Opinion

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A propos du colloque sur « Vie et existence dans le Royaume Kongo »

Mardi 23 Octobre 2018 - 11:29

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 Le colloque qui s’est tenu les 2 et 3 octobre derniers au Mémorial Pierre- Savorgnan-de Brazza avait des airs d’une fête culturelle. La teneur du sujet, la qualité des intervenants et l’enthousiasme du public nombreux ont donné à l’événement une épaisseur exceptionnelle. Cela a cruellement manqué à l’effervescence culturelle de notre pays. Il faut savoir gré à l’Université Marien-Ngouabi et au Mémorial Pierre-Savorgnan-de Brazza d’avoir réussi à intéresser tant d’intelligences autour d’un sujet aux relents nostalgiques et aux accents ethno-localisés.

Le succès que retiendra la chronique sera certainement le fait d’avoir montré que le Royaume Kongo n’est pas que congolais. Les délégations de l’Angola et de la République démocratique du Congo (RDC) ont marqué, une fois encore, leur appartenance à cette lignée. Et pour cause ! Le royaume du Kongo, d’après Duarte Lopez et Giovanni Cavazzi Antonio de Montecuccolo, s’étend sur plus de 300 000 km2, couvrant les territoires du Nordeste angolais, du littoral congolais à l’hinterland qui va jusqu’aux confins du sud-ouest de l’actuelle RDC.

 C’est à Théophile Obenga, éminence émérite de l’Université de San Francisco (Etats-Unis) et de l’Université Marien- Ngouabi (Congo), que revint l’honneur de prononcer la leçon inaugurale. Cet exercice confortable et magistral portait sur « L’anatomie du pouvoir au Royaume Kongo ». Il signa, par l’argument et l’érudition, la « dépossession » de ce thème en le plaçant bien au-delà des identités fragiles d’une appartenance tribale. Car, d’après lui, « La tribu ne sauve pas la tribu. C’est le plus grand qui la sauve, la nation ». A l’appui de ces préliminaires, il aligne plusieurs travaux sur le sujet, ce qui lui donne « autorité, légitimité et compétence ». On retiendra singulièrement l’ouvrage trentenaire Les Bantu. Langues, peuples, civilisations (1985) et sa collaboration au chapitre 19 du volume V de l’Histoire générale de l’Afrique (1999) publié sous la direction de l’Unesco. Cela suffit pour comprendre l’enjeu de sa leçon.

 Au total, une trentaine d’exposés qui ont revisité les fondements et l’organisation interne du Royaume Kongo. La déclinaison du thème général du colloque a proposé quatre panels : Exister et mode de vie, Ponts entre les différentes aires culturelles, Arts et littérature, Femmes et société. Soumis à des approches interdisciplinaires de haute facture, les contenus des panels ont parfois fait l’objet d’âpres discussions, démontrant ainsi les attentes suscitées par cet espace commun. Entre l’histoire et l’anthropologie, ou la philosophie et la sociologie, on se sera donc laissé aller à la découverte d’une entité politique, administrative et culturelle. Le participant au colloque avait donc le choix des panels selon ses centres d’intérêts ou ses propres curiosités.

 Quelques études comparatives ou transversales ont donné place à des approches synchroniques pour mieux analyser les « disséminations » possibles ou réelles de l’héritage Kongo. Ce fut la démarche adoptée par Jean-Marie Mutamba Makombo (Université de Kinshasa) sur la coopération luso-kongolaise à travers de la correspondance de Alfonso 1er, et Abraham Constant Ndinga Mbo (Université Marien- Ngouabi) sur le Gentlemen Agreement dans le peuplement Téké de la région du Pool. Dans la même lignée, la présentation passionnante d’Arsène Francoeur Nganga a élargi les horizons. Son analyse de la diaspora Kongo en Amérique espagnole a souligné deux traits historiques importants : l’Afrique centrale a été la première pourvoyeuse d’esclaves ; le kikongo est le sous-bassement linguistique du palenque parlé en Colombie.  

Quel est, aujourd’hui, l’enjeu d’une telle assise, alors même que l’humeur politique et économique est loin des minuties historiques ? La réponse à cette question s’inscrit dans le souci d’une historiographie renouvelée, cette fois-ci à partir des épistémologies propres. Car les travaux sur le Royaume Kongo constituent une longue liste. Mais relire cette histoire à l’aune d’une « pensée décoloniale » justifie opportunément qu’on aborde  le passé à travers les traits d’une exigence argumentative et d’une conscience historique critique. Les orateurs du colloque, tous natifs des pays naguère parties territoriales du Royaume Kongo, ont offert un regard de confluence qui vaut par le souci permanent de disposer d’un espace commun d’échange. Personne ne pourrait contester ce défi relevé. Et la présence d’étudiants faite de curiosité et d’attention achève de nous convaincre que la connaissance de notre histoire trace un lien social, culturel avec notre passé.

 Si ce passé a un rôle à jouer, on le définirait et le situerait précisément dans le processus d’invention de la modernité, comme l’a dit Charles Zacharie Bowao. Et les exposés du colloque, dans leur ensemble, ont tenu compte de la corrélation dynamique entre les structures traditionnelles spécifiques et la réappropriation de cet héritage dans la construction d’un vivre-ensemble pour notre temps. C’est en cela que l’opération historiographique tient compte des déplacements d’approches dans le traitement d’un objet absent, c’est-à-dire le passé, pour le rendre présent et inoubliable. Le rappel du statut de la femme, par les communications de Dominique Ngoïe-Ngalla, Scholastique Dianzinga et Alfred Mouzezo Mbala,  a ainsi permis de retracer le lien social et identitaire à partir des codes et traditions Kongo.

Il faut croire que l’élan pris ou donné par les organisateurs de ce colloque continuera de susciter des voies de recherches historiques. Les recommandations contenues dans le rapport final inscrivent la connaissance des substrats de notre héritage commun dans les étapes de formation et de transformation du présent. Que cela se fasse dans le débat ou par l’écrit, c’est bien ce qui est attendu de ceux qui ont mission de scruter les choses de l’esprit.

 

 

Yvon Christian Elenga Research Fellow Boston College Chestnut

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Édition Quotidienne (DB)

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