Interview. Dr Bob Arthur Lubamba : « Un scientifique ne propose pas de protocole mais des résultats »

Lundi 4 Mai 2020 - 17:15

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Basé aux Etats-Unis, le Dr Bob Arthur Lubamba est depuis février 2020 directeur des sciences in vitro chez Iontox, une entreprise américaine qui évalue l’efficacité et la toxicité des médicaments. Dans cet entretien accordé au Courrier de Kinshasa, il revient notamment sur les remèdes et les solutions proposées pour lutter contre le coronavirus.

 

Le Courrier de Kinshasa :  Quelles sont les activités de Iontox et en quoi consiste votre fonction ?

 

Dr Bob Arthur Lubamba : Ma fonction est de concevoir le projet pour les compagnies pharmaceutiques afin de démontrer l’efficacité et la toxicité de leurs produits. J’aide à identifier les problèmes du projet pour les médicaments à un stade précoce. J’interagis avec les membres d'autres services pour assurer une exécution en douceur et en temps défini des études précliniques. Je contribue à des publications scientifiques, présente des résultats à des conférences et réunions d'affaires et participe au développement de demandes de brevets.

 

LCK : En quoi le Covid-19 est-il différent des autres virus respiratoires?

Dr BAL : Le coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère 2 (SARS-CoV-2) est apparu comme une épidémie dans la province chinoise du Hubei et s’est rapidement étendue dans le monde provoquant une pandémie. L'infection par le SRAS-CoV-2 entraîne une maladie pulmonaire, nommée Covid-19, qui se révèle être un problème majeur. Covid-19 se manifeste par de la fièvre, une toux sèche persistante, des courbatures, une pression dans la poitrine et essoufflement. Éternuements, écoulement nasal et symptômes similaires à la grippe ne sont observés que chez 5% des patients. Environ 2% à 10% des patients ont présenté des symptômes de type diarrhée. Le taux de mortalité du Covid-19 est de 4,5% à 6%, ce qui est inférieur à celui du SRAS (syndrome respiratoire aigu sévère), qui à un taux de mortalité de 9,6%, et inférieur à celui du MERS (syndrome respiratoire du Moyen-Orient), jusqu'à 34,4% de décès.

LCK : Pourriez-vous expliquer votre approche dans la recherche d'un médicament contre le Covid-19?

Dr BAL : Le SARS-CoV-2 utilise le récepteur ACE2 pour intégrer la cellule et se multiplier. La première solution serait de trouver un inhibiteur d'ACE2 qui empêcherait le virus d’intégrer la cellule et de se multiplier. Le problème réside dans le fait que l’ACE2 se trouve dans les poumons et d’autres organes (le cœur, le tube digestif, le foie, le rein, le pancréas, etc.), un inhibiteur d'ACE2 pourrait induire un arrêt de fonctionnement dans le corps et conduire à d’autres complications au niveau des organes possédant ce récepteur. Raison pour laquelle je parlais d’un traitement localisé dans les poumons pour éviter les effets secondaires qu’on observe avec beaucoup de médicaments donnés par voie orale. Dans le développement des médicaments, nous nous focalisons sur ce qui cause la maladie (le virus  : SARS-CoV-2), ce qui permet à la maladie de s’amplifier (ACE2). Le médicament contre le Covid-19 devrait être administré directement dans le poumon et agirait sur ACE2 ou/et SARS-CoV-2.

LCK : Madagascar a mis en vente le Covid-Organics, rémède contre le covid-19, et plusieurs scientifiques africains proposent également des protocoles de traitement. Quelle analyse faites-vous de ces différentes initiatives issues du continent africain ?

Dr BAL : Les données disponibles ne sont pas suffisantes pour suggérer un traitement pour l'éradication du Covid-19 à utiliser au niveau clinique. Toutes les études humaines manquent de données comparatives, de sorte qu'il n'est pas clair si le patient s'est rétabli en raison de l'utilisation d'un médicament particulier ou des soins cliniques généraux reçus. Cependant, la plupart des études in vitro suggèrent des effets bénéfiques potentiels, bien que les données soient trop préliminaires pour être utilisées comme justification de l'utilisation clinique. Covid-Organics est une boisson et permet aux patients souffrant des cas légers du Covid-19 de se sentir mieux. Il se pourrait qu’il ait une molécule dans cette boisson qui aide mais dont le mécanisme d’action reste inconnu. La pharmacologie et la toxicité d’un médicament doivent être connues avant d’être utilisé en étude clinique. En ce qui concerne la santé du peuple africain, nous devrions développer des systèmes administratifs de contrôle de tout ce que nous consommons (médicaments, nourritures, boissons, cigarettes, etc.).

La rigueur scientifique nécessite qu'une hypothèse doit être vérifiée par une étude préclinique. Une fois que les expériences sont réalisées, les résultats doivent être soumis pour révision avant d’être publiés dans des revues scientifiques. En ce qui concerne les protocoles, j’ai beaucoup du mal à comprendre cette méthode de penser de certains scientifiques. Un scientifique ne propose pas de protocole mais des résultats. Le protocole est comme une recette d’un plat qu’on n’a jamais essayé et qu’on pense que le plat sera bon. Comment peut-on dire qu’une molécule peut aider au traitement du Covid-19 alors que la molécule n’a jamais été testé dans les conditions de Covid-19. La difficulté avec ces protocoles, c’est qu’ils ne sont pas fondés sur des études scientifiques, mais sur des hypothèses qui ne sont pas vérifiables et qu’ils veulent passer directement à des études cliniques. Malheureusement, il y a beaucoup d’effets d’annonces qui ne font pas avancer la recherche mais qui font perdre le temps et l’argent au contribuable.

LCK : Comment expliquez-vous les similitudes de traitement de la malaria et du Covid-19, avec notamment l'utilisation de l'hydroxychloroquine, des antirétroviraux ou encore de l'Artemisia ?

Dr BAL : La motivation pour l'utilisation de médicaments antiviraux pour traiter l'infection au Covid-19, une maladie virale, est évidente. Cependant, l'intérêt pour l'utilisation des anti-malaria découle de la découverte inattendue de l'effet bénéfique de l'hydroxychloroquine dans le traitement des patients du VIH. Néanmoins, les effets bénéfiques de la chloroquine chez les patients atteints du Covid-19 doivent être testés par des essais cliniques menés de manière appropriée. Cependant, le profil d'innocuité de ces deux anti-malaria mérite une attention particulière. La toxicité de la chloroquine est bien connue, mais on ignore souvent que l'hydroxychloroquine peut être toxique bien que ce médicament soit utilisé par une vaste population de patients atteints de polyarthrite rhumatoïde précoce. En ce qui concerne l’Artemisia, je ne pourrai me prononcer que quand les résultats des études sur le Covid-19 seront disponibles.

LCK : Beaucoup de spécialistes avaient prédit une catastrophe sanitaire en Afrique. Mais, jusque-là, le continent demeure toujours le moins touché ? Comment expliquez-vous cette situation ? Prendre régulièrement des anti-malaria aurait-il renforcé le système immunitaire de beaucoup d'Africains?

Dr BAL : La prédiction d’une catastrophe sanitaire en Afrique est fondée sur le système de santé qui n’est pas très développé. En ce moment, le continent semble être moins touché car le nombre de personnes testé est très faible. Il serait intéressant de connaître le nombre total des personnes testées par rapport au cas positif pour déterminer le pourcentage des cas positifs. Quand le test sera généralisé, nous pourrions déterminer si l’Afrique est vraiment le continent le moins affecté par le Covid-19. Il se pourrait aussi que, en Afrique, nous ayons plus de cas légers que de cas graves. Ce qui pourrait expliquer que beaucoup ne se font pas tester. J’ai toujours pensé que, en Afrique, la nourriture bio et tous les produits naturels que nous consommons, ainsi que l'exposition au soleil qui peut combler de 80 à 90% des besoins en vitamine D, pourrait activer le système immunitaire de défense. Il se pourrait que les anti-malaria activent notre système immunitaire et nous permettraient de résister au Covid-19. Mais des études doivent être menées pour confirmer cette hypothèse.

LCK : Parmi les gestes barrières, on recommande de se laver les mains pour éliminer le virus.  Pourquoi ne trouve-t-on toujours pas un vaccin jusque-là pour un virus qu'on peut éliminer avec du savon ?

Dr BAL : Le savon évite que le virus ne se fixe sur les surfaces. Une étude scientifique est actuellement menée en utilisant 0,1% de javel sur les cellules infectées au Covid-19. Mais les résultats montrent qu’il y a aucun effet bénéfique. Le but du vaccin est d’induire la production d’anticorps afin de permettre au corps de combattre le virus. Le développement d’un vaccin pourrait prendre des années comme nous l’avons vu avec le vaccin contre Ebola qui a pris presque plus de 10 ans.

LCK : Quelles sont les autres options que pourraient lever les pays africains en général et la RDC en particulier dans la lutte contre l'actuelle pandémie?

Dr BAL : Le Covid-19 a pris tout le monde par surprise et beaucoup de pays africains n’ont pas de système de contrôle de maladie. Les mesures prisent étaient fondées sur les systèmes de contrôle des occidentaux, sans pour autant tenir compte de la culture et du mode de vie des populations des pays africains. Beaucoup de ces pays ont brillé dans la gestion de cette pandémie et une discussion entre Africains permettra de bien gérer la pandémie. Afin de lutter efficacement contre le Covid-19, il serait bien d’éduquer la population, en leur montrant les conséquences de la contamination au Covid-19 et vulgariser le message sur la pandémie. Réorganiser le système de santé et mettre en place des centres de recherche pour développer les tests pour le diagnostic du Covid-19 et tester nos médicaments traditionnels et les développer aux standards européens,en connaissant leur pharmacologie et leur toxicité. La RDC, comme beaucoup de pays africain, a été surprise par cette pandémie. Les mesures ont été prises, mais elles sont difficiles à mettre en pratique. La RDC devrait identifier les réels besoins de la population vis-à-vis de cette pandémie et essayer d'y répondre. Le pays devrait faire appel à des experts africains qui peuvent restructurer le système de santé, le système de communication, développer les centres de recherche. Nous devrions éviter d’attendre que l’occident produise des médicaments qui vont nous conduire à nous endetter pour les acheter. Il faudrait investir dans l’expertise africaine pour sortir l’Afrique de la pandémie.

LCK : Comment entrevoyez-vous l'après Covid-19 dans le monde en général et en Afrique en particulier ?

Dr BAL : Dans le monde globalisé d'avant la pandémie, nous jouissions d'un certain niveau de confiance que nous tenions surtout pour acquis. Nous pouvions voyager presque sans limites, rencontrer des gens sans restriction et commander des produits dans le monde entier. Cela changera simplement après que des milliards de personnes ont été obligés de rester à la maison pendant des semaines. Nous ne pourrons pas voyager aussi librement ou profiter des chaînes d'approvisionnement du monde si facilement. Nous réfléchirions à deux fois avant d'aller quelque part ou de rencontrer quelqu'un. Il est tragique que la pandémie ait mis en évidence les lacunes des systèmes de santé dans le monde. Les hôpitaux surchargés ont besoin d'une mise à niveau de leurs infrastructures et de leurs fonctionnements. Ceux-ci seront nécessaires pour assurer un environnement sûr pour le personnel et les patients, ainsi que pour mieux faire face à toute situation d'urgence.

Si cette pandémie nous a appris quelque chose, c'est que notre vie (comme elle l'était auparavant) n'est plus adaptée pour notre planète. Nous avons tous dû expérimenter des solutions numériques, que ce soient des réunions virtuelles pour le travail, l'éducation numérique pour les étudiants et des événements virtuels au lieu de conférences en présentiel. Celles-ci se sont révélées non seulement efficaces mais également une manière écologique de fonctionner dans un monde connecté. Je ne dis pas que tout passe au numérique, mais il est logique de faire dans le numérique tout ce qui n'est pas plus efficace dans la vie réelle, si possible. La télémédecine et la technologie de la santé numérique montrent déjà leur aptitude à en faire une possibilité. Ils doivent simplement être adoptés à grande échelle. La pandémie nous a montré les limites du système de santé et d’économie dans le monde. Chaque pays va essayer de travailler pour être autosuffisant dans beaucoup de domaines. L’Afrique devrait travailler dans tous les domaines (éducation, santé, agriculture, recherche scientifique, etc.) afin d’être indépendante de la Chine et de l’occident. Cette opportunité s’offre à nous afin que nous puissions travailler ensemble pour le développement de l’Afrique. Seul l’Africain va aider l’Afrique à se relever.

 

 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Le Dr Bob Arthur Lubamba

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