Original ou piraté ?

Mardi 12 Août 2014 - 17:11

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Dans les rues de Brazzaville, dans les échoppes, les magasins et les ateliers, il est largement fait recours à la contrefaçon, et le peuple en redemande !

Je suis resté un moment interloqué et j’ai dû me faire repréciser la question lorsqu’elle m’a été posée par le vendeur. Dans cette boutique de quartier qui ne paye vraiment pas de mine, je m’attendais à trouver l’objet de ma recherche. Il y avait là un tel fouillis que je n’avais aucun doute le pouvoir de trouver parmi les boites de clous, les tôles ondulées, brouettes et autres entrelacs de fers à béton et contre-plaqués le robinet qui demandait à être changé chez moi.

D’où ma question simple et la réponse incroyable qu’elle suscita :

  • Avez-vous des robinets ?
  • Vous les voulez en original ou en piraté?

Autrement dit, le quincailler me donnait à comprendre que ses stocks étaient constitués de pièces originales et d’autres trafiquées, mais toutes proposées aussi librement à la vente. Et du ton avec lequel il me répondait – l’innocence au service de l’efficacité ! – il ne semblait pas qu’il ait jamais entendu parler de contrefaçon. Et que dans d’autres pays – exemple de l’Italie – l’industrie de la contrefaçon soit poursuivie à coups de fermetures d’ateliers clandestins, d’arrestation de vendeurs de faux produits de luxe ou de saisies des tonnes de produits contrefaits.

À Brazzaville, la contrefaçon a pignons sur rue. Et le citoyen semble le dernier à devoir la condamner tant les produits piratés sont rapides d’utilisation, moins chers et toujours disponibles. Un petit tour de marché m’a permis de voir que ce piratage recouvre absolument tout. Qu’il n’y a pas de pièce industrielle ou artisanale qui n’ait, en quelque sorte, son double imparfait.

Vous cherchez de l’aspirine, une batterie de voiture, une ampoule, un câble de démarrage, une pâte dentifrice ou même une savonnette antiseptique , il faut préciser, en fonction du budget que vous avez, si vous vous contenteriez d’une copie ou si vous tenez à l’original. Cette dernière qualité, c’est le produit tel qu’il est sorti d’usine et d’atelier, avec la réputation (dont il est permis de douter) qu’il durera plus longtemps, renfermera les excipients purs et les alliages les plus résistants.

Qui y gagne ? Tout le monde, m’a-t-on répondu. Le cachet d’aspirine « originale » est vendu en pharmacie. Le pharmacien y grève sa marge bénéficiaire, le ministère du commerce sa taxe et tant d’autres frais utiles au fonctionnement de l’État. De sorte que la boite la plus économique va coûter 4000F quand les « pharmaciens-par-terre » comme on dit en Afrique de l’Ouest ; « les bana-bilongo » ne se posent aucun problème du genre. Leurs stocks arrivent en fraude, sont écoulés au détail, et pas question de prétendre qu’une fiole censée contenir de la pénicilline n’est remplie que de foufou.

Ou que, au marché, la bouteille réputée de whisky pur malt n’est en fait qu’une proposition de thé à peine relevé. Vêtements, chaussures et produits alimentaires de tous types en sont là. Il faut faire du profit, c’est-à-dire se procurer à moindre frais ce que l’on écoulera avec le maximum de bénéfice. Cela peut aller loin. Au pont du Djoué, nous avons été le témoin d’une scène épique : des nageurs et piroguiers se livrant à une compétition digne des Jeux olympiques pour aller récupérer au fond de la rivière impétueuse des stocks de poulets périmés jetés là par un supermarché de la place. Qui veut parier que des brochettes de poulet bien parfumées ont été proposées aux abords de quelque bar de Makélékélé ce soir-là ?

Lucien Mpama