Opinion

  • Brin d’histoire

Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : l’ethnocratie

Vendredi 28 Septembre 2018 - 14:54

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimableEnvoyer par courriel


Au nom d’une démarche hypocrite, la formation d’un gouvernement au Congo, depuis des lustres, repose sur les équilibres « géopolitiques ». Une jurisprudence établie admet le fait que   le président de la République étant du nord, le Premier ministre est du sud et vice versa. Le même équilibre est observé dans la composition de nombreuses institutions nationales. Le seul discriminant qui vaille, la compétence, est souvent occulté au profit de ce calcul politicien sédimenté par la pratique et par le temps. Et il dure. Et pourtant, lorsqu’on y a dérogé sous Massamba-Débat, président, Lissouba, Premier ministre, la République ne s’en est pas portée plus mal. Ce qui est sûr, c’est qu’en privilégiant cette fameuse géopolitique pour les autres postes au sein du gouvernement, un ministre pour chaque village, on pourrait battre le record du président ghanéen, Nana Akufuo Ado, qui  en a formé un  de plus d’une centaine de ministres, pour d’autres raisons que la géopolitique, sans doute. Ce qui, à coup sûr, ferait désordre, au moment où il est question de réduire de façon drastique le nombre de ministres dans l’éventualité d’un remaniement ministériel. Avec cette pratique enkystée de « l’ethnocratie, pouvoir d’une coalition de représentants autoproclamés des grandes ethnies », « les politiciens véreux qui n’ont pas de projet économique pour le pays jouent sur les émotions et renforcent le repli identitaire, le vote ethnique et le clientélisme », comme l’affirme le Dr Firmin C. Kitsoro Kinzounza, dans un récent papier,  publié dans La Semaine africaine. 

Dans son autobiographie non publié, Apollinaire Bazinga, ancien ministre, raconte : « Lors de la formation du nouveau gouvernement, le groupe majoritaire [UDDIA] ne pouvait pas se passer de nous, mais ne nous accordait que deux postes que  nous étions en droit de refuser ; cependant, tout le monde, traumatisé par le drame qui venait de se produire en février [les émeutes de 1959] dont le MSA fut seul à endosser les responsabilités, nos amis nous contraignirent à participer à ce gouvernement afin d’éviter le retour du désordre.

Mais lequel de notre groupe devait y entrer alors que l’UDDIA et son président s’opposaient à la participation de nos chefs Opangault et Kikhounga-Ngot, qui n’étaient pourtant pas chauds pour faire immédiatement partie du gouvernement puisque éprouvés par les derniers événements ?

Quelques camarades (dont moi-même), étaient chargés de négocier l’entrée à ce gouvernement de nos amis Aubert Lounda et Roger Rizet. Mais l’abbé Youlou repoussa les deux candidats, arguant que les deux éléments étant du Pool et du Niari, régions largement représentées au futur gouvernement dans le cadre de son parti, "la géopolitique au sein de l’équipe jouerait au détriment du nord du pays". […] Le président de notre formation [Opangault] suspendit les négociations et nous renvoya chacun à son domicile. Pendant ce laps de temps, il dressa une liste de sept noms qu’il envoya à son homologue qui devait choisir deux personnes devant faire partie de son équipe. A mon insu, mon nom figurait en bonne place sur cette liste. Vers 19h30, et à ma grande surprise, la radio publiait déjà l’équipe gouvernementale avec ma présence en qualité de ministre d’Etat et Okomba Faustin comme ministre du Travail et de la prévoyance sociale. Immédiatement après, j’étais inondé de coups de téléphone des amis m’adressant leurs félicitations…

Devant cette situation et ne pouvant contenir mon étonnement et mon émotion, je me transportai chez le président Opangault pour lui demander ce qui s’était passé en si peu de temps pour me retrouver ministre ; au camarade Opangault de me dire qu’il commençait en avoir assez des caprices de Youlou qui tentait encore une manœuvre pour nous rejeter la responsabilité de l’éventuelle absence du MSA au sein de son gouvernement. Il enchaîna : "Je me suis tactiquement incliné devant l’insistance de Youlou qui a tenu à vous avoir, Okomba et toi dans son équipe ; peut-être espère-t-il vous [récupérer] dans ses rangs, comme il en a l’habitude, en vue d’éliminer définitivement le MSA dans ce pays, mais tel que je vous connais, je suis absolument tranquille que vous ne trahirez pas. Le MSA te demande d’accepter cette mission et d’aller en son nom". Telle fut la réponse du chef de notre mouvement à la suite de mes remarques ».

Que ceux qui savent lire décryptent  cet extrait d’Apollinaire Bazinga, lumineux, à maints égards,  sur les us et pratiques politique sous nos cieux.

Au moment où le Congo s’apprête à commémorer les 60 ans de la République, la géopolitique, tare rédhibitoire aussi vieille que cette République, doit être jetée aux orties. Passé la fête, la République doit faire sa mue et remettre l’excellence au cœur de ses choix. Nsundi, Kouyou, Mbochis, Vili, leur dénominateur commun, c’est le Congo et, le seul discriminant, la compétence. Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

 

 

Mfumu

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

Notification: 

Non

Brin d’histoire : les derniers articles