Interview. Sarah Monguia: « Il est impossible de suivre un modèle inexistant »

Vendredi 24 Mars 2023 - 12:01

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Sur le continent africain comme au Congo, l’émancipation de la femme passera certainement par une meilleure représentation de son image, notamment dans les médias. Canaux de communication traditionnels et canaux 2.0 ont donc un rôle à jouer pour revaloriser les femmes. Genre et médias,  Sarah Monguia, journaliste passionnée, pointe sans langue de bois la nécessaire représentativité des femmes dans les sphères décisionnelles. Entretien.

 

Les Dépêches du Bassin du Congo (L.D.B.C.): Que pensez-vous des médias au Congo en termes d’équité et de parité ?

Sarah Monguia (S.M.) : Nous sommes dans un pays où les femmes sont majoritaires et, par conséquent, elles représentent la grande partie de la main-d’œuvre. Le domaine qui est le nôtre ne fait pas exception car là encore les femmes sont majoritaires dans les rédactions, les stations de télévision et de radio. Mon seul regret est qu’elles n’occupent pas souvent les postes de prise de décisions : rédacteur en chef, directeur de publication, directeur général. Elles sont plus dans l’exécution que dans la décision alors qu’en occupant ces postes, elles peuvent influencer la chaîne de production de l’information. L’histoire de la presse montre que très peu de femmes ont animé les grands plateaux de débat qui construisent l’opinion publique. Il est donc nécessaire de booster le leadership féminin afin de lui permettre de se découvrir et de se mettre en avant, parce que notre société ne peut avancer sans la femme.    

L.D.B.C.: La parole féministe s’est fortement propagée dans l’espace numérique. Une jeune génération d’activistes s’est emparée du web et des réseaux sociaux pour défendre l’égalité entre les sexes. Pensez-vous que les réseaux sociaux participent à l’émancipation des femmes ?

S.M, : Oui, en effet. Les réseaux sociaux aujourd’hui constituent un facteur d’inclusion sociale car ils permettent aux femmes de mieux se positionner rt de mieux se valoriser. Ils ont facilité la libéralisation de la parole féminine. Ce, à travers des débats, des discussions. Certaines expriment leurs idées, leurs opinions par les pages Facebook, blogs, comptes Instagram et tweeter, Tik Tok. Elles ont un puissant instrument de communication loin des médias traditionnels qui sont malheureusement dominés par la présence masculine.  Un équilibre entre la modernité et notre culture s'impose, dans le respect évidemment de notre identité africaine et de nos valeurs congolaises. Le bonheur avec eux, c’est qu’ils consacrent l’esprit même de la démocratie. Mais, certaines femmes ne comprennent pas encore l’importance de cet outil et ne se limitent qu’à une utilisation cosmétique, notamment la publication des photos et des contenus inutiles.  

L.D.B.C.: Qu’est-ce qui explique, selon-vous, la sous-représentation des femmes dans les sphères décisionnelles au Congo ?

S.M. : Cette sous-représentativité aux postes de prise de décisions est liée à plusieurs niveaux. Premièrement, les femmes ne sont pas responsabilisées en ce qui concerne les postes nominatifs. Au niveau des postes électifs, il faut aligner autant de candidatures hommes que femmes pour plus de chances. Alors, dans ce genre de situation, on joue plus à la ruse car mettre trente hommes face à dix femmes, cela amoindrit leur chance de gagner. Un problème de crise de confiance vers la compétence féminine. Cela doit intégrer une politique généralement de parité pour promouvoir la femme.  

Secondo, je pointerai du doigt la responsabilité de la femme elle-même. Parfois, son engagement et sa détermination n’ont pas toujours été au rendez-vous. La femme qui a réussi à mieux se positionner doit servir de modèle, en étant plus visible dans les médias afin d’inspirer les jeunes filles à suivre cet exemple. Elles existent mais dans l’anonymat, alors, il est impossible de suivre un modèle inexistant.          

L.D.B.C.: Que pensez-vous de la célébration du 8 mars au Congo ?

S.M. : La journée du 8 mars devrait être un jour bilan pour évaluer le combat sur la parité homme-femme, apprécier les avancées et se fixer les objectifs pour relever les défis. Au Congo, le sens de l’instauration de cette journée n’est pas encore compris par plusieurs femmes. Elle se résume donc à la consommation de l’alcool, au port du pagne et à l'exhibition des pas de danse. Même au niveau de nos administrations, c’est cette réalité. C’est bien dommage qu’une journée des droits des femmes se transforme en une journée de la chosification et de l’abrutissement des femmes. Connaissant le sens erroné de cette journée, je ne porte pas le pagne expressément le 8 mars. Et ce, depuis que j’étais sur les bancs de l’école.

L.D.B.C.: Pensez-vous que la parité devrait se conjuguer de la même façon sur le plan marital comme sur le plan professionnel ?

S.M : Ah! Il y a certains termes modernes que je n’ose pas utiliser parce qu’ils sont contraires à la pensée de Dieu sur la famille. Dieu est pour le leadership féminin. Ailleurs dans la Bible, il y a eu des femmes juges comme Déborah. Cette parité est professionnelle. Car je suis allée à l’école comme cerveau, j’ai un master et donc sur le plan professionnel il s’agit de la compétition des compétences. Au niveau de la famille, la femme est la gardienne des valeurs, c’est la ministre de l’Education, évidemment avec la collaboration de son mari. Mais Dieu a donné un ordre : Dieu est le chef de Christ, Christ est le chef de l’homme et l’homme est le chef de la femme. Cette position ne se fait pas en dehors du cadre défini qui est la famille. C’est la femme qui porte la grossesse et non l’homme. Elle est la partenaire naturelle de l’homme et les deux agissent dans la cogestion. Certaines personnes aujourd’hui utilisent très mal certains versets de la Bible sur la soumission de la femme, notamment.       

L.D.B.C.: Cette année, à l'occasion de la journée internationale dédiée aux femmes, le Congo va s'aligner sur la thématique retenue par ONU Femme. « Femmes, protégeons-nous contre les violences en ligne avec la loi Mouebara », telle est la déclinaison congolaise du thème mondial. Que pensez-vous de cette thématique ?

S.M. : Les femmes sont victimes des violences de tout genre. La loi Mouebara les ont catégorisées. La libéralisation de la parole est encore un grand chantier car les victimes ont peur de dénoncer pour ne pas être stigmatisées. Dans une société où nous entretenons la culture du viol, celle de mettre en cause la parole de la victime avec un espace de banalisation des actes subis, il faut continuer avec la sensibilisation, la formation des jeunes filles. En cela, le rôle de la famille est convoqué car c’est là que l’on forme le caractère, les attitudes de la jeune fille, à savoir dire non devant les maux. Oui, mettre l’accent sur les violences c’est une bonne chose, après il faut éviter de tomber dans la victimisation. Au Congo, les problèmes de la femme sont aussi ailleurs. Au-delà des thèmes mondiaux, il faut regarder nos réalités, les défis actuels de la femme congolaise.   

 

    

Propos recueillis par Durly Émilia Gankama

Légendes et crédits photo : 

Sarah Monguia/DR

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