Interview. Bart Ouvry : « Ce qui rassemble les peuples, c’est avant tout la culture, la science et l’éducation »Mercredi 1 Mai 2024 - 9:00 A la tête d’une importante délégation de scientifiques du Musée royal d’Afrique centrale (MRAC), l’AfricaMuseum dont il est directeur général, l’ex- ambassadeur de l'Union européenne, Bart Ouvry, a lancé le « Programme de coopération 2024-2028 ». Il s’est entretenu avec Le Courrier de Kinshasa sur l’essentiel de cette réunion bilatérale au terme de l’atelier tenu du 24 au 26 avril, à Texaf Bilembo. Le Courrier de Kinshasa (L.C.K.) : De diplomate à directeur du MRAC, une institution forte et dont la réputation est bien établie, comment le vivez-vous ? Bart Ouvry (B.O.) : C’est quelque part le même genre de métier. Nous sommes là pour créer des réseaux entre les gens car lorsqu’on se parle en réseau, l’on se comprend mieux. Je crois que c’est cela l’objectif de la diplomatie comme celui d’un musée de faire en sorte que les scientifiques et le public se rencontrent pour une meilleure compréhension mutuelle. Donc, je me sens bien dans ma peau. Je suis comme un poisson dans l’eau au musée autant que je l’étais avant en tant que diplomate. L.C.K. : Pourriez-vous nous préciser les contours de votre mission à Kinshasa ? B.O.: Nous sommes venus avec dix-huit collègues depuis Tervuren, en Belgique, pour lancer le nouveau programme de coopération de l’AfricaMuseum et ses partenaires congolais. Nous étions une centaine de personnes à participer aux ateliers, principalement les co-promoteurs qui travaillent avec nous sur des projets scientifiques. Des projets qui souvent, touchent non seulement la science mais qui veulent aussi avoir un impact direct sur la société. Ils portent sur des questions de santé, de biodiversité, de la richesse naturelle du Congo, mais aussi celles des ressources naturelles où l’on déplore parfois des abus, une exploitation à outrance, et les questions muséales. Nous sommes une institution scientifique, mais aussi un musée qui travaille avec la population. Nous voulons populariser la science et contribuer à une éducation citoyenne. C’est un enjeu que l’on partage avec les musées et toutes les entités culturelles actives sur le terrain au Congo. Je crois que nous pouvons mutuellement nous entraider. Notre coopération, c’est vraiment du gagnant-gagnant. Nous apprenons beaucoup en venant ici sur le terrain et nous pouvons aussi, les uns et les autres, partager beaucoup de nos expertises et savoir-faire. Le poids des traditions, de la culture, est parfois tel que l’on ne peut pas comprendre qu’en parlant de la biologie, de la biodiversité, les savoirs traditionnels sont très importants. Les trois jours ont été un très bon moment d’échange qui nous a beaucoup appris. Nous allons en tirer les conséquences et ainsi améliorer la manière de coopérer avec nos partenaires congolais. L.C.K. : Au terme des travaux auxquels vous avez pris part, pensez-vous que le nouveau programme suscite assez d’engouement dans le chef des scientifiques ? B.O. : J’ai senti avant tout beaucoup de collégialité, nous avons vraiment travaillé entre collègues, du Congo et de la Belgique, de tous les horizons, de toutes les disciplines. Les échanges se sont réalisés dans cette atmosphère de collégialité et de solidarité. Je crois surtout que les liens personnels qui se sont tissés pendant ces trois jours vont beaucoup faciliter les choses. Même si aujourd’hui c’est devenu facile de travailler aussi à distance, le fait d’avoir pu se voir ici mais surtout de réaliser des rencontres interdisciplinaires, c’est très important. Entre les sciences humaines et les sciences exactes, mais aussi entre nous, beaucoup de ponts ont été jetés ici. Cela va faciliter notre travail dans les quatre, cinq ans à venir. L.C.K. : De tous les projets discutés, y en a-t-il un qui vous tient particulièrement à cœur, sur lequel vous êtes très regardant ? B.O. : Je crois que l’un des enjeux le plus important, c’est la question de la restitution qu’il faudra bien mener de sorte que l’on obtienne et maintienne l’appui, le soutien de la population, que ce soit au Congo ou en Belgique, en Afrique ou en Europe. Il faut que cela nous permette de nous rapprocher. Pour moi, il s’agit d’un grand enjeu dont les travaux devront être bien menés et sur lesquels il faudra bien communiquer. Faire en sorte de ne pas prêter le flanc aux malentendus et aux procès d’intention qui existent. Il faudrait que l’on communique très bien sur l’objectif : rapprocher le citoyen de ses traditions et lui permettre d’en avoir une meilleure compréhension. C’est un grand enjeu qui, je le sais, n’est pas du tout facile. Mais, c’est mon engagement d’y travailler afin d’arriver à un bon résultat car finalement, cela engage la légitimité de l’AfricaMuseum. L.C.K. : Qu’est-il prévu après le lancement de ce vaste programme à Kinshasa ? B.O. : Nous ferons d’abord un rapport qui sera soumis à tous les participants, avec éventuellement des remarques, ajouts et corrections. Mais très vite, nous passerons au concret. Mais je crois que le fait d’avoir noué de bons liens et d’avoir établi un bon réseau permet d’ajuster les choses. Qui sait quelles seront les attentes de la société d’ici deux ou trois ans ? Ce n’est pas qu’un projet, c’est tout un programme qui pourra être ajusté en plein parcours pour pouvoir répondre aux demandes de nos partenaires congolais et de la société. L.C.K. : En dehors de ce programme, n’y a-t-il rien d’autre de prévu entre Kinshasa et Bruxelles ? B.O. : Oh, non, non ! Ceci est un programme ayant pour base un financement spécifique de la coopération, mais nous en avons aussi d’autres. En tant que musée, nous ne sommes peut-être pas riches financièrement, mais nous avons énormément d’expertise. Il s’y trouve quatre-vingts scientifiques et un staff dynamique qui travaille beaucoup. Nous sommes toujours à la recherche de nouveaux financements et de nouveaux partenariats. C’est quelque chose qui ne s’arrête jamais. L.C.K. : Il semble que le partenariat de la République démocratique du Congo avec l’AfricaMuseum est l’un de ceux qui tiennent encore la route… B.O. : Moi, j’y crois beaucoup. Si j’ai fait ce switch entre la diplomatie et le musée, c’est aussi parce que je crois fermement que ce qui rassemble les peuples, c’est avant tout la culture, la science et l’éducation. Je n’oublie pas les autres aspects de coopération tels que la sécurité, les relations politiques, ils sont importants. Mais je crois que la culture, la science, c’est ce qui nous rapproche le plus au niveau humain.
Propos recueillis par Nioni Masela Légendes et crédits photo : 1-Bart Ouvry, clôturant l’atelier de lancement du « Programme de coopération 2024-2028 »/DR
2- Vue des participants à l’atelier de lancement du « Programme de coopération 2024-2028 » /Adiac Notification:Non |