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Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : Papa Clo, un vrai patron

Vendredi 21 Septembre 2018 - 17:09

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Chaque époque a ses gloires. C’est avec un ton élégiaque que je vais parler de Clovis Passi, 81 ans aujourd’hui, dont plus d’une quarantaine à l’étranger. L’histoire se chargera de dresser un piédestal à ceux qui ont donné naissance au patronat congolais, Diallo Dramé, Mfina Matsiona, à l’instar de Clovis Passi.

Homme d’affaires congolais, Clovis Passi est passé par l’école de Mbounda. Tamba Tamba, Elenga Ngaporo et Christophe Moukouéké sont ses condisciples. Mbounda, école prestigieuse, a produit de nombreux cadres de notre pays. Clovis Passi n’enseignera pas. Il doit prendre la relève de son père décédé et assurer la survie de la famille. Il entre donc au Service géographique national. Mais doté d’un don surnaturel à soigner les gens, il devient guérisseur aux côtés d’un certain Honoré. Dans la même période, il crée à Moungali, un bar restaurant dénommé « Mami Wata » qu’il cède après à son partenaire. Il entre chez Bralima, actuelle Brasco, à la direction de la publicité. Bralima fabrique la bière Primus pour la République centrafricaine et le Tchad. La Primus n’est pas la première bière au Congo, comme le proclame son nom. Elle n’est pas consommée par les Congolais qui s’abreuvent de Kronenbourg, Heineken, Becks, Saint-Pauli, des bières importées. Clovis lance une première publicité vantant les qualités de la bière Primus. Brassée localement, donc fraîche, contrairement aux boissons importées, sa consommation permet aux femmes d’avoir des enfants, dit la réclame. Quelques consommatrices qui avaient des difficultés d’enfantement font soudainement des enfants. Primus devient le nouvel élixir de la procréation. Dès lors, elle connaît des pics extraordinaires de vente. Sans que les relations de causalité soient formellement établies, Kronenbourg inaugure son usine et décide de brasser sa bière à Pointe-Noire.

Profitant du nouvel engouement des Congolais pour la Primus, Clovis ouvre son dépôt de distribution de cette boisson dans la rue Bandas, à l’immeuble dit Clovis, au croisement de l’avenue de la Paix à Poto-Poto, aujourd’hui siège de l’école Cheik-Hamidou-Kane. Sa popularité et sa célébrité s’accroissent lorsque, dans la foulée de la création de son dépôt de boisson, il ouvre un débit de boisson, « Chez papa Clo », situé à l’intersection de l’avenue de la Paix et de la rue Mbochis, toujours à Poto-Poto. L’immeuble Juko de Mme Ikonga est bâti à cet emplacement. Il ne s’arrête pas en si bon chemin, il lance un nouveau bar, « La Canne à sucre », dans les environs du dispensaire Jane Vial, qui concurrence Elysées Bar, situé au rond-point de la Paix, à Moungali, cet autre « sanctuaire » de la vie mondaine de Brazzaville. Fort de l’expérience emmagasinée à la Bralima, Clovis Passi lance sa propre marque de bière, la Saint Joberc (Joseph Kaboualé, « Jo »,  Bernard Ayina, « Ber », ses deux condisciples et « C », pour Clovis). Elle était brassée en Suisse. Saint Joberc est un hymne à l’amitié dans cette cité cosmopolite de Poto-Poto où il faisait si bon vivre. « Le vivre ensemble », c’était le quotidien de Poto-Poto et des Congolais d’une manière générale. Les politiciens l’ont entamé dans leur « course au pouvoir », expression immortalisée par Luambo Franco dans sa célèbre et assassine philippique contre Kwamy qui l’avait précédemment gratifié d’un retentissant « Faux millionnaire ». On dit que Franco adorait cette chanson jusqu’au jour où il découvre qu’elle lui était destinée. Cette cocasserie n’est pas unique dans la chanson congolaise. Kabasele a vécu la même infortune avec la chanson de Masta Zamba, « Mayélé mabé », titre qu’il appréciait énormément, alors que son contenu lui était destiné.

Clovis Passi exportait la Primus et la Saint-Joberc à Kinshasa où elles étaient très prisées. Le parcours de Clovis Passi, admirable à maints égards, en a fait, avant son exil, l’un des patrons emblématiques du Congo. Dans le monde actuel, où chacun s’exagère son importance, Clovis est aux antipodes des Pdg, sans bureau, sans société, sans « ligablo », boutique en lingala, sans traçabilité, qui encombrent le monde des affaires au Congo sans faits d’armes probants. Lorsque l’Etat tousse, ils deviennent aphones et font aussitôt profil bas, rasant les murs de nos quartiers populaires après avoir déserté les lieux de leurs parades ridicules, le centre-ville de Brazzaville et ses troquets. Ils ne sont pas les seuls. Les malfaiteurs en col blanc, autres Pdg de pacotille, qui peuplent nos administrations et qui se targuaient naguère d’être riches, tremblent de tout leur être face à l’offensive de Lamyr Nguelet. D’autres croupissent déjà en prison. À qui le tour ? S’interroge-t-on dans nos chaumières où les gens se font des gorges chaudes devant ce revers de fortune qui a réduit à leur plus simple expression des gens surpris par une richesse soudaine, aussi faramineuse que scandaleusement thésaurisée. Le malheur des uns fait le bonheur des autres, disent avec une certaine délectation ceux qui voyaient passer la caravane ostentatoire des fortunes indues.

Clovis Passi, qui a déjoué les tours des difficultés d’un nom difficile à porter parce qu’il prédestine à une vie difficultueuse, a montré que les Congolais sont capables d’entreprendre avec succès. Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

 

 

 

Mfumu

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