Emmanuel Argo : « Pour les migrants en Europe, le pays d’accueil n’est pas un eldorado »

Samedi 12 Septembre 2015 - 9:28

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Emmanuel Argo est conseiller international de la Société civile. Il a été expert au Comité économique et social européen à Bruxelles. Il est également conseiller international honoraire en stratégie de développement socio-économique. Il est l’auteur du livre  « Main basse sur l’argent des pauvres ; merci aux Remitt@nces. ».  Il estime notamment que les réfugiés doivent au départ de leur exil connaître les devoirs qu’ils ont vis-à-vis des pays qui les accueillent.

Les Dépêches de Brazzaville : Quelle lecture faites-vous de la question de l’accueil des réfugiés en Europe ?

Emmanuel Argo : La question de l'accueil des réfugiés et de celle des migrants en Europe est une nouvelle mise à l'épreuve, après celle de la crise financière. Elle pourrait soit souder les peuples soit faire éclater cette belle construction historique dont la portée, en terme de progrès de civilisation, est considérable, même si elle reste à parfaire. Ainsi, c’est à ce titre que nous autres, Européens, s’appuyant sur nos valeurs, devons nous montrer complémentaires malgré nos différences et fraternels avec ces populations victimes de la guerre ou de la misère mais pas n’importe comment ni de façon désorganisée. Avec le vieillissement de la population européenne, les migrations peuvent jouer en faveur du développement économique de certains pays. Cependant, loin de se faire concurrence les uns les autres, se pose désormais la question des conditions d’accueil puisque le risque d’un rejet massif par les populations autochtones peut remettre en cause la paix sociale. Par ailleurs, faut-il continuer à profiter de ces migrants au risque de voir s’éterniser l’instabilité politique et économique des pays émergents ou en développement ? Pour ces raisons, l'accueil de nouvelles populations, qu'elles soient constituées de réfugiés ou de migrants économiques, doit être organisé, planifié voire programmé et tenir compte des spécificités locales de chaque pays européen. Il en va de l'équilibre de ce continent, vieux par son histoire, mais jeune par cette merveilleuse utopie dont l'origine est celle d'une paix durable entre des peuples qui se sont entretués pendant des siècles

LDB : Quelle est la réelle différence entre réfugiés et migrants économiques ?

EA : Généralement les réfugiés sont des personnes fuyant la guerre (comme ceux venant d'Irak et d'Iran ainsi que ceux d'ex-Yougoslavie) qui ont connu diverses guerres et révolutions, comme c’est actuellement le cas pour la Syrie et la Lybie. Comment traiter en particulier l’urgence sanitaire des réfugiés du Moyen Orient ? Elle a deux origines : une situation de guerre et un bouleversement climatique. Dans les deux cas, des populations entières fuient la mort en abandonnant tout sur placepour sauver leur peau. Deux approches différentes : en cas de guerre, les réfugiés peuvent retourner chez eux après le conflit. Il s’agit donc d’un accueil temporaire. En cas de bouleversement climatique majeur, les populations ne retourneront plus jamais sur place.

À la différence des réfugiés politiques ou climatiques, les migrants économiques effectuent des changements de régions ou de territoires par culture ou tradition, nécessité familiale ou opportunité. 

les migrations sud-nord ont longtemps été encouragées par des États, ex colonisateurs, qui ont passé des accords avec leurs anciennes colonies. Ces mouvements ont donc toujours été connotés par une augmentation de richesses de part et d'autre tant à l'échelle familiale qu’à l'échelle d'un pays. Elles s'inscrivent dans une durée, généralement celle d'une vie professionnelle car le migrant, s'il a été bon gestionnaire, a préparé son retour pour vivre une retraite tranquille dans son pays d’origine. Le rapprochement familial initié en France dans les années 1970 par Valéry Giscard d'Estaing a entraîné un changement de comportement.

Des migrations Est-Ouest interviennent avec l'effondrement de l'ex URSS dans les années 1990. Des pays de l'est ont intégré la Communauté Européenne apportant une main d'œuvre nouvelle à bas coût, majoritairement chrétienne et blanche et donc moins visible et plus facilement assimilable dans la conscience collective française.

Ainsi, la gestion des réfugiés et celles des migrants économiques se retrouvent donc sur un point : dans les deux cas, les pays d'accueil doivent s'entendre pour mettre en place des lieux et des structures pour héberger temporairement ou à moyen terme ces populations qui, majoritairement, ne sont pas appelées à rester. Ce qui bat en brèche la xénophobie et le racisme de certains groupes politiques qui instrumentalisent le problème à des fins électoralistes. C'est là que l'Allemagne a une longueur d'avance sur les français.

LDB : Comment appréciez-vous la réponse actuelle de l’Europe face au flot de réfugiés ?

EA : Pour une même situation il y a trois approches politiques différentes.

D'abord l’Allemagne et l’Autriche qui sont pragmatiques et voient dans l’accueil des réfugiés un effet d’aubaine économique et sociale susceptible de leur apporter dans l’immédiat un véritable avantage. Mais à long terme un risque d’éclatement culturel social et une perte de compétitivité économique en cas de retour massif des réfugiés dans leur pays. A moins qu’il ait la première place pour participer à la reconstruction.

Ensuite, la France, jacobine, nation une et indivisible qui a œuvré dans ce sens depuis la Renaissance. Aujourd'hui, elle réfléchit d’abord, se tâte, car terre d’accueil par tradition et de culture, elle envisage non un accueil temporaire de ces réfugiés, mais un accueil durable avec, à la clef, une volonté d’intégration ou d’assimilation qui suppose chez le réfugié de faire table rase de son passé. D'où le malentendu entre ceux qui n’envisagent pas forcément de s’installer définitivement et les populations autochtones qui craignent d’être envahies.

Enfin arrivent les pays de l’ex URSS. Des pays à peine émancipés et membres récents de l’Union européenne qui n’ont pas encore de bases assez sociales pour  envisager l’accueil de réfugiés, d’autant que chrétiens et musulmans se sont fait la guerre dans les années 90.

LDB : Quels sont les profils de ces réfugiés et quelles pourraient être les  problématiques sociales et culturelles à prendre en compte dans leur accueil au sein de l’espace européen ?

EA : Nous avons premièrement, les réfugiés du Moyen Orient. En danger de mort, ils fuient la guerre. Pour la plupart, ce sont des personnes d’un bon niveau intellectuel qui parlent au moins l’anglais, connaissent leur droit de réfugiés et font partie de la classe moyenne. Ils sont d’abord en demande d’un territoire pacifié pour se protéger mais restent propriétaires des biens qu’ils ont dû abandonner. Ce qui suppose qu’ils entendent retourner au pays et prendre leur part dans la reconstruction future. Ils ne viennent donc pas nous envahir mais chercher avant tout protection. Par ailleurs, s’ils paraissent agressifs ou revendicatifs c’est qu’ils subissent la peur depuis des années. Leur état d’esprit est totalement différent du nôtre et il faut d’ores et déjà envisager une approche et un accompagnement psychologiques particuliers de ces populations traumatisées. Leurs propos et leurs idées sont étroitement mêlées à la peur à quoi s’ajoutent une religion et une culture différentes. C’est pourquoi, ils sont différents de nous et il y a lieu de réfléchir à la mise en place de bonnes conditions de formation et de communication pour que ces populations et les nôtres puissent se comprendre. Mais les bonnes intentions et les bons sentiments ne feront pas tout. Car, même si les conditions de leur exile sont dramatiques et quand bien même le droit international les protège, il est juste de rappeler aux réfugiés qu’ils doivent avant tout accepter et respecter les principes et valeurs fondateurs des pays d’accueil.

2ème cas : les migrants économiques : c’est la pauvreté qui les fait fuir. Soutenus par leur famille qui voit en eux leur « assurance vie », ils vont là où ils sont sûrs de gagner de l’argent. Mettant leur vie en péril, ceux là sont prêts à faire des sacrifices et à accepter des conditions de vie difficiles et subir des contraintes matérielles. Ils passent un deal avec leur vie et sont particulièrement adaptables aux contingences. À la différence des précédents, bon nombre d’entre eux sont clandestins.

LDB : Quelles propositions pourriez-vous avancer pour une meilleure approche dans l’accueil des migrants au sein des pays de l’UE ?

EA : Mes propositions tiennent compte de certaines questions : Le droit international doit-il s’imposer au droit des pays d’accueil ? Autrement dit, un pays a-t-il le droit de s’opposer à l’accueil de réfugiés au motif que les populations autochtones sont les seules à pouvoir disposer de leur territoire ? Dans le même temps, les règles fondamentales et les habitants de ce pays doivent-ils subir les exigences de ceux qui sont accueillis ?

C’est pourquoi, je propose la mise en place d’un Plan-Cadre décennal européen de protection, et d’évacuation par corridors et ponts humanitaires, pour l’accueil (transitoire ou définitif), des réfugiés victimes de guerres et autres conflits politiques. Cette action doit être étudiée et préparée par les instances européennes et les Nations Unies. La création de centres sous l’égide des Nations unies, prolongés par des couloirs humanitaires protégés, éviterait la prise en main des réfugiés par des passeurs et la mise en péril permanente de leurs vies. Parallèlement, organiser des tables rondes prioritaires réunissant les belligérants des pays en guerre ou en conflits : Syrie, Irak, Libye, Arabie Saoudite, Iran... De telles initiatives faciliteraient la mise en place de gouvernements multipartites de réconciliation, de paix et d’unité nationale. Il faut associer la Russie comme partenaire majeur influant de cette région du monde.

LDB : Mais comment financer ces plans et programmes et qui va le faire ?

EA : Il faut redéfinir l’aide au développement qui doit être utilisée comme levier coercitif privant de ressources les dirigeants des pays en guerre ou conflits. Elle doit être distribuée en associant davantage la Société civile. Il faudrait  geler des avoirs des décideurs publics et économiques des pays qui n’assurent pas la protection de leurs populations, prélever des impôts sur les commissions perçues par les sociétés de transfert d’argent tels que Western Union, Money Gram…

Pour constituer, entre autre, un fonds d’aide international destiné à faciliter l’installation des migrants dans leur pays d’origine. Le montant des transferts d’argent représente plus de six fois l’aide au développement ; accompagner l’accueil du point de vue de la loi : mise en place d’une charte européenne adoptée par le Parlement européen définissant les principes de l’accueil ; les droits et devoirs seront précisés par chaque pays dans le respect de leurs différences.

LDB : Comment alors opérer une gestion efficace des migrants en Europe ?

EA : La politique des bons sentiments est source de malentendus. Les réfugiés et migrants ont conscience qu’ils constituent ensemble, du fait de leur nombre croissant, une force. Nous devons en tenir compte dans la gestion des ces populations malmenées par les guerres civiles. Ils doivent savoir que ce que notre pays offre en priorité, c’est avant tout la paix. Nous devrons pratiquer le parler vrai ; en tant que pays d’accueil, nous devons aussi agir avec réalisme et pragmatisme et dire qu’ils ne pourront, ici, continuer à vivre avec le même standing qu’ils ont laissé au pays. Le pays d’accueil n’est pas un eldorado. Il est nécessaire de distinguer ceux qui sont seulement venus se protéger, ceux qui ont l’intention de revenir chez eux après les conflits et ceux qui veulent s’installer durablement en Europe. La gestion de ces groupes n’est pas la même. Les réfugiés doivent au départ de leur exil connaître les devoirs qu’ils ont vis-à-vis de ceux qui les accueillent. D’où la mise en place de centres de renseignements consulaires leur délivrant les informations en Français et traduites systématiquement dans les langues de leur pays, voire régions. Établissement de sauf-conduits avec délivrance de papiers d’identité temporaire.

 

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Emmanuel Argo

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