Sakia Lek, le nouveau visage de la mode congolaise

Samedi 17 Janvier 2015 - 8:45

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Dans le petit monde de la mode congolaise, son nom figure désormais comme une référence en matière de création. Passionnée de mode et d’histoire dès son jeune âge, Sakia Lekounzou a fait ses armes à Paris puis au Maroc où elle fait des études de mode et en travaillant parallèlement pour des géants du prêt-à-porter comme Forever 21 et Banana Républic. Femme du monde, basée à Dallas, elle multiplie des apparitions dans de nombreux évènements tels que la Haute Africa Fashion Week ou la Black Fashion Week pour présenter ses collections uniques travaillées,  chics et sophistiquées, se jouant des formes tout en finesse.

Les Dépêches de Brazzaville : Avec une enfance passée au Congo, un pays qui n’est pas connu dans la dynamique de la mode, on pourrait s'étonner de votre intérêt très tôt pour l'univers de la mode. Racontez-nous la petite histoire  qui vous a conduite à devenir styliste aujourd’hui...

Sakia Lek : Enfant, ma passion c’était l’archéologie et l’histoire en général avec une nette préférence pour l’histoire. J’aimais lire l’histoire des costumes et son évolution dans le temps. De cet amour du costume je suis vite passée à la mode, en regardant les défilés de mode. Ma mère m’a beaucoup encouragée là-dedans. Il y a aussi ma tante qui me laissait souvent avec une de mes cousines qui faisait de la broderie. En manipulant l’aiguille à ses côtés, j’ai pris goût de cet univers.

L.D.B: A quel moment décidez-vous de faire de la mode votre métier ?

S.L : Inévitablement à l’école de mode. Je suis congolaise et dans notre éducation, en général ce sont les parents qui décident de notre orientation scolaire. Le métier de tailleur n’est pas valorisé chez nous. Du coup, je me disais que je suivrai des études comme tout le monde et parallèlement je ferai ma passion. Et en étant à Paris, je respirais déjà la chose en moi. J’étais très connectée aux 6 minutes de M6 lors de la fashion week. Mais en arrivant dans une école où sont passés des designers qui ont réussi j'ai décidé de faire de ça mon travail.

L.D.B : Peu de choses bougent dans le domaine de la mode au Congo, cela t’interpelle-t-il ?

S.L : C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai accepté l’invitation d’Antonella Goma pour le Brazza Festival qui a eu lieu en décembre dernier. J’ai complètement adhéré à son idée de faire bouger les choses parce que j’aimerai nous voir arriver à un haut niveau. J’aimerai aussi voir  les gens accourir au Congo pour voir le travail des designers locaux. Mais je sais que cela n’arrivera pas tant que l’on ne se mettra pas à niveau. On a eu Brazza Festival ou Molato na Brazza.  Et bien de gens ont le même intérêt et la même envie que moi. Je regarde les choses avec un regard plein d’espoir. Il y a des défilés à Brazzaville que l’on transforme souvent en dîner de gala, ce qui n’est pas très professionnel. Un défilé de mode est encore vu par certains comme un concert ou un spectacle. Ce n’est pas encore compris comme une industrie qui peut apporter des emplois et qui peut effectivement nous mettre sur la carte du monde en termes de destination et faire de nous en Afrique la capitale de la mode. Je vois dans le monde Lisbonne, Tokyo et toute les grandes capitales du monde se battre pour avoir la première place. Hier c’était Paris. Aujourd’hui elle n’est plus que la capitale historique de la mode. Désormais c’est New-York qui décide. Mais pourquoi pas nous en Afrique ?  Le Sénégal, le Nigéria, le Ghana se meuvent mais nous sommes encore en arrière parce que nous ne bougeons pas assez.

L.D.B: A votre avis comment faire bouger les choses dans un environnement qui souffre d’un manque d’infrastructure professionnelle dédiée à la mode ?  

S.K : Pour être honnête très difficilement. Mais il faut informer et créer des plates-formes. Il faut faire comprendre à ceux qui ont les moyens que la mode est une industrie sérieuse qui peut nous apporter beaucoup. Que nous avons des talents endormis et qui sont souvent pousser vers autre choses parce qu’ils se disent qu’ils se disent que cet art ne nourrit pas son homme. En s’orientant vers autre chose on perd des talents et forcement on se dit qu’il n’y a personne dans ce domaine. C’est faux, on en a, mais ils sont obligés de s’orienter vers autre chose pour vivre. C’est vrai qu’il faut des écoles, mais avant des écoles il faut l’information. Il faut changer les mentalités en informant. Que les gens comprennent aussi que lorsque l’on présente un défilé de mode, c’est d’abord pour vendre auprès des acheteurs. 

L.D.B: Vous aviez été membre du jury lors du concours des jeunes talents organisé à Brazza festival. Qu’avez-vous pensé du travail des quatre candidats ?

S.K : J’ai eu beaucoup de mal à les juger. Je les vois avec un regard de sœur. Forcément c’était difficile de les noter. Si cela ne dépendait que de moi, tout le monde passait parce que j’estime que chacun avait sa particularité, sa technique et ses contraintes. En tant que designer, nous devons être dans une atmosphère propice à la création et des fois les situations autours de nous empêchent de créer parce que nous craignons de ne pas être compris. A cela s’ajoute la nécessité d’avoir les moyens de vendre son art. Les designers sont aussi des artistes. Je trouve que tous les quatre avaient ce côté-là. J’aime beaucoup Djibril Kachidi parce qu’il a ce côté très patchwork et c’est différent. Corine Bill a ramené le raphia coloré que j’aime beaucoup en l’incorporant au lin. Gallina aime beaucoup travailler avec le tissus, on voit son jeu même si elle n’est pas allée jusqu’au bout parce qu’elle peut faire plus. Quelque part ils ont tous peur d’aller jusqu’au bout parce qu’ils craignent de ne pas être compris, etc. Et les jumelles sont caractérielles. Elles ont proposé des découpes que les femmes en général en Afrique aiment beaucoup, c’est une autre façon de faire les choses qui est très bien aussi.

L.D.B : A voir vos collections on note l’absence du pagne, très prisé par certains créateurs africains.  Pourquoi avoir fait choix ?

S.L : Dans mon système de création, je ne pense pas forcément à la femme africaine entant que femme africaine. Je pense à elle de la même manière que je pense à la femme européenne, américaine, etc. Pourquoi ? Aujourd’hui la femme africaine voyage, elle est évoluée, intelligente. Donc je pense à elle de la façon la plus normale. Et l’une des raisons pour laquelle je n’utilise pas le pagne c’est justement pas parce que je ne veux pas que cela devienne une limite pour moi. Je veux habiller toute les femmes. Quand je pratique le design, c’est pour la femme tout court. 

Propos reccueillis par Meryll Mezath

Légendes et crédits photo : 

Collection Sakia Lek au Brazza Festival 2015; Crédit: Osi photographe