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Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : Christian Gilbert Bembet s’en est allé

Jeudi 5 Octobre 2017 - 13:54

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Depuis quelques années, Christian Gilbert Bembet s’est assoupi et sombré dans un quasi anonymat. Il est désormais plongé dans le sommeil éternel. Il a rendu l’âme le 1er octobre 2017, à l’Hôpital américain de Neuilly, près de Paris. Malade, depuis de nombreuses années, il se soignait en France.

C’est à Poto-Poto, au milieu des années 60, que je découvre Christian Gilbert et d’autres ducs, comme Mbono Sorcier de l’Etoile du Congo, Mermans Abonkelet de Cara (Club athlétique Renaissance Aiglons Cara), Victor Okabande, Jean-Pierre Mounialéa, Raymond Ombaka, Atis Atibayeba, Cisko, Aimé Bongo, Davin Bomélé, etc. D’autres clubs concurrents, les Maharadjahs, les Marquis complètent la liste de ces amicales qui firent vibrer le quartier. Ces noms, teintés d’«exotisme», nous faisaient rêver, nous, «Enfants de Poto-Poto», spectateurs de leurs exploits mondains. L’évocation de ces noms me rappelle les beautés de Poto-Poto, Louise Ondzé, Vicky, Louise Mangaké, et j’en passe.

Christian Gilbert, comme on l’appelait, était le duc parmi les Ducs. Il était, sans conteste, le plus célèbre. Le métier de journaliste qu’il avait choisi n’est sans doute pas étranger à sa renommée. Lors d’une rencontre fortuite dans un salon de l’ancien aéroport Maya-Maya, je lui demandais sa date de naissance pour les besoins d’un papier, il me répondit : Je suis né au village. Ma date de naissance est anecdotique voire approximative, comme celle de nombreux individus, nés, comme moi, au village, à l’époque coloniale. En réalité, Christian Gilbert Bembet est né le 30 septembre 1944, à Mbanza, au nord de la République. Il se retrouve, après les années de sa prime enfance, à Pointe-Noire, au lycée Victor Augagneur. Recruté à la Voix de la Révolution congolaise, il est au journal parlé. En 1969, il est admis au concours d’entrée au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes de la rue du Louvre, à Paris. À son retour au Congo, il est adoubé par François Itoua au cabinet du chef de l’Etat, Marien Ngouabi. C’est le trio, François Itoua, Jean Bruno Thiam et Christian Gilbert Bembet, qui pose les jalons de la presse présidentielle. En 1974, il se rend à nouveau en France pour des études à Paris I, sanctionnées par un D.E.S (Diplôme d’études supérieures en Communication). Rentré au Congo, il rejoint le cabinet du chef d’Etat, Denis Sassou N’Guesso, en qualité de conseiller à la Communication. En 1984, il est nommé ministre de l’Information. Il crée Afrimédia, l’agence nationale de publicité. Dans la tourmente de la Conférence nationale souveraine, en 1991, il monte, avec d’autres journalistes, le journal Aujourd’hui, qui se voulait être un quotidien. Il devient, par la suite, ambassadeur du Congo au Sénégal. Il y était déjà en poste, en 1991, quand je l’ai rencontré à Dakar, lors d’une mission de la Francophonie où j’étais expert en Culture et Communication. Quelques années après, il est muté à Luanda, en Angola, une fois de plus, en qualité d’ambassadeur. Très vite, commencent les ennuis de santé qui l’éloigneront de Brazzaville.

Avec ce décès, Christian Gilbert tourne une page mémorable de l’histoire de Poto-Poto, dont il a été un acteur. Peu de gens s’en souviennent. Poto-Poto a produit des journalistes (Patrick Benjamin Eboke, Jean-Marie Kwapiti, Bernadette Linda Eboungabeka, Laurent Botseké, Ndzokanga, Bernadette Ngangoula, Charles Alexandre, Pauline Tchik, Claude Bivoua, Mazele Bokabila ; Beniamino Mbe Moussouanga et Noël Loumeto, entre autres, journalistes à l’ex-Ozrt, (Office zaïrois de radio et télévision.etc.) sont originaires du Congo-Brazzaville. Poto-Poto a contribué à l’éclosion de grands musiciens, sans être exhaustif, on peut citer : Paul Kamba, Dadet Damongo, Albert Loboko, Kouka Michel, Kakou, Guy Léon Fylla, Jean Serge Essous, Nino Malapet, Mountou Typoa, Madiata (Rd-Congo), Gombé Jean-Pierre, Pamelo Mounk’a, Foundoux Mulélé, doublé d’un footballeur prestigieux à l’instar de Lipopo, Kargu, Balekita Eusébio, Miéré Richard, Daniel Ebomoua, etc. Mulélé me disait, à juste titre, que Gérard Madiata, son collègue des classes Ce1 et Ce2, à la Grande Ecole de Poto-poto, disposait d’un épais cahier de chansons françaises qu’il leur chantait pendant les récréations. Madiata a fini par devenir un très grand ténor dramatique. Comme l’écrit Jean-Pierre François Nimy Nzonga, il disposait «d’une voix beaucoup plus éclatante dans l’aigu et plus large encore dans le médium » que Franklin Boukaka, Sam Mangwana, Mujos Mulamba, etc., les autres ténors dramatiques de la musique congolaise des deux rives. Poto-Poto est un terreau fertile pour l’éclosion des idoles. Et, pour de nombreux jeunes de Poto-Poto, Christian Gilbert Bembet en était une. Il a fasciné et fait de nombreux émules. L’un de mes jeunes frères, Narcisse Helault, en a fait son modèle. Il a poussé l’identification au point de se faire appeler, Christian. Il lui est resté fidèle et très proche jusqu’au crépuscule de sa vie, peu avant le grand soir qui vient de le happer. Le temps passé en ville et l’éloignement de son village n’ont rien fait pour éroder son attachement à son univers originel. Par une sorte d’atavisme, il en est resté proche. Très proche. À Brazzaville, Il ne ratait aucune réjouissance traditionnelle. Il pouvait ainsi revivre les instants magiques de son insouciante enfance au village. Nul doute qu’il y sera enterré pour retrouver les mânes de ses ancêtres. Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

 

 

 

 

MFUMU

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