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Hommage à Ngoïe-Ngalla !

Lundi 19 Octobre 2020 - 18:25

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On ne verra plus sa silhouette frêle parcourir les grandes allées de Bayardelle. On n’entendra plus sa voix soyeuse nous exposer, à coups de références aux Anciens, les grands traités de la vie. Mais il nous laisse un trésor immense, ses écrits, véritable héritage d’un créateur de beauté. Dominique Ngoïe-Ngalla s’en est allé dans la nuit du 17 au 18 octobre dernier à l’hôpital de Melun en France. Il nous avait déjà préparés à ce passage voici plusieurs décennies. L’historien de haute voltige, l’essayiste alerte, le poète, nourri à la source du royaume de l’enfance que sont pour lui Kimbembe et Mandou, savait conter la vie en puisant aux fontaines vivifiantes. Pensant sa propre fin, il avait osé une « Prière pour être enterré à Mandou » :

« Lorsque la nuit sera descendue

Sur ma paupière close à jamais

Et que ma carcasse humiliée

Demandera à retourner à ses origines,

Permets, Ô Dieu,

Que je prenne mon repos parmi les ruines

De Mandou déserté par ses fils oublieux ».

 

Né en 1943, Dominique Ngoïe-Ngalla étudia ensuite en France où il obtint  tour à tour son doctorat de 3ème cycle (1970) et son doctorat d’Etat (1989). C’est pourtant au Congo, à l’Université Marien-Ngouabi, qu’il exerce durant de nombreuses années ses fonctions d’enseignant à la grande fascination de plusieurs générations d’étudiants. Parti du Congo dans la foulée de la guerre de 1997, il se retrouve en France, rattaché à l’Université d’Amiens. Il reprendra avec un enthousiasme jamais égalé l’accompagnement des étudiants de Brazza au début des années 2000.

Celui qui s’en va savait dire les choses de la vie avec une intelligence déliée et délicate. C’était toujours un grand moment de l’entendre débattre, expliquer et argumenter. Je puis en témoigner ici. Lorsque l’Université Marien-Ngouabi et le Mémorial Pierre Savorgnan de Brazza conjuguèrent leurs efforts pour l’organisation du colloque sur « Vie et existence dans le Royaume Kongo », il prit une part active dans la préparation et la tenue de ces assises, déployant son énergie scientifique et sa passion pour l’histoire. Cet événement, qui eut lieu en octobre 2018, fut certainement le dernier forum public où sa densité humaine retint l’attention de plusieurs participants. Dans une parution du journal La Semaine africaine (N° 4001, du mardi 15 septembre 2020), il proposa d’ailleurs une réflexion sur ce rendez-vous des savoirs intitulé « Le retour sur le colloque scientifique international : vie et existence au Royaume de Kongo ».

Au moment où nos yeux, encore humectés d’émotions, sondent l’insondable de la mort, une pensée spéciale va vers sa famille biologique, ses nombreux collègues, les générations d’étudiants, les innombrables lecteurs de ses œuvres. Outre ses travaux d’historien dont la monumentale thèse sur Les sociétés et les civilisations de la vallée du Niari dans le complexe ethnique Kongo XVIe-XVIIe siècles : formes et niveau d’intégration, lui, l’universitaire reconnu, le fin lettré, nous  lègue entre autres Poèmes rustiques (1971), Nouveaux poèmes rustiques (1979),  Lettre à un étudiant africain suivi de La sonate des derniers veilleurs (1981), La geste de Ngom-Mbima (1983), Congo-Brazzaville : le retour des ethnies. La violence identitaire 1999).

   Avec une écriture totalement imbibée de la sève de son terroir, il avait trouvé très tôt les mots récapitulatifs d’une vie qu’il voulut linéaire et apaisante. A l’heure où son ombre s’allonge, comment ne pas tirer profit de sa propre prière, déjà évoquée, à travers ces vers lumineux :

 

« Un rien de Mandouan qui ne fit

Pas grand chose pour sa patrie

Si ce n’est qu’il l’aima avec piété

La paix sur lui et qu’il dorme tranquille ».

 

Son pèlerinage en ce monde s’achève. Mais les ancêtres de Mandou, j’en suis sûre, sauront l’accueillir parmi eux en digne fils de leur terre. Ils l’accueilleront, non pas en tant que héros conquérant, mais comme un quêteur de sens et de signification des choses de la vie.

 

Bélinda Ayessa

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Édition Quotidienne (DB)

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