Rhode Bath-Schéba Makoumbou : « Le marché de l’art est très fermé, très sectaire et très élitiste »

Mercredi 24 Février 2016 - 14:30

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L’artiste peintre et sculpteuse, originaire du Congo-Brazzaville, estime que le marché de l’art met tout en œuvre pour exclure les artistes qui ne répondent pas aux normes fixées par une certaine catégorie de personnes. Rhode Bath-Schéba Makoumbou expose actuellement à l’hôtel Sofitel de Bruxelles jusqu’au 15 avril. 

Les Dépêches de Brazzaville : Vous exposez actuellement à Bruxelles sur le thème « Afrique Art Témoin ». Quel sens donnez-vous à ce thème ?

Rhode Bath-Schéba Makoumbou : Mon travail rend hommage à la culture africaine. Mes œuvres représentent des activités quotidiennes qui se déroulent en Afrique. Mon travail met en évidence un mode de vie qui est en lien étroit avec notre culture. Le thème de l’expo est aussi lié à ma démarche artistique, car je me suis fixé comme objectif de valoriser les activités traditionnelles africaines qui sont le fruit d’un grand savoir et d’une grande ingéniosité. Je souhaite aussi valoriser le travail réalisé par la femme africaine. C’est la colonne vertébrale de ma démarche.

LDB : Quelles sont ces activités traditionnelles que vous représentez ?

RBSM : Je représente, par exemple, l’activité des malafoutiers, c’est-à-dire des personnes qui grimpent sur des palmiers-qui mesurent parfois plus de dix mètres de hauteur- grâce à une ceinture simple fait à base de lianes. C’est à la fois un travail d’une grande simplicité, d’une grande beauté et qui nécessite de l’ingéniosité. Je représente aussi beaucoup de scènes de pêches, pour montrer la relation qu’on entretient avec la nature, ainsi que des scènes avec des pirogues dont la construction requiert de grandes connaissances. Je cherche donc à valoriser l’intelligence et le savoir qui se cachent derrière ces activités. C’est un travail de rappel et de repères.

LDB : Vous êtes invitée à Genève comme conférencière à la journée internationale pour les droits des femmes. Quel sera votre message ?

RBSM : Dans mes œuvres, je mets beaucoup en valeur la femme africaine en général et congolaise en particulier, en prenant généralement ma mère comme modèle. Je vais parler des actions que mènent les femmes au cours du processus de la vie. Elles jouent un grand rôle dans tous les aspects de la vie dans nos sociétés. Je vais également mettre l’accent sur l’action de la femme dans le processus de développement. On ne peut pas penser au développement sans tenir compte de l’action de la femme. Le développement en Afrique passera par les femmes. Je parlerai également de ma vision personnelle, de ma carrière et des combats que je mène dans mon domaine.

LDB : Quels sont ces combats ?

RBSM : En tant qu’artiste, j’essaye de véhiculer des idées et de faire passer un message à travers mes œuvres. Il faut donc se battre pour trouver des occasions de le faire, trouver du matériel pour travailler, participer à des expositions, financer des voyages, etc. Bref, il faut se battre pour être présente sur la scène artistique. Ce n’est pas toujours facile. Il faut rentrer des dossiers qui sont parfois refusés, mais on doit insister. Rien n’est gratuit dans le travail et dans la culture, cela se ressent encore beaucoup plus. Nous devons nous battre contre les réalités du marché de l’art. Ce dernier est un milieu très fermé, très sectaire et très élitiste. Il met tout en œuvre pour exclure les artistes qui ne répondent pas aux normes fixées par une certaine catégorie de personnes. C’est aussi un combat à mener pour mettre en confiance le public et faire passer son message. Certains grands collectionneurs, par exemple, m’ont reproché d’être « trop africaine » dans mes œuvres. Cela n’a pas de sens. Certains ont un problème avec les différences et les particularités. En Afrique, nous avons beaucoup de choses à dire. Nous n’avons pas à tout rejeter pour rentrer dans le canevas d’un marché de l’art qui cherche à standardiser le contenu des œuvres artistiques. Je milite pour la diversité et les différences des cultures parce que c’est une richesse.

LDB : Quels sont vos futurs projets ? Allez-vous exposer au Congo dans les prochains jours ?

RBSM : Ma prochaine exposition aura lieu du 7 au 9 mai à Reims en France dans le cadre du jumelage entre les villes de Reims et de Brazzaville. À Brazzaville, j’ai un projet d’exposition au mois d’octobre, en partenariat avec l’Institut français. Mais, avant l’exposition, j’ai proposé aux organisateurs de refaire la tournée des grandes sculptures à Brazzaville. Ces grandes sculptures, qui font quatre mètres de hauteur, feront le tour de la ville parce que je trouve qu’on ne parle pas assez d’art dans les rues. C’est comme si je ramenais l’œuvre vers l’inspiration qui a conduit à sa création. Je puise mon inspiration dans les rues à travers le mode vie des personnes. C’est pour cela que je dois ramener ces œuvres dans les rues. Le slogan de la tournée est simple : « Vous ne voulez pas venir à l’art, l’art viendra à vous ». Je l’avais déjà fait avec beaucoup de succès il y a cinq ans. La tournée précèdera l’exposition qui se tiendra à l’Institut français.

Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Rhode Bath-Schéba Makoumbou

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