Essai : Modeste Mutinga publie « La Guerre de l’eau aux portes de la RDC »

Samedi 27 Septembre 2014 - 7:45

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La Guerre de l’eau aux portes de la RD-Congo est le titre très pertinent de l’ouvrage que vient de publier Modeste Mutinga, sénateur et propriétaire du groupe de presse Média 7 (Le quotidien Le Potentiel, Télé 7 et Radio 7). C’est son deuxième essai après La République des inconscients

C’est le jeudi 18 septembre 2014 au salon Lubumbashi du Grand Hôtel Kinshasa en présence des sénateurs, députés nationaux, membres du gouvernement national, corps diplomatique, et d’autres personnalités, que cet ouvrage a été porté sur les fonts baptismaux par le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo. Mais avant cette cérémonie, le sénateur et professeur d’université Florentin Mokonda a magistralement fait l’économie du contenu du livre. Il a commencé par rappeler que la RDC, à cheval sur l’équateur, avec sa superficie de 2 345 000 kilomètres carrés et partageant 7 200 kilomètres de frontières avec neuf pays voisins, est dotée d’un réseau hydrographique particulièrement généreux de 39 000 kilomètres linéaires, comprenant le majestueux fleuve Congo (deuxième en longueur en Afrique et deuxième au monde par son débit), des nombreux affluents parmi lesquels les rivières Ubangi au nord et Kasaï au sud, et des grands lacs. « La position géographique du Congo lui confère une place de premier choix dans la dotation en ressources en eau douce dont les réserves quasiment pharaoniques représentent 60% au niveau africain et 25% au plan mondial. Une aubaine certes, mais aussi une source de convoitise et des conflits potentiels », a laissé entendre le professeur Florentin Mokonda Bonza, indiquant que le sénateur Modeste Mutinga comptait parmi ceux qui sont préoccupés par la question des ressources en eau douce de plus en plus rare dans le monde et par les diverses sollicitations de transfert des eaux de la RDC vers le nord et le sud de l’Afrique, ou vers le Moyen-Orient. Et Mokonda Bonza d’interpeller : « Là où le bât blesse, c’est qu’en dépit des menaces à peine voilées de certaines requêtes, la classe politique congolaise, le gouvernement de la République en particulier à qui incombe la charge de définir et de conduire la politique de la nation, demeure aphone. Le sénateur Mutinga cherche à comprendre et veut inciter l’élite dirigeante congolaise à l’action. »

L’ouvrage Le Fleuve Congo et ses affluents : château d’eau convoité. La guerre de l’eau aux portes de la RDC est structuré en sept chapitres et six annexes. « Des craintes légitimes » est le titre du deuxième chapitre, suivi de « Château d’eau en Afrique », « Guerre de l’eau à travers le monde », « Le golfe de Guinée », « Projets en série », « Conflits cycliques dans les Grands Lacs », et enfin « Débats irréconciliables ». Mokonda Bonza a repris certains chiffres pertinents, soulignant par exemple que 71% de la surface de la planète terre sont constitués d’eau. Cependant, l’eau douce ne représente que 2,8% de l’ensemble de l’eau sur Terre, et 97,2 % sont de l’eau salée. L’accroissement de la population mondiale, actuellement estimée à sept milliards d’individus, a entraîné un surcroît de consommation de l’eau. Et d’après le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec), 60% de la population mondiale risquent de vivre dans des zones à forte pénurie d’eau d’ici à 2050. Et beaucoup de demandeurs de l’eau du Fleuve Congo ainsi que de l’énergie électrique qui en sera produite sont pointés du doigt sans ambages par le sénateur Modeste Mutinga. Il s’agit des pays du Sahel, de l’Égypte, de la Libye, du Soudan, des pays de l’Afrique australe. Le sénateur fait savoir que la Commission du Bassin du Lac Tchad (Tchad, Cameroun, Niger, Nigeria, Libye, République centrafricaine) a lancé en mars 2014 une force mixte multinationale de sécurité du Lac Tchad, structure militaire de 3 000 hommes constituée pour veiller sur la sécurité de l’hinterland du Lac Tchad. Et déjà en avril 2012, quatre chefs d’État réunis à Ndjamena avaient décidé d’entamer une étude de faisabilité portant sur le prélèvement des eaux de la rivière Ubangi, affluent du fleuve Congo que la RDC partage avec la République centrafricaine et le Congo-Brazzaville. Et Mokonda de noter : « L’auteur (Mutinga) constate que, malgré la tenue des sommets de chefs d’État, les conférences en Afrique comme en Europe, les bruits de bottes autour du Lac Tchad et chez les voisins centrafricains, Kinshaa demeure attentiste, réservé, voire timoré. Aucune initiative n’est prise. Le gouvernement congolais estime qu’il n’a jamais été saisi. » Toutefois, reconnaît-on, le gouvernement a institué une commission interministérielle chargée d’élaborer les termes de référence d’une étude globale sur la problématique de transfert des eaux du Bassin du Fleuve Congo.

Mutinga démontre que le bassin du Congo est le château d’eau de l’Afrique. Mais paradoxalement, le flux que le fleuve Congo reçoit de certains de ses importants affluents (Ubangi, Kasaï, Aruwimi) se contracte d’année en année. Alors que le programme des Nations unies pour l’environnement évoque l’augmentation de la consommation de l’eau au niveau mondial entre 2000 et 2025, les statistiques précises et fiables en RDC font défaut. « Plus grave, il n’y a pas de système institutionnel de surveillance qualitative et quantitative des ressources en eau. À titre d’illustration, sur les 127 stations qui collectaient des données météorologiques et pluviométriques existant en 1970, il n’y en a plus que vingt qu’on trouve dans les aéroports et non dans les zones agricoles… et la Régie des voies fluviales ne compte plus que dix stations fonctionnelles de mesurage des fluctuations des niveaux d’eau de surface sur la centaine de l’époque. »

À propos, Mutinga s’est penché sur les accords fictifs ou réels de Lemera signés entre l’AFDL et le Rwanda, qui dans son article 4 stipule : « Prêchant le panafricanisme, l’Alliance s’engage à céder 300 kilomètres aux frontières congolaises, à l’intérieur du pays, pour sécuriser ses voisins ougandais, rwandais et burundais contre l’insurrection rebelle. » L’auteur constate que quatre Grands lacs (Albert, Édouard, Kivu et Tanganyika) et trois rivières (Semliki, Ruzizi et Lukuga) sont situés dans l’espace à céder aux trois pays, s’interroger si les guerres successives dans l’est de la RDC (AFDL, RCD, CNDP, M23, ADF/NALU) n’auraient pas comme motivation inavouée le contrôle sur ces ressources en eau, d’autant plus que l’Ouganda multiplie les tentatives de déplacer les bornes frontières sur la Semliki. Au regard d’un ensemble d’éléments et de considérations sur la question, Mutinga croit que la réserve apparente des gouvernants de la RDC, victime elle aussi du réchauffement de la planète, s’expliquerait par le fait que la destruction des écosystèmes forestiers du Bassin du Congo aurait des répercussions fâcheuses sur toute la planète Terre. Et la question du transfert d’eau de la RDC vers un autre État doit être soumise à l’accord préalable du peuple congolais consulté par voie de référendum conformément à la Constitution. Tel est l’article 45 d’une proposition de loi relative à la gestion des ressources en eau.

Le sénateur Flor Musendu Flungu a pour sa part livré un témoignage poignant sur la guerre imminente de l’eau en RDC sur base d'éléments probants. Des parlementaires de la Commission des forêts d’Afrique centrale, réunis à Bata en Guinée, ont également pris l’engagement de convaincre leurs gouvernements respectifs sur le tranfert des eaux de la RDC pour alimenter le Lac Tchad qui s’est littéralement desséché. Lors d’une conférence sur l’eau d’un groupe de pays du bassin du Tchad et du Nil en mars 2014 en Turquie, ces pays n’ont abouti qu’à une seule solution : le transfert des eaux de la RDC qui doivent alimenter simultanément les deux bassins à n’importe quel prix, même au prix d’une guerre. « J’ai peur que Mutinga soit un prophète de malheur, j’espère qu’il aura tort ! » Dans son mot de circonstance lors de la cérémonie de baptême du livre, le sénateur Mutinga a invité les décideurs et l’intelligentsia à prendre conscience de la guerre qui pointe à l’horizon du fait de la convoitise des eaux de la RDC par les pays voisins et d’ailleurs. « Le temps me semble venu d’épargner nos populations d’une nouvelle guerre, la guerre de l’eau, alors que nous n’avons pas encore fini de panser les plaies ouvertes par les précédentes. »

Martin Enyimo

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : Le président du Sénat, Léon Kengo wa Dondo, portant le livre sur les fonts baptismaux, avec, à côté, l'auteur, Mutinga. (© DR) ; Photo 2 : Modeste Mutinga dédicace des exemplaires de son ouvrage. (© DR)