Interview. Gisèle Mwepu : «L’interopérabilité est la clé pour accélérer l’inclusion financière»

Mercredi 7 Novembre 2018 - 15:00

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La fondatrice et CEO d'Okapi finance international a reçu, le 20 octobre dernier, à Accra au Ghana, le prix panafricain « pour les femmes les plus influentes d’Afrique dans le secteur des entreprises et des gouvernements » dans la catégorie « Services financiers ».

 

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.): Pouvons-nous connaître votre parcours académique et professionnel et depuis quand êtes-vous basée en Suède   ?

    Gisèle Mwepu (G.M.): Je suis titulaire d’un master en informatique et d’un autre en sciences du génie informatique. Mon parcours est vraiment celui d’un entrepreneur en serie. Après mes études universitaires, j’ai monté ma société d’informatique, Soft solutions partner. Au début, cette société a joué le role d’un laboratoire, où je pouvais expérimenter mes differentes idées. C’est ainsi que j'ai eu l'idée de créer Okapi Finance international. Ma passion a toujours été d’utiliser la technologie pour changer le monde. C’est un peu ma façon d’ apporter ma part au monde. Je suis basée en Suède depuis  vingt-trois ans.

    En tant qu’entrepreneur, j’ai reçu beaucoup de prix prestigeux en Suède et aussi en Europe dont le prestigieux prix du talent d’innovation pour la Suède en 2017; la Suède étant l’un des pays les plus technologiques dans le monde. Mais rien n’a été si prestigeux à mes yeux comme le prix panafricain: femme la plus influente d’Afrique dans le secteur des entreprises et des gouvernements dans la catégorie « services financiers », qui m’a été décerné le 20 octobre à Accra, au Ghana. Cette reconnaissance venant d’Afrique est un véritable encouragement et cela me donne encore plus de force de poursuivre le parcours d’Okapi pour accélerer l’inclusion financière en Afrique.

    L.C.K.: Qu'est-ce qui vous a motivée pour créer Okapi finance international ?

    G.M.: Je suis née en République démocratique du Congo (RDC) où presque 95% de la population est non-bancarisée. Ce pays ne constitue pas un cas unique à ce sujet. Selon la Banque mondiale, 80% de la population en Afrique et 50% de la population mondiale ne sont toujours pas bancarisés. Toute personne devrait avoir accès aux services bancaires, quel que soit son statut financier ou son lieu de residence. L'inclusion financière est une clé pour lutter contre la pauvreté et créer l'autonomisation des individus. C’est pourquoi, la mission d’Okapi est de faciliter l’inclusion financière. La première phase consiste à cibler l’Afrique subsaharienne. L’objectif d’Okapi est d’atteindre cent quarante-cinq millions de personnes en dix ans. La seconde phase consistera à cibler le reste du monde.

    L.C.K.: En combien de temps avez-vous développé la plate-forme Okapi  ?

    G.M.: Nous avons mis cinq ans pour la développer avant le lancement des services en novembre 2017, au Kenya. Cinq ans peuvent sembler assez longs mais il ne s’agissait pas seulement de créer une plate-forme robuste, comme l'est actuellement Okapi, mais de créer une plate-forme qui sera utilisée et qui va combler un vide existant sur le marché. Pour cela, j’avais fait le choix de ne pas créer  Okapi sans tenir compte de la réalité du futur marché. Cette plate-forme a été créée grâce à une interaction continue avec les futurs utilisateurs. Pendant le développement d'Okapi, je suis allée quarante fois au Kenya. Il était essentiel de comprendre les défis sur le marché pour créer un produit qui comble les besoins des utilisateurs. Okapi est aujourd’hui une plate-forme haut de gamme, transparente, ayant toutes les transactions éxecutées en temps réel. La plate-forme est sécurisée et certifiée PCIDSS (norme de sécurité des données du secteur des cartes de paiement) et conforme à toutes les réglementations KYC et AML.

    L.C.K. :Et commment avez-vous financé ce développement  ?

    G.M.: Au début, nous avons commencé le développement de la plate-forme Okapi au sein de mon entreprise informatique, puis lorsque la vision était plus claire, Okapi a été transférée à Okapi finance. C'était une façon de financer le début du développement. Ce développement de la plate-forme a pris environ 22 059 “man-days” avec un coût atteignant vingt à vingt-cinq millions d'euros.

    Je me dis toujours que j’ai eu de la chance d'avoir des investisseurs (angel investors) qui ont cru en moi et en ma vision quand tout n’était qu’ une idée. Mais, je crois qu’ils l'ont fait parce que ils ont vu que j'étais moi même prête à faire des sacrifices pour que mon rêve se réalise en plus de ma passion. La Suède étant également un pays favorable aux entrepreneurs, l’aide initiale au financement a également été fournie par certains fonds d’investissement gouvernementaux.
    Aujourd’hui, les investisseurs que nous cherchons sont plus dans le but d’accélérer notre croissance. Mon exigence primaire quand il sagit des investisseurs est qu’ils doivent croire à l’Afrique comme un marché ayant un potentiel. Malheureusement, l’image de l’Afrique est souvent associée à l’aide. Ce qui n’est pas du tout vrai. L’Afrique est le prochain grand marché. Ce serait superbe d’avoir un investisseur clé africain dans Okapi car nous n’en avons aucun à ce jour. Surtout qu’Okapi évolue en Afrique.

    L.C.K.: Quelle est l'envergure de votre entreprise présentement ?

      G.M.: Okapi a une valeur qui s’élève entre cinquante et cent millions d'euros. Nous comptons atteindre le seuil de rentabilté fin 2019 avec un chiffre d’affaires projété à trente-cinq millions. Okapi a soixante-dix employés à temps plein. A cela s’ajoutent presque trois cents personnes employées sur contrats de vente et des milliers d’agents qui offrent les services Okapi aux clients, surtout les retraits et les dépôts dans les comptes Okapi. Les clients d’Okapi peuvent effectuer des virements de fonds, des paiements, payer leur prime d’assurance, etc. Ils peuvent également transférer de l'argent entre Okapi et Visa ainsi que faire des transactions carte par carte en temps réel. Grâce à notre dernier partenariat avec Mpesa au Kenya, les abonnés d’Okapi peuvent désormais transférer des fonds d’Okapi vers Mpesa et vice-versa. Mpesa a entre vingt-cinq et vingt-neuf millions d’utilisateurs au Kenya et l’interopérabilté avec Mpesa augmente la flexibilité de nos clients qui peuvent maintenant accéder au réseau de cent soixante-dix mille agents Mpesa au Kenya.Okapi est utilisé par des privés mais aussi par des entreprises, en les aidant à reduire le coût de l’administration dans la reception et la distribution de fonds jusqu’à 70 à 90%. C’est pourquoi, notre startégie de pénétration du marché se fait à travers les entreprises ou les organisations qui finalement ramènent à Okapi leurs utilisateurs ou leurs clients. Nous avons des accords avec des companies d’assurances, des microfinances, des ONG, des cooperatives, des entreprises, par exemple, pour la distribution des salaires, des entreprises des services pour la reception des payments, etc.

      Au Kenya, où les services ont été lancés en novembre 2017, nous comptons actuellement plus de cent mille clients et, rien que dans ce pays, notre but est d’atteindre un million de clients d’ici fin 2019 grâce aux  accords déjà conclus avec des entreprises et des organisations. Nous préprarons le lancement des services au Botswana et au Nigeria avant la fin de l’année. Ensuite,nous allons lancer Okapi en RDC si tout se passe bien. Le Nigeria est le plus grand marché africain et sera aussi le plus grand marché d’Okapi. Le nombre des clients que les services vont atteindre à travers les accords conclus atteint dejà presques 4,5 millions d’utilisateurs.

      L.C.K.: Pourquoi avoir commencé par le Kenya, le Botswana et le Nigeria qui sont tous des pays anglophones  ?

      G.M.: Nous avons voulu commencer dans un pays où les gens avaient la compréhension des transactions digitales. Le Kenya était le pays ideal à cause de Mpesa qui y était déjà établi. Au cours de cette année, nous avons implanté des structures locales dans dix autres pays dont plusieurs sont francophones.

      L.C.K.: L'entreprise n'est pas encore opérationnelle en RDC, votre pays d'origine. Pour quelles raisons  ?

      G.M.: Nous avons connu un retard causé par les partenaires. Nous espérons pourvoir commencer les services dans un avenir proche. C’est un rêve pour moi que de lancer les services Okapi dans mon propre pays et participer ainsi à son inclusion financière.

      L.C.K.: Quels sont les enjeux et les défis de la Fintech aujourd'hui en Afrique ?

      G.M.: Avec 80% de la population africaine qui est encore non-bancarisée, la Fintech est un outil clé pour accéler l’inclusion financière. L’infrastructure s’améliore aussi, ce qui favorise l’explosion des solutions financières. L’Afrique compte à peu près trois cent quatre-vingt-huit millions d'internautes. Ce qui correspond à 31,2% de sa population et 10% des utilisateurs mondiaux. Actuellement, il ya environ 293,8 millions de smartphones sur le continent. On prévoit une croissance de 52,9% pour atteindre 929,9 millions de smartphones d’ici à 2021. Il y a environ quatre cent dix-neuf millions de connexions internet mobiles. Ce chiffre est projété pour atteindre 1,07 milliard d'ici à la fin de 2022. Les utilisateurs des réseaux sociaux se comptent en million. En 2016, le nombre d’utilistateurs Facebook atteignait déjà cent vingt  millions. Le défi est plus le manque de l’interopérabilté entre les solutions existantes. Chaque pays a sa/ses solutions. Dès qu’on se déplace dans un autre pays, c’est presqu’impossible d’éffectuer une transaction surtout quand on est non-bancarisé. C'est pourquoi, à Okapi, nous avons decidé de nouer des partenariats avec les acteurs locaux existants dans différents pays, afin de faciliter non seulement les transactions dans les pays mais également les transactions transfrontalières entre les différents pays d'Afrique. L’interopérabilité est la clé pour accélerer l’inclusion financière.

      L.C.K.: Vos  difficultés au quotidien?

      G.M.: Effectuant nos activités dans plusieurs pays en Afrique, nous sommes confrontés au problème de recrutement par apport aux exigences et compétences requises. Un autre défi concerne les difficultés qu’on éprouve à gérér les équipes dans differents pays. Notre solution consiste à miser sur le recrutement des nationaux à la tête de chaque pays. Ils ont l’avantage de connaître les réalités et les contextes locaux des pays. On est aussi confronté aux alléas administratifs. Par exemple, dans la création des structures locales, le guichet unique facilite les démarches. Pour les pays n’ayant pas cette facilité, le processus est vraiment long et compliqué.

       

       

       

      Propos recueillis par Patrick Ndungidi

      Légendes et crédits photo : 

      Photos 1 et 2: Gisèle Mwepu Photo 3 : Gisèle Mwepu dans un marché à Kinshasa Photos 4 et 5: Gisèle Mwepu en pleine présentation

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