Chronique « Renessence » : le choix des amitiés
À l'opposé, elles peuvent nous détruire, nous désorienter, nous maintenir vers le bas, nous empêcher d'avancer. Contrairement à la famille, les amis, on est libre de les choisir. Mais cette liberté ne signifie pas toujours que l'on va être accepté, respecté ou valorisé dans une relation amicale ou que l'on doit tout accepter par peur de rester seul. La drépanocytose est une maladie où la notion de différence ressort très fortement. Physiquement, à cause des symptômes de la maladie, on peut paraître différent, avec une ancre dans la vie, dans le sol, visiblement plus délicate. On renvoie souvent l'impression d'avoir besoin d'être protégé, et même physiquement soutenu, et donc, lorsqu'on n'est pas dans un bon milieu, on peut facilement passer pour une cible facile. Notre différence ressort aussi par notre façon de penser, de voir les choses. Généralement plus observateurs parce qu'on est de fait toujours sur nos gardes donc plus sensibles aux interactions autour de nous, on donne l'impression d'en savoir plus, d'en savoir trop sur les gens, parfois même plus qu'eux-mêmes et ça peut très fortement les agacer, cette espèce de force tranquille, de force cachée, qui en sait trop mais qui ne dit rien. Les voyants indiquant " danger " peuvent ainsi se mettre à clignoter dans l'esprit des gens qui se montrent de fait méfiants à notre endroit. Notre différence est celle aussi de nos contraintes sanitaires qui nous poussent à une hygiène de vie parfois très caricaturale, la bouteille d'eau que l'on traîne partout, le pull et les chaussettes toujours dans le sac, un médicament qu'on va avaler en plein travail ou à une pause-déjeuner alors qu'on n'a pas l'air d'être spécialement malade ou en mauvaise forme physique, le sommeil qui nous tombe dessus alors que l'animation bat son plein, le besoin de silence là où toute la maison vibre au rythme des buts de football manqués ou marqués à la télévision. Autant dire, on peut paraître un peu comme des extraterrestres qui se sont perdus en pleine balade sur Terre. Or généralement, les amitiés, surtout chez les garçons, sont très portées sur l'action, le mouvement, la force, la performance. Intégrer un cercle à long terme, c'est trouver une compétence qui les en bouche un coin et qui nous valorise, nous aide à trouver notre place, le faire prenant généralement le pas sur l'être sur Terre. Chez les filles, c'est plus rude encore, car ce sont les notions esthétiques qui reviennent souvent, les histoires de garçons, des histoires de compétition, de rivalité de l'une vis-à-vis d'une autre et des affinités qui en découlent. Les personnalités féminines sont très caractérielles, dans le " show ", dans la séduction, à qui parle le mieux, s'habille le mieux, a les plus belles histoires. Ce qui laisse très peu de place à la connaissance de soi et au partage avec les autres. Nous avons personnellement eu de très belles amitiés, avant le lycée. Nous étions de fait plus à l'aise avec les garçons, les dynamiques féminines ne nous sautant aux yeux que de façon très vive. Nous avons gardé des amitiés longtemps et aujourd'hui encore, malgré la distance et les activités des uns et des autres. Malheureusement, il y a des amitiés que nous aurions préférées ne jamais avoir nouées, entretenues lorsqu'on réalise trois ans, quatre ans plus tard que ces personnes ont fait de notre maladie un motif de nous diminuer publiquement, de nous rabaisser, de nous dire que nous ne valions pas autant qu'elles et qu'elles nous faisaient une fleur de nous accorder un peu d'estime, un peu de respect là où " personne d'autre " ne le faisait. Nous n'avions donc pas, selon elles, à avoir un quelconque avis contraire et accepter comme un don du Ciel, qu'elles s'intéressent un peu à nous. La suite appartient à l'histoire. Lorsqu'on entend ce genre de discours, que l'on vit l'étape du lycée où trahisons et humiliations s'enchaînent, on devient pour le coup très sélectif. On apprécie les bons moments que la vie nous offre, l'ouverture d'esprit de tel ou de tel autre, l'authenticité et le franc-parler d'un autre encore, la grâce, les manières, l'élégance et la courtoisie de celui-ci mais on ne se projette jamais bien loin. On vit le moment présent, avec les cadeaux et les défis qu'il nous apporte, laissant à hier le soin de s'enterrer lui-même et à demain le soin de se prendre en charge lui-même également. Heureusement, les amitiés ne se construisent pas toujours sur la base de la logique, de l'expérience vécue, de la prudence et des raisonnements continus. Il y a des gens qui nous marquent. Des gens qui ne nous lâchent pas même quand notre côté saboteur s'active contre la relation. Il y a des gens en qui l'on se voit. Des gens avec qui l'on partage un lien qui semble avoir été écrit dans le Ciel. Nous entretenons des amitiés douces, réfléchies, ou au contraire sans filtre, où nous sommes libres de dire sans être jugée, sans que chacun de nos mots ne soit passé au crible, des relations où aucune de nos vulnérabilités n'est utilisée contre nous, où notre avis compte, nos lumières sollicitées, nos incertitudes éclairées, et nos élans communs renforcés. Des amitiés où il parfois difficile de déterminer où s'arrête notre identité et commence celle de l'autre. Des relations où nous partageons beaucoup de moments simples, refaisons le monde à notre manière, prenons un verre à la maison, ce qui reste encore le meilleur des restaurants, l'équilibre venant toujours d'une estime réciproque. Princilia Pérès Légendes et crédits photo :Illustration |