Italie : l’Afrique est faible parce que désunie, estime Romano Prodi

Samedi 12 Octobre 2013 - 12:12

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L’économiste italien parle des atouts de l’Afrique et pointe les manquements de l’Occident à son égard

L’ancien Premier ministre italien, ancien président de la Commission européenne et envoyé spécial du Secrétaire général de l’ONU pour le Sahel peut, à juste titre, se dire un expert de l’Afrique. Son engagement dans l’humanitaire, ses prises de position sur le continent – qui le lui rend bien d’ailleurs, M. Prodi ayant même reçu le titre de porte-parole des chefferies traditionnelles africaines – lui ont bâti une sérieuse réputation d’africaniste. C’est à ce titre qu’il a été l’une des voix les plus attendues et les plus écoutées à la table ronde organisée par la Société géographique italienne vendredi sur le thème « Le temps de l’Afrique ».

Il y a soutenu sa position de toujours : l’Occident est trop absente des lieux et instances où se décide le futur de l’Afrique, un continent qui peut aborder le futur avec des atouts indéniables. L’Italie en particulier jouit d’un capital de sympathie en de nombreux pays. Elle est, économiquement parlant, la première ou la deuxième partenaire de la plupart des pays du pourtour méditerranéen. Ses petites et moyennes entreprises, ses ONG sont à l’œuvre depuis des années dans des zones où n’arrivent que rarement les retombées de la coopération internationale. Mais, a-t-il regretté, les grandes sociétés italiennes ne semblent pas trop se bousculer pour venir épauler sur place un dynamisme des PME en perte de vitesse.

Sa vision de l’Afrique de demain ne se limite pas à dresser le diagnostic de la coopération italienne, elle englobe aussi une revue aussi complète qu’objective des atouts sur lesquels le continent fonde ses espoirs. Capital humain, fermentation des idées de changement dans le Maghreb d’où est parti le fameux printemps arabe, matières premières stratégiques nombreuses… Mais tout cela ne parvient pas à impulser la dynamique d’une économie d’ensemble. C’est cela, a dit M. Prodi (qui est aussi professeur d’économie), l’une des principales faiblesses de l’Afrique. « Une coopération politique et économique entre les 54 États qui composent le continent fait défaut. Cela le rend plus faible et plus exposé à l’invasion » d’autres réalités économiques, celle de la Chine notamment.

M. Prodi estime par exemple que trois pays pourraient conduire le leadership économique africain s’ils songeaient seulement à mettre en synergie « leur système pays » : Afrique du Sud, Nigéria et Égypte. Une coopération plus affirmée entre eux serait un rempart solide contre la pauvreté et l’impression d’élargissement sur le terrain que donne, par exemple, un phénomène comme le terrorisme de matrice religieuse. « Le risque d’élargissement de ce phénomène doit être affronté aux niveaux international et continental, l’intervention de l’extérieur devant toujours être la plus petite possible au profit d’une organisation interne beaucoup plus forte », soutient-il. C’est ainsi que l’Afrique limitera ou annihilera l’emprise que semblent exercer sur les zones pauvres des organisations comme Al-Qaida au Maghreb islamique, Boko Haram (Nigeria) ou les Shebabs somaliens.

Atout et problème à la fois, l’eau. Romano Prodi y voit une possible source de tensions dans les prochaines décennies entre les différents États. « Il faut à l’Afrique une optimisation de l’usage de son eau. Plus de 75% de celle-ci est utilisée, mais mal, en agriculture. Il faudrait envisager la mise sur pied d’une grande structure de l’ONU pour la gestion de l’eau. Elle s’occuperait de tous les aspects de la question : économiques, écologiques, juridiques et techniques. Le premier dossier dont un tel organisme aurait à s’occuper en priorité serait la répartition des eaux du Nil et du fleuve Niger », estime M. Prodi. Les tensions de ces derniers jours entre l’Égypte et l’Éthiopie autour d’un barrage géant envisagé par cette dernière sur le fleuve commun du Nil semblent donner raison au professeur.

Dans tous les cas, soutient l’expert, « il faut une gouvernance ordonnée », avec pour objectif, « la mise en œuvre de règles d’un marché plus ouvert, avant de passer à la phase des projets communs de développement, sinon tout va se bloquer ». La seule circulation des biens de commerce ne suffit pas ; il faut aussi une libre circulation des talents dans les différents pays du continent. « Le niveau des échanges intellectuels entre pays basé sur une vraie politique intellectuelle entre États est trop faible », regrette M. Prodi. Il appelle les pays d’Occident à aider au renforcement des capacités de réponse économique de l’Afrique, plutôt qu’à se lamenter sur  l’hégémonie chinoise : « La Chine a signé des accords avec 50 États africains ; elle a lancé une vraie  politique continentale en Afrique. France, Grande-Bretagne et États-Unis n’en ont pas. »

Lucien Mpama