peut pas, en effet, écrire une chronique de la rumba congolaise sans citer « Vieux Bobo » et son riche répertoire : « Bolingo na kozonga ou Miso na nzela, « Nzete esolola na moto te, Ata na Yebi, Diallo, Nana, Selenga, Masuwa Enani, Essous ayambi  ngai, Mbinzo,  etc. », sont autant de belles œuvres qui couronnent son immense carrière.

Mais « Vieux Bobo » ne se porte pas très bien du tout et le déclare : « Il faut que l’on m’aide à me soigner », implore-t-il dans un français, nous l’avons dit au début, impeccable ! Et nous lui avons souhaité, avec sa femme et ses enfants, les meilleurs vœux pour 2017. Après avoir partagé avec lui un verre de jus.

Gankama N'Siah et Valentin Oko

Légendes et crédits photo : 

1-Michel Boyibanda 2-après l'ITV-2

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