Interview. Raïssa Malu : « Les Stim ne sont pas plus difficiles que les langues, l’économie ou les sciences humaines»

Jeudi 21 Mars 2019 - 12:45

Abonnez-vous

  • Augmenter
  • Normal

Current Size: 100%

Version imprimable

Physicienne de formation, professeure de sciences et de mathématiques, auteure et éditrice, Raïssa Malu est la promotrice de la Semaine de la science et des technologies en République démocratique du Congo (RDC), dont la sixième édition aura lieu du 20 au 25 avril. Ambassadrice du Next Einstein forum pour la RDC, elle est également coordinatrice du Projet d’éducation pour la qualité et la pertinence des enseignements aux niveaux secondaire et universitaire (Peqpsu) pour le ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel. Elle estime qu'il est plus efficace et bien plus agréable d'enseigner le domaine des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (Stim) en éveillant l’intérêt, la curiosité et en faisant travailler l’imagination.  

 

 

 

 

 

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : La sixième édition de la Semaine de la science se tiendra du 20 au 25 avril. Quelle sera sa particularité ?

Raïssa Malu (R.M.) : Pour la première fois en RDC, nous aurons un mois, celui d’avril, consacré aux sciences et aux technologies avec des caravanes de sciences organisées entre le 1er et le 19 avril, dans six villes, à savoir Kinshasa, Kikwit, Kisangani, Tshikapa, Lubumbashi et Goma. Ces caravanes sont organisées par le Peqpsu avec le ministère de l’Enseignement primaire, secondaire et professionnel, le ministère de l’Enseignement supérieur et universitaire et le ministère de la Formation professionnelle, métiers et artisanat, sous financement de la Banque mondiale. 

Ensuite, ce sera la tenue de la sixième édition de la Semaine de la science et des technologies du 20 au 25 avril, sur le thème « L’ancien et le nouveau monde », parce que le monde change avec la quatrième révolution industrielle. La problématique centrale qui sera traitée se résume de la manière suivante : « Dans la perspective de cette quatrième révolution industrielle caractérisée par des innovations qui peuvent être source de division et déshumanisante, comment devrions-nous, en RDC et en Afrique, orienter nos systèmes éducatifs et nos modèles de développement pour que ces innovations soient au contraire libératrices pour notre pays et pour notre continent ? ». La sixième édition de la Semaine de la science et des technologies sera ainsi l’occasion de découvrir et de s’informer sur des technologies comme l’intelligence artificielle et la blockchain, les opportunités et les menaces qu’elles représentent pour la RDC, l’Afrique et le monde. Nous parlerons aussi écologie avec Audrey Pulvar, CEO d’African Pattern, que nous serons heureux d’accueillir à Kinshasa pour cette édition.

L.C.K. : En quoi va consister le concours national « Saper pour coder » que vous organisez pour cette édition ?

R.M. : Cette compétition  veut primer la meilleure application du numérique développée par des élèves et étudiants d’établissements scolaires et universitaires. Exceptionnellement, nous l’avons aussi ouverte aux étudiants de l’Université Marien- Ngouabi de Brazzaville parce qu’après tout, la Sape est une spécificité culturelle des deux Congo (rires). Et nous tenons à renforcer la collaboration ainsi que le partenariat scientifiques entre nos deux pays. La finale aura lieu le 25 avril qui est aussi la Journée internationale des femmes et des filles dans les TIC. C’est un beau symbole surtout que nous exigeons que les équipes soient composées d’au moins 40% de filles pour être recevables. Pourquoi organiser ce concours ? Parce qu’avec le Peqpsu, le gouvernement de la RDC veut numériser le secteur de l’éducation. En organisant un tel concours, nous contribuons à cet effort.

L.C.K. : Quel bilan pourriez-vous faire depuis le lancement de la première édition de la Semaine de la science ?

R.M. : La Semaine de la science et des technologies a été créée dans le but de développer, auprès des jeunes et du grand public, une culture scientifique et technologique, de promouvoir les savoirs et savoir-faire dans ces domaines, et d’y susciter des vocations. La première édition a eu lieu en 2014. Structurée en quatre temps forts, à savoir animations scientifiques, conférences, expositions et un concours national, elle a connu les résultats suivants en cinq éditions : cent deux expériences scientifiques animées par deux cents élèves du secondaire, cent neuf exposants, soixante-neuf conférenciers, deux concours nationaux, un livre édité comprenant dix-neuf œuvres inédites et environ trente mille visiteurs. L’événement fait désormais partie du calendrier scolaire et attendu tant au niveau national qu’international.

L.C.K. : Quelle est l'importance de l'organisation d'une Semaine de la science en RDC  ?

R.M. : Le problème majeur se trouve au niveau de la perception de ces domaines - sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (Stim). Le grand public, et même beaucoup d’acteurs de l’éducation en RDC, ne voient pas l’intérêt de ces domaines, estimant qu’ils sont difficiles et/ou qu’ils ne servent à rien. Ce dernier point me laisse toujours perplexe. Tout le monde, par exemple, utilise des téléphones, écoute la radio, regarde la télévision, prend des médicaments, certains se défrisent les cheveux, etc. Tout cela est devenu normal, banal. Et pourtant, la majorité ignore qu’il s’agit là d’applications des Stim ! Concernant l’aspect difficulté, les Stim ne sont pas plus difficiles ou exigeantes que les langues, l’économie ou les sciences humaines. Malheureusement, beaucoup de professeurs de mathématiques s’évertuent à « faire souffrir » ou à faire peur à leurs élèves. Et tous les domaines Stim en pâtissent. Pourtant, il est plus efficace et bien plus agréable de les enseigner en éveillant l’intérêt, la curiosité, en faisant travailler l’imagination. Certes, il faut en maîtriser les codes, les langages, mais n’est-ce pas cela la vie ? Il y a aussi le poids des préjugés. Des faussetés du genre « les Stim sont pour les hommes et par pour les femmes » sont encore trop vivaces dans l’esprit des gens. Enfin, l’inconscient collectif souffre encore aujourd’hui que nos connaissances ancestrales du milieu, des matériaux, des plantes, des animaux, ont été bafouées, ignorées, spoliées, perdues durant la période de la colonisation. Ces « nouveaux savoirs », héritage de cette période coloniale, peuvent ainsi être considérés avec une certaine méfiance, avec un certain dédain. Avec la Semaine de la science et des technologies, nous voulons réconcilier l’inconscient collectif avec ce passé, en rappelant la nécessité de construire l’avenir en alliant notamment les connaissances ancestrales à la force des outils des Stim.

L.C.K. : Professeure de mathématiques, comment évaluez-vous la qualité de l'enseignement de cette discipline et des autres sciences en RDC ?

R.M. : Au Peqpsu, je pilote la réforme des programmes du domaine d’apprentissage des sciences pour l’enseignement secondaire général. Cette réforme se démarque sur deux aspects. Le premier est l’approche pédagogique qui a été adoptée. Comme vous le savez, pour les parents et pour la société, ce n’est pas ce que nos jeunes apprennent à l’école qui compte, mais bien leur capacité à appliquer, à utiliser ce qu’ils ont appris dans la vie de tous les jours afin d’avoir un impact positif dans les communautés. La pédagogie transmissive, la plus courante dans nos systèmes éducatifs, n’est pas efficace pour cela. Elle produit essentiellement des répétiteurs, des personnes avec une faible capacité à résoudre des problèmes. Or, en adoptant l’approche par les situations dans nos nouveaux programmes de sciences et de mathématiques, nous permettons à nos jeunes de développer des compétences dans des situations qui font sens pour eux. Ce faisant nous suscitons leur intérêt pour ces domaines Stim et nous leur permettons de mobiliser les savoirs et savoir-faire appris en dehors du cadre strict de l’école. En plus, ils développent des compétences transversales et des soft skills comme apprendre à travailler en groupe, cultiver l’empathie, etc.

Le second aspect porte sur le processus éthique qui a été adopté. Après conception par les experts du ministère, les programmes sont pré-validés par une équipe d’enseignants et inspecteurs des deux niveaux, enseignement secondaire et enseignement supérieur. Après validation, ils rentrent dans les classes pilotes. Si les résultats sont positifs, ils sont généralisés. Les équipes de concepteurs restent en contact étroit avec le terrain, avec les véritables acteurs de la réforme et les enseignants dans les classes. Avec cette approche et ce processus, nous voyons un haut degré d’acceptation des nouveaux programmes par les enseignants et un regain d'intérêt pour ces domaines auprès des élèves. Tenant compte de cela, je suis optimiste pour ce qui concerne l’amélioration de la qualité des enseignements des sciences et des mathématiques en RDC. Mais attention, cela nécessite également, qu’avec le gouvernement, nous intensifions la formation des enseignants et que la fonction soit revalorisée. Nous y travaillons !

L.C.K. : Vous êtes une ambassadrice du Next Einstein forum (NEF). En quoi cela consiste-t-il ?

R.M. : Le NEF a les mêmes objectifs que la Semaine de la science et des technologies : informer et donner le goût des sciences, promouvoir les savoirs et savoir-faire africains dans ces domaines et susciter des vocations. Les ambassadeurs du NEF sont des « Champions de sciences » dans leur pays et ils s’engagent à faire professer ces objectifs durant leur mandat de deux ans.

L.C.K. : Qu'est-ce qu'une initiative comme le NEF peut-elle apporter à la RDC, en particulier, et à l'Afrique, en général ?

R.M.: Pour répondre à cette question, je vais citer ici Jean-Marc Éla (1936-2008), anthropologue, sociologue et théologien camerounais. Il s’agit d’un extrait repris de son livre "L’Afrique à l’ère du savoir : science, société et pouvoir"  aux éditions L’Harmattan : « Instituer une semaine africaine de la science dans chaque pays du continent permettrait d’accélérer le processus de formation des créateurs et des utilisateurs de la science. (…) Désenclaver la science, c’est lui permettre de se mettre en culture dans les lieux de la vie quotidienne pour que tout acteur social participe à la production des connaissances. » Voilà ce que le NEF et la Semaine de la science et des technologies apportent à la RDC et à l’Afrique.

L.C.K. : Quels sont le autres activités ou événements organisés par l'ASBL «  Investing in people  »  ?

R.M. : Investing n People ASBL met à disposition des organismes nationaux et internationaux l’expertise de ses membres et partenaires en éducation, formation en entreprise et l’édition, sous la forme de consultance.

LCK : Quels sont vos projets pour finir  ?

RM : Notre nouveau projet est la construction prochaine du palais des sciences et de la découverte de la RDC.

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

1-Raïssa Mali 2- Une affiche de la Semaine de la science 3 et 4- Des éditions précédentes

Notification: 

Non