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Littérature : coup de cœur !

Mardi 4 Décembre 2018 - 13:00

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Comme de nombreux lecteurs, la rentrée littéraire suscite, chaque année, frénésie et vive curiosité dans mon esprit. Cet enthousiasme est généralement douché et déçu par la qualité de l’offre, comparée au volume de la production. Hélas, la vie de trop de livres acquis ne traverse pas la saison et ces derniers ne trouvent pas de places respectables dans ma modeste bibliothèque domestique. Cependant, cette année, j’ai eu une succulente surprise qui est venue d’un auteur congolais dont les férus de lettre connaissent presque toute la bibliothèque : Henri Lopes.

Après avoir été informé de la parution de son dernier ouvrage par une chaîne de télévision française, je l’ai commandé nonchalamment, comme par solidarité patriotique, en me navrant déjà de souffrir d’y retrouver son perpétuel et lancinant thème du métissage. Erreur. Bien sûr, dans " Il est déjà demain ", cette idée obsessionnelle demeure prégnante à longueur de pages mais cette fois, pour exorciser cette hantise par une thérapie simple et efficace : parler et s’ouvrir franchement aux autres. En effet, dans ce livre, notre vénérable auteur fait étalage de l’histoire de sa famille et de ses origines sans fard ni gants, bravant même la pudeur bantoue. Ce qui me fait regarder, à présent, avec d’autres lunettes et codes certains passages de ses écrits. Cette démarche cathartique rend transparente et plus intelligible son œuvre. Oui, je suis tombé follement amoureux du livre que cet écrivain met à notre disposition maintenant qu’il est confronté « aux assauts de l’âge ». J’y reviendrai.

Sincèrement, je ne pourrais prétendre égrener ici toutes les qualités que je lui trouve. Aussi, je me bornerai à en relever quelques-unes, persuadé que chaque lecteur en dénichera d’autres, avec grand plaisir. Le mérite essentiel de ce livre réside dans la volonté et le courage de transmettre à ceux qui l’auront parcouru, notamment aux Congolais plus jeunes, une mine d’informations sur une époque majeure de l’histoire de notre pays.

A travers sa pérégrination estudiantine et surtout politico-administrative, l’auteur fait défiler les événements importants de notre jeune nation et les principaux protagonistes tels qu’il les a vécus et connus, en gardant toutefois l’élégance de ne point offenser ou profaner l’honneur ou la mémoire des uns et des autres. Son témoignage offre un éclairage saisissant de la politique au Congo des vingt premières années de notre indépendance, à l’opposé, par exemple, du tintamarre brouillon, et souvent boueux de la Conférence nationale souveraine.

Dans un pays où de grands acteurs de différents pans de la vie nationale quittent la scène en rejoignant le paradis ou l’enfer avec leurs secrets, M. Henri Lopes, même s’il n’a évidemment pas daigné écrire tout ce qu’il sait, nous a transmis un savoir utile. A nous d’en faire bon usage. Amadou Hampâté BA avait opportunément dit, « En Afrique lorsqu’un vieillard meurt, c’est une bibliothèque qui brûle ». Je me permets d’ajouter, en exagérant à peine, que la plupart de nos anciens, notamment ceux qui peuvent écrire et surtout publier et qui volontairement et égoïstement ne le font pas, sont des pyromanes car, ils sont les incendiaires des bibliothèques qu’ils représentent.

Ce livre dégage également l’avantage d’avoir été écrit dans l’humilité car, l’auteur, dans son récit, ne s’attribue pas de qualités jupitériennes, s’amusant même de ses faiblesses et ne se vantant pas de ses qualités, pourtant immenses. Ce manque de forfanterie et cette modestie lui font même dire, j’en suis convaincu à tort, que son souvenir périra vite, tant son nom n’est accolé à aucune loi mémorable. Non, ce livre et d’autres, s’il en est besoin, se chargeront de le faire connaître aux futures générations et perpétueront son prestigieux nom.

Sa modestie ressort nettement dans sa reconnaissance des erreurs qu’il a commises dans la gestion des affaires publiques et plus largement celles qui ont émaillé l’action des décideurs de sa génération, propulsés prématurément à d’énormes responsabilités et mal préparés à remplir les devoirs des charges visiblement trop importantes. Et que dire de l’idéologie marxiste importée par ces jeunes cadres ?

Cette responsabilité collective que beaucoup rechignent à endosser, se défilant toujours, avait été portée courageusement et fort à propos, en 1992, par Denis Sassou N’Guesso, dans son historique "J’assume". Je ne peux me permettre de ne point relever que le lecteur rencontre dans ce bouquin une écriture exquise et délicieuse.

J’incline à penser, après avoir été marqué, à titre illustratif, par "Tribaliques" dans mon adolescence à l’Ecole militaire préparatoire général Leclerc, ébloui par "Le lys et le flamboyant" et émerveillé par " Une enfant de Poto – Poto" (j’en suis un), que tel le vin, le charme de l’écriture d’Henri Lopes se bonifie avec le temps et l’âge. Enfin, la fin de ce livre relate des faits comme sa retraite diplomatique, le départ vers l’Eternel de Nirva, sa tendre et fidèle épouse et heureusement son retour au bonheur grâce à Christine, son nouvel amour et bien sûr à l’écriture quotidienne. Ces pages m’ont véritablement attendri. En effet, l’auteur qui a dépassé « L’après – midi » de sa vie, demeure intellectuellement actif et entouré d’une femme, des enfants et petits – enfants qui l’aiment. En fin de compte, il écrit là quasiment un traité sur la manière de vieillir paisiblement, tel Cicéron dans "Savoir vieillir".

Loin de moi, le désir de lui souhaiter la fin de vie du philosophe et orateur Romains, mais uniquement mon vœu ardent de le voir couler des jours heureux et savourer « la richesse des gisements du pays de la solitude ». Il nous rappelle si justement que le bonheur est dans la sérénité et l’élévation de l’âme qui tempèrent ou annihilent les difficultés physiques, inhérentes au grand âge. Cet art de vieillir permet « de se moquer des outrages de temps ».

Succombant à la tentation brûlante de reprendre la jolie formule allégorique éprise par l’écrivain, j’affirme « qu’en visant nos têtes, il a atteint nos cœurs ».

Toutes mes admirations, maître.

 

Colonel Rémy Ayayos Ikounga

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Édition Quotidienne (DB)

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