« L’imposition du modèle d’APE intérimaire existant revient à forcer les pays ACP à accepter l'ouverture des marchés aux multinationales européennes », selon Laurent Levard

Mercredi 11 Décembre 2013 - 16:00

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Alors que la date fatidique de la révision du régime commercial préférentiel accordé par l’Union européenne (UE) aux pays du groupe Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) arrive bientôt à son terme, les négociations restent au point mort

Les accords de partenariat économique (APE) permettent aux pays bénéficiaires d’échapper à l’application de droits de douane et de quotas aux exportations vers l’UE, rappelle Bruxelles. Le calendrier fixé prévoit que les pays du groupe ACP doivent basculer vers de nouveaux APE intérimaires avant le 1er octobre 2014, faute de quoi « ils tomberont dans un régime d’échange moins avantageux en perdant les préférences commerciales prévues par l’Accord de Cotonou. »

Malgré ce calendrier, les pourparlers n’ont pas avancé. Au cours du sommet de l’Élysée pour la paix et la sécurité en Afrique (les 6 et 7 décembre), qui a réuni une quarantaine de chefs d’État et de gouvernement, le président français Hollande y a fait une brève allusion, précisant que la France était « favorable à la conclusion du processus de négociation régionale des APE avec des conditions de calendrier et de contenu plus favorables pour les pays africains ».

Africains et Européens doivent se rencontrer en avril 2014 à Bruxelles pour le sommet Afrique-UE, dernier grand rendez-vous de négociation des APE. Un conseiller de Pascal Canfin, ministre français chargé du Développement, pense que « s’il n’y a pas d’accord à cette date, cela va devenir très compliqué. Il faut renégocier rapidement ces ACP, sinon les droits de douane vont augmenter. »

Bruxelles explique qu’à ce jour, dix-sept pays du groupe ACP n’ont pas ratifié ou appliqué les accords conclus avec l’UE depuis 2007. Pour certains des pays les moins avancés (PMA), notamment africains, l’enjeu reste encore lointain : certains disposent d’un accès total au marché européen sans réciprocité sur l’ensemble de leurs exportations à destination de l’UE, tout en conservant le régime des APE intérimaires. Pour les autres, ces accords sont aussi synonymes d’ouverture de leurs marchés domestiques à l’UE.

De vives inquiétudes du côté du groupe ACP

Bruxelles explique que le régime commercial accordé par l’Europe aux pays du groupe ACP serait incompatible avec les règles internationales du commerce érigées par l’Organisation mondiale du commerce (OMC).

L’un des responsables de programme de l’ONG française GRET, Laurent Levard, souligne que « d’après l’interprétation que Bruxelles se fait des règles de l’OMC, l’accord commercial doit se libéraliser jusqu’à 80% et dans une période raisonnable, soit quinze ans. » En clair, pour libéraliser les échanges, l’UE propose d’ouvrir son marché à 100% aux pays africains, ce qui est déjà presque le cas. De leur côté, les pays africains vont devoir progressivement ouvrir leur marché à 80% aux importations européennes d’ici quinze ans à partir de la ratification des nouveaux accords.

Dans un courrier envoyé au président français à la suite du sommet, l’ONG précise que « l’imposition du modèle d’APE intérimaire existant revient à forcer les pays ACP à accepter la seule ouverture des marchés aux multinationales européennes en lieu et place du partenariat promis. »

Pourquoi les pays africains traînent-ils à signer les APE ?

La plupart des pays craignent des pertes de recettes fiscales avec l’abolition de droits de douane, ainsi que la concurrence des produits en provenance d’Europe, qui deviendront plus compétitifs sur le marché africain en profitant de l’exemption de droit de douane.

Laurent Levard déplore que l’Afrique peine à transformer ses matières premières. L’autre difficulté dans les négociations réside dans l’intégration régionale africaine, censée être favorisée par les APE. Or le rapport des sénateurs Jean-Marie Bockel et Jeanny Lorgeoux d’octobre 2013 constate qu’« en l’état des négociations, l’effet inverse est en train de se produire, chaque pays négociant seul des accords différents dans le cadre d’un ultimatum ».

Laurent Levard rappelle que les accords intérimaires sont censés disparaître lorsqu’un accord régional sera signé et que pour l’heure, les négociations se font pays par pays, chacun des accords ayant un contenu différent.

Une situation qui rend difficile la constitution de zones régionales de libre-échange en Afrique.

Noël Ndong