CFCO : la société française Spie Batignolles dans le viseur du Cran pour crimes contre l'humanité

Samedi 31 Août 2013 - 13:45

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Le Conseil représentatif des associations noires  de France (Cran), une fédération d'associations crée en 2005 pour lutter contre les discriminations auxquelles font face les populations africaines et antillaises vivant en France, va déposer une plainte contre la société Spie Batignolles pour les crimes coloniaux commis lors de la construction du chemin de fer Congo-Océan

Louis-Georges Tin, président du CRAN« Le cas CFCO est emblématique parce qu’il avait attiré à l’époque l’attention d’un certain nombre d’Européens touchés par la violence de ce qui se déroulait au Congo, sans être forcément anticolonialiste d’ailleurs. Il a inspiré Terre d’ébène du journaliste Albert Londres ou encore le Voyage au Congo d’André Gide », déclare Louis-Georges Tin, président du Cran. « La France reconnaît 17 000 morts officiels. Des déportations ont été organisées sur plusieurs milliers de kilomètres. Par exemple, des Tchadiens recrutés de force dans leur pays ont été acheminés à pied pour exploiter le chemin de fer avec une mortalité terrifiante. Ce n’est rien de moins que de l’esclavage et donc un crime contre l’humanité, mais cela n’est pas reconnu comme tel par l’histoire de France », dénonce Louis-George Tin. Pour le leader associatif, la colonisation positive n’existe pas, et il considère qu’il n’y a pas lieu d’opposer ces travaux forcés à la traite négrière : « La seconde colonisation, débutée au XIXe siècle, a été marquée par des crimes qui ne sont toujours pas reconnus, notamment les travaux forcés qui n’avaient rien à envier à l’esclavage. »

Concernant le chemin de fer Congo-Océan, les travaux des parlementaires français de la commission de l’Algérie et des colonies de la chambre des députés publiés en 1928 ont établi que la mortalité sur ce chantier s’était élevée à 57% des effectifs. « Lorsque le PDG de Spie Batignolles évoque aujourd’hui l’aventure outre-mer de la société par le passé, on se demande s’il s’agit de cynisme poussé à l’extrême ou d’ignorance », s’insurge Louis-Georges Tin. Le groupe français Spie Batignolles est issu de la Société de construction des Batignolles, une ancienne entreprise française de construction ferroviaire et de travaux publics fondée en 1871. Cette société a opéré dans les années 1920 la construction de la ligne de chemin de fer reliant Brazzaville à Pointe-Noire, longue de 510 kilomètres.

« Le dépôt de la plainte sera fait avant les vacances de Noël. Nous recherchons encore des archives au Congo pour retrouver des filiations. Certains membres du Cran sont des descendants des travailleurs du CFCO, mais il s’agit d’une mémoire orale. Nous recherchons des archives et des personnes qui souhaiteraient se joindre à la plainte », précise le président du Cran.

L’État congolais n’a pas été pour l’heure associé au dépôt de plainte du Cran. La plainte pour crimes contre l’humanité entre dans le cadre de la vaste campagne en faveur des réparations des crimes contre l’humanité commis pendant la première et la seconde colonisation lancée par le Cran. Une première plainte avait été déposée en mai dernier contre la Caisse des dépôts et consignations, une entité qui gère les fonds publics français, accusée d’avoir tiré profit de la traite négrière. « Nous n’avons pas effectué dans un premier temps de travail avec les États pour que les choses ne soient pas d’emblée instrumentalisées. La France pourrait faire pression politiquement sur les États africains, explique Louis-Georges Tin. Mais nous travaillons avec la société civile des pays concernés. À mesure que le procès va prospérer, nous pourrons associer les États. Les réparations sont pour eux ainsi que pour les populations concernées et pas pour le Cran. »

Pour expliquer cette démarche judiciaire, le président du Cran avance : « Le Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault, s’était engagé à mettre en place une politique de réparation, mais cela a été contredit par le président Hollande qui, citant en le déformant Aimé Césaire le 10 mai, a parlé d’impossible réparation. Donc nous réglons les problèmes au tribunal. » Avant de lancer : « Impossible n’est pas français, ni caribéen, ni africain ! » Pour justifier la démarche du Cran, Lous-Georges Tin cite d’ailleurs volontiers le cas de James Cameron, le Premier ministre britannique, dont le gouvernement a versé des réparations au Kenya ; l’Italie, qui a accepté de dédommager la Lybie ; ou encore les États du Caricom, le marché commun des Antilles et des Caraïbes, qui se sont mobilisés pendant l’été pour obtenir des réparations.

« Il y a d’autres actions en cours, pas forcément des plaintes. Nous avons toute une série d’actions liées aux réparations culturelles pour les objets muséaux visant notamment le Musée du Quai-Branly. Ce sont des trophées pillés d’une manière scandaleuse après avoir tué des gens. Il faut une nécessaire restitution de ces objets qui sont des biens mal acquis. Nous lancerons des campagnes visant des pays précis », annonce le président du Cran.

Pour en savoir plus : Le-cran.fr – Pour transmettre des archives ou documents : tin@le-cran.fr

 

Rose-Marie Bouboutou

Légendes et crédits photo : 

Photo : Louis-Georges Tin, président du Cran. (© DR)