Interview. Oly Ilunga : «La riposte actuelle a permis d’éviter qu'Ebola ne se transforme en véritable drame humain et économique»

Samedi 20 Avril 2019 - 15:15

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Le ministre de la Santé de la République démocratique du Congo (RDC) explique, dans l'entretien qu' il a accordé au Courrier de Kinshasa, les interventions qui sont menées sur le terrain dans le cadre de la riposte contre Ebola. Il indique, par ailleurs, que de nombreux facteurs font de cette maladie l'épidémie la plus complexe à gérer dans l’histoire du monde.

Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.): Quelle est la situation actuelle de l'épidémie d'Ebola en RDC ?

Oly Ilunga (O.I.) : A la date du 17 avril, nous avons enregistré 1302 cas d’Ebola, dont 843 décès et 380 guéris. Neuf mois depuis son apparition, nous avons réussi à contenir cette épidémie dans seulement deux provinces du pays, à savoir le Nord-Kivu et l’Ituri. Au total, vingt et une zones de santé ont déjà notifié au moins un cas confirmé d’Ebola.

L.C.K. : Plus de cent mille personnes ont été vaccinées contre Ebola à ce jour, mais quel est la situation globale de la riposte ?

O.I. : Globalement, la riposte actuelle a permis d’éviter que cette épidémie ne se transforme en véritable drame humain et économique pour l’entièreté du pays. Parmi les cent mille personnes vaccinées, plus de vingt-six mille sont des contacts à haut risque qui ont été directement en contact avec les fluides corporels d’une personne contaminée par Ebola. Sans l’intervention des agents de santé, la majorité de ces personnes aurait développé la maladie. Nous améliorons constamment nos interventions sur le terrain mais nous sommes fiers d’avoir déjà pu éviter plusieurs milliers de cas et de décès d’Ebola supplémentaires.

L.C.K. : Qu'est ce qui justifie que l'épidémie n'a pas pu être contenue dans le lieu où elle a été déclarée ?

O.I. : C’est une combinaison de facteurs qui a causé la rapide propagation de l’épidémie au-delà de l’épicentre de Mangina. Tout d’abord, les agents de santé locaux ont alerté très tard le niveau central de l’augmentation de la mortalité chez eux, car ils étaient en grève. Lorsque l’Institut national de recherche biomédicale (INRB) a reçu les premiers échantillons, à Kinshasa, une trentaine de personnes était déjà décédée. Ensuite, la population dans les provinces touchées est extrêmement mobile et le réseau routier est relativement bien développé et entretenu. Mangina se situe à seulement trente kilomètres de Beni. Lorsque les équipes de riposte y sont arrivées, en août 2018, la maladie s’était déjà propagée à Beni. Et c’est cette mobilité constante de la population qui est également à la base de la propagation de l’épidémie jusqu’à Butembo et d’autres zones de santé de la région.

L.C.K. : L'efficacité du vaccin rVSV-Zebov-GP est estimée à 97,5% pour contrôler la propagation de l’épidémie d’Ebola. Qu'en est-il exactement de ce vaccin  ?

O.I. : Pour l’instant, nous disposons de stocks suffisants de vaccin. Son producteur nous avait confirmé que trois cent mille doses de vaccin étaient déjà disponibles et que des doses supplémentaires pourraient être produites. Mais la réaction de la population face au vaccin contre Ebola est ambivalente. D’un côté, des contacts à haut risque refusent d’être vaccinés et, de l'autre, la population demande à ce que nous organisions une campagne de masse pour tout le monde; ce qui n’est pas possible. De manière générale, nous sommes néanmoins parvenus à vacciner la majorité des personnes ciblées (environ 91%).

L.C.K. : Le 12 avril, le comité d'urgence de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a conclu que l'épidémie d'Ebola ne constitue pas « une urgence de santé publique de portée internationale.» Comment analysez-vous cette conclusion ? 

O.I. : Tout d’abord, il faut savoir que la RDC ne combat pas cette épidémie seule. Depuis sa déclaration le 1er août 2018, tous les plus grands partenaires internationaux du ministère de la Santé ont à nos côtés, y compris l’OMS, l'Unicef, Gavi, la Monusco et des ONG internationales comme Médecins sans frontières et Alima. Avec l’extension de l’épidémie dans la région, de nouveaux acteurs internationaux nous ont également rejoints.

Le comité d’urgence de l’OMS est un comité d’experts scientifiques internationaux qui ont été convoqués par le directeur général de cette agence onusienne, le Dr Tedros Adhanom. Leur rôle était d’évaluer l’efficacité de la riposte actuelle d’un point de vue de la santé publique pour contenir l’épidémie. Les experts internationaux ont décidé de déclarer que cette épidémie ne constitue pas « une urgence de santé publique de portée internationale » car, d’un point de vue de la santé publique, toutes les mesures sont prises pour la contenir. Ils ont reconnu que des facteurs spécifiques à la région, tels que l’insécurité, ont ralenti le travail des équipes de la riposte. Mais les récentes adaptations de la riposte qui mettent davantage l’accent sur l’engagement communautaire commencent à porter leur fruit pour réduire les cas de violence contre les équipes de terrain.

L.C.K. : Quels sont les problèmes auxquels le pays est confronté dans cette riposte ?

O.I. : De nombreux facteurs font de cette maladie d’Ebola l’épidémie la plus complexe à gérer dans l’histoire du monde. Bien sûr, il y a la présence d’une centaine de groupes armés dans la région, rendant certaines zones inaccessibles. Ensuite, la population, ayant fait face à la violence pendant plus de vingt ans, a développé des mécanismes d’auto-défense par rapport à toute personne étrangère à la communauté. Gagner la confiance d’une population qui s’est longtemps sentie délaissée par le gouvernement et par la communauté internationale est un défi permanent auquel nos équipes sur le terrain doivent faire face. La seule solution est de rester à l’écoute de la population locale, de respecter ses traditions et de faire en sorte qu’elle s’approprie la riposte. Cette approche d’engagement communautaire nous a permis d’accéder à des zones contrôlées par des groupes armés qui ont compris le danger de la maladie et ont accepté notre aide pour protéger leur population.

L.C.K. : Qu'en-est-il d'une autre épidémie, celle de chikungunya qui serait également déclarée en RDC, notamment à Kinshasa et au Kongo central ?

O.I. : En effet, plusieurs cas de chikungunya ont été détectés à Kinshasa et dans le Kongo central mais ce n'est pas une urgence de santé publique, vu que c’est une maladie qui est rarement mortelle. Pour se protéger, la population doit respecter les mêmes mesures préventives que celles applicables dans le cas du paludisme.

L.C.K. : Comment éradiquer complètement Ebola en RDC et éviter une nouvelle apparition de cette maladie ?

O.I. : Ebola est un virus naturel dont le réservoir se trouve dans la forêt équatoriale qui couvre plus de la moitié du territoire de la RDC. Les virus ne s’éliminent pas. Dans toute l’histoire de l’humanité, seulement un virus, celui de la variole, a été éliminé. Tous les autres continuent à exister et ressurgissent chaque année, comme le virus de la grippe.

Lorsque nous faisons face à un virus dont le réservoir est naturel, l’objectif de l’action gouvernementale n’est pas de l’éliminer mais d’améliorer la capacité à le surveiller, le détecter et le contenir par une action rapide pour éviter tout risque de propagation nationale et internationale. Donc, Ebola fera toujours partie de nos vies mais, avec le temps, les nouveaux outils de santé publique, notamment les vaccins et les molécules thérapeutiques, et une meilleure formation des agents de santé congolais nous permettront de faire en sorte que les cas sporadiques d’Ebola ne se transforment plus en épidémie.

 

Propos recueillis par Patrick Ndungidi

Légendes et crédits photo : 

Le ministre de la Santé, le Dr Oly Ilunga

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