Les Dépêches de Brazzaville



Mode : J.M. Weston, une chaussure au panthéon de la Sape


Mais tout sapeur qui se respecte ou mieux encore, tout Congolais qui se respecte, doit avoir dans sa garde-robe une paire de chaussure mythique : le mocassin de J.M. Weston. L’histoire de la sape, plutôt l’histoire de l’élégance à la congolaise est indissociable de ce bottier français et particulièrement d’un de ses modèles. Eh oui, contrairement à ce que peut laisser croire son nom à consonance anglo-saxon, J.M. Weston est une entreprise de chaussures de luxe française, fondée en 1891 à Limoges, par Édouard Blanchard.

J.M. Weston, à la vie et à la mort

Pour comprendre le culte que le Congolais voue à cette chaussure, laissez-moi vous raconter cette histoire incroyable, mais vraie qui s’est déroulée il y a quelques années à Brazzaville : « La famille d’un sapeur décédé à Bifouiti, quartier de la périphérie sud de Brazzaville, a décidé de casser sa tirelire pour accomplir la dernière volonté du défunt, lui qui rêvait d’être inhumé dans un cercueil en forme de sa chaussure préférée : le mocassin de J.M Weston. L’image de cet enterrement qui a circulé sur les réseaux sociaux, montre une grosse chaussure qui est maintenue au-dessus d’un trou, par des rondins de bois. On y voit la famille qui pleure et dirige au-dessus du trou, le cercueil en forme de chaussure, sur lequel est inscrit en grosses lettres : J.M.Weston, devant un parterre d’invités et de curieux ».

As-tu vu Paris ?

Quand un Congolais (sapeur ou pas) arrive pour la première fois à Paris, deux rites incontournables s’imposent : voir la Tour Eiffel (pour les photos) et se rendre au magasin Weston situé sur l’avenue des Champs Elysées, pour acheter son mocassin. Un voyage à Paris ne vaut rien si tu ne rentres pas au pays avec tes mocassins Weston aux pieds.

Le mystère derrière les initiales de J.M.Weston

Cette entreprise française est fondée à Limoges en 1891 par un bottier appelé Edouard Blanchard. En 1904, son fils, Eugène se rend aux Etats-Unis, plus précisément dans la ville de Weston, dans l’Etat du Massachussetts, pour apprendre les dernières techniques de production. Il y reste trois ans. A son retour en France, il importe la technique du cousu « Goodyear » qui permet de monter et ressemeler les chaussures, et de les rendre plus résistantes. C’est également Eugène qui, en 1919, à la mort de son père, décide de limiter la production de six-cents à quatre-vingts paires quotidiennes. En 1922, Eugène Blanchard s’associe avec Jean Viard, dandy parisien rencontré sur les champs de courses. Ensemble, ils déposent la marque J.M. Weston et ouvrent une première boutique parisienne au 98 Boulevard de Courcelles, puis en 1932 sur la mythique avenue des Champs Elysées. Si le nom Weston rappelle la ville américaine, on ignore la raison des initiales « J.M ». Amusez-vous à poser la question autour de vous : qui sait ce que signifie «J.M.» de Weston ? Si un petit malin pense avoir la bonne réponse. Sachez qu’il a tort. Car même au sein de la prestigieuse marque, on ignore le sens de ces deux initiales : «Ce ne sont pas celles d’un prénom. Elles signifient ce que votre imagination vous commande : Je Marche, J’aiMe...», disait en riant un des responsables de la maison lors d’une interview.

Weston, chausseur de luxe

J.M.Weston, à travers les années s’est concocté un prestigieux catalogue des « Westman », à savoir des adeptes de la marque. Sachez avant tout que lorsqu’on se rend chez Weston, c’est pour y acheter une paire de luxe. Le premier prix pour s’offrir une paire de mocassin est d’environ 500 euros (soit à peu près 300.000 Frs CFA). Il faut compter beaucoup plus pour certains modèles, en cuirs spéciaux par exemple.  Si les dandys congolais et les artistes des deux rives à l’instar de Papa Wemba, qui a souvent cité la marque dans ses nombreux tubes, en sont fans, c’est peut-être aussi parce que la marque est connue pour chausser les hommes d’État français comme Jacques Chirac, Valéry Giscard d’Estaing, Nicolas Sarkozy ou François Mitterrand. D’ailleurs à propos de ce dernier, on raconte qu’il ne possédait pas moins dune trentaine de paires de mocassins Weston. Et chez nous, combien de fois n’a-t-on pas vu à la télé, l’ancien président Pascal Lissouba, mocassin Weston au pied, recevant ses hôtes à la présidence.

Le légendaire mocassin Weston 180, le soulier du vrai sapeur

Le 180 restera le modèle le plus connu et le plus vendu de la marque. Il est créée en 1946, juste après la seconde guerre mondiale. A l’époque, ce tout nouveau modèle à la ligne étroite et à l’empeigne courte, permet d’être enfilé sans chausse-pied ; c’est d’ailleurs l’une des raisons de son succès au Japon par exemple, où l’on retire ses chaussures à tout bout de champ. Ce qui explique aussi l’engouement des mocassins dans ce pays d’une manière générale. En cette période où les souliers pour hommes étaient principalement des derbys et des richelieu, l’idée était audacieuse et novatrice : il s’agissait en effet de proposer une « chaussure de voyage » donc relativement « casual », mais sans le nécessaire qui l’accompagnait habituellement, comme les lacets ou les tire-boutons. Bref, une chaussure moderne en phase avec son temps. Elégante en toutes circonstances. Mais c’est dans les années 1960 (curieusement année des indépendances africaines) que le mocassin 180 va véritablement prendre son envol, lorsque les minets des « Drugstore » vont s’emparer de ce soulier bourgeois, celui de leur père, pour le détourner en le portant avec des jeans ou des pantalons en toile et des chaussettes à losanges.

Solidement ancré dans le vestiaire BCBG, le 180 est une icône incontestable de la marque Weston. Il peut être porté avec une paire de jeans, un chino sans chaussette, un costume, un bermuda, on peut tout oser. Le 180 passe partout avec élégance, rien ne peut l’affecter, encore moins la douce patine que les ans marqueront sur lui. Sachant être ultra classique dans ses coloris traditionnels, le 180 à le mérite d’assouvir les caprices de la clientèle grâce à ses nombreuses déclinaisons de cuir, mais aussi grâce au « sur commande », qui ouvre à l’infini le champ des possibles où seuls le bon goût et le porte-monnaie du client pourront le freiner. Chaque saison d’ailleurs, Weston propose une série spéciale pour sa clientèle.

Les mocassins les plus…

Le mocassin Weston le plus cher : Il a couté 28.000 euros, soit plus de 18 millions de Frs CFA. Il s’agissait d’une création d’Olivier Saillard finalisée par la maison Lesage.

Le mocassin Weston le plus fou : un modèle tout en alligator sur quadruple semelles, également une création d’Olivier Saillard.

Le mocassin Weston le plus compliqué : c’est le « Perforé », un modèle qui réunissait sur une seule paire, sur l’ensemble de sa tige, toutes les perforations de la maison. De plus, chaque référence de perforation était indiquée sur la chaussure.

Mais il existe un second modèle qui fut également très compliqué à concevoir. Il s’agissait du « Retourné II », une paire de mocassins où la tige fut réalisée dans le cuir réservé généralement à la doublure, comme s’il avait été totalement retourné. L’extérieur laissant apparaître les coutures intérieures et le compostage.

Quand J.M. Weston rend hommage à un roi de la Sape

Vous l’aurez compris, J.M. Weston est une marque à la célébrité planétaire. Pour preuve, En décembre 2010, la marque obtenait la fermeture d’une usine de contrefaçon située en Chine. Toujours imitée mais jamais égalée, Weston ne boude pas l’immense succès dont la marque jouit en Afrique. Pour le symboliser, à la mort du musicien Papa Wemba en 2016, la marque lui rendait ce bel hommage sur sa page Facebook en écrivant : « J.M. Weston rend hommage à Papa Wemba, figure de proue de la musique congolaise dont le talent a inspiré des générations d’artistes. Créateur et ambassadeur de la Sape, cet amoureux de l’élégance restera une icône du style ».


Boris Kharl Ebaka

Légendes et crédits photo : 

L’emblématique mocassin 180, veau grainé marron bergeronnette et veau box beige