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Choses d'autrui

Samedi 24 Novembre 2018 - 18:52

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Prendre grand soin de ce qui ne vous appartient pas, que vous avez souvent acquis avec moins d’élégance, par des méthodes rarement licites : voilà à peu près ce qu’est le sort des milliers d’objets d’art appartenant à l’Afrique, que les régimes coloniaux s’étaient attribués et qui peuplent les lieux de mémoire en Occident depuis la fin du système colonial ; voilà aussi le fond du débat en cours depuis plusieurs années, sur l’opportunité de resituer à autrui ce qui lui appartient de droit.

Sans doute que si ces œuvres étaient restées dans leurs pays d’origine, certaines manqueraient aujourd’hui à l’appel. Pour plusieurs raisons. Il semble en effet que depuis le départ du colonisateur, de ce qu’enseigne l’histoire qui se déroule sous nos yeux, l’une des choses essentielles sur lesquelles tant d’énergies et d’ingéniosités ont été mobilisées sur le continent noir a été la recherche du pouvoir politique. Or, on sait le pouvoir politique géniteur de passions, mais pas toujours celles qui subliment de nobles ambitions culturelles.

Dans certains de nos pays, il est fait peu de cas de ce patrimoine constitué d’instruments qui rappellent l’histoire des peuples d’Afrique. Tout au plus trouve-t-on ici et là, stockées dans des conditions plutôt précaires quelques pièces à peine datées mais riches en enseignements au regard des messages qu’ils véhiculent. Lorsque vos regards se croisent, elles vous alertent sur le peu de temps qui leur reste à tenir. De fil en aiguille, elles disparaissent les unes après les autres sans laisser de trace.

Entre nous, qui à la mort de son père, chef traditionnel dans tel coin de tel pays, a souhaité garder le panier traditionnel dans lequel ce dernier gardait ses provisions ? Qui s’empresse de ramener avec lui le balais coutumier avec lequel son aïeul dispensait la sagesse lors des conseils de famille ou de village ? Non seulement personne ne le fait mais en plus on attache à ces instruments tant de légendes affreuses que quiconque souhaiterait s’en approprier se verrait taxé de sorcier. Notre patrimoine ancestral fait peur, pourrait-on être tenté de dire.

De sa longue expédition sur le continent africain, le colon a de gré ou de force, récupéré puis emporté chez lui des tas d’outils qu’il vénère, parce qu’ils sont une source de connaissances et de revenu quoi qu’on dise. Exposés et préservés, ces outils apprennent beaucoup sur le vécu des peuples qui les ont créés. La vie étant de tout temps un éternel retour aux sources, malheur à ceux-là qui ne valorisent pas leur patrimoine culturel.

Par le fait de la colonisation, l’Afrique a été dépossédée de ses trésors historiques. Elle exprime aujourd’hui le besoin qu’ils lui soient rendus. On suppose que ces demandes pressantes sur lesquelles se penchent les institutions habilitées dans des pays tiers ne sont pas simplement vindicatives. Elles devraient être accompagnées par l’engagement de ne pas ensuite laisser moisir ces trésors dans la poussière de musées nationaux qui le sont souvent que de nom faute d’entretien et de moyens. Mais là n’est pas la raison pour ne pas rendre justice à ceux qui revendiquent leurs biens.

Il va falloir peut-être que dans les pays où sont exportées les œuvres d’art d’Afrique, ceux qui les détiennent reconnaissent qu’elles appartiennent à autrui. Ensuite, un tel patrimoine, en raison de ses attributs symboliques et cognitifs, peut mieux être entretenu s’il ouvre la voie à l’établissement de partenariats solides entre musées. De sorte que le revenu qu’il procure en toutes circonstances de temps et de lieu bénéficie aux parties contractantes. Pour être juste, disons que ces choses d’autrui sont le patrimoine mémoriel de l’humanité.

Gankama N'Siah

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