À quel moment les dirigeants africains ont-ils pris la mesure du danger que représente pour leurs États, l’activisme de la secte islamiste Boko Haram qui écume le Nigeria ? Est-ce après l’enlèvement, le 4 avril 2013, à Chibok, de 276 jeunes lycéennes par les hommes d’Abubacar Shekau ? Est-ce au regard de la multiplication des massacres et agressions qui s’étendent au Cameroun et au Niger voisins ? Est-ce bien avant tout cela, ou seulement après les attentats meurtriers de Paris contre Charlie Hebdo ?
Chercher des réponses à ces interrogations pourrait ressembler à engager une polémique inutile sur ce dossier sensible de Boko Haram qui appelle plutôt à la communion des efforts pour extirper le mal qui se répand. Il est vrai, cependant, que placée devant les mêmes réalités, la France avait mieux communiqué sur ce qui s’était produit sur son sol, les 7 et 9 janvier, en mobilisant l’opinion internationale sur les méfaits de la nébuleuse terroriste. Ce qu’ont fait très peu le Nigeria, victime indiquée de Boko Haram, la communauté des États d’Afrique de l’Ouest dont relève le pays attaqué, mais pourtant aussi l’Union africaine (UA) jusqu’à une récente date.
Comme si les événements épouvantables de la capitale française avaient ouvert les yeux à tous, voilà enfin l’Organisation panafricaine s’engager à porter le débat sur la place publique du palais de l’UA à Addis-Abeba. À l’occasion du 24è sommet tenu les 30 et 31 janvier dans la capitale éthiopienne, les chefs d’État africains ont longuement échangé sur les moyens à mettre en œuvre pour soutenir le Nigeria, le Cameroun et donc aussi le Niger dans la lutte contre la secte islamiste. Ils envisagent ainsi de mobiliser 7500 hommes dans l’objectif d’« une stratégie continentale pour contrer Boko Haram ». Tiendront-ils parole ?
Il parait en effet, à la décharge de l’UA et certainement aussi des voisins du Nigeria, que ce pays avait lui-même longtemps rejeté les propositions « continentales » d’une éventuelle intervention des forces africaines dans la lutte contre les rebelles islamistes. Abuja mettait en avant sa souveraineté et redoutait qu’un tel déploiement n’en vienne à la lui écorner. En toile de fond, expliquait-on, sans donner plus de détails, la concurrence sourde de leadership qui l’opposerait à l’Afrique du Sud.
Si une telle conception des choses relève de luttes d’influence presque normales que se livrent les États pour être mieux vus de l’extérieur, le péril en cours au Nigeria est suffisamment pesant pour ne pas faire taire ces querelles de prestige. Non seulement la secte Boko Haram sème la désolation sur son passage, mais elle contrôle aujourd’hui de vastes étendues du territoire de l’État de Borno, sa zone d’implantation. En pensant en plus au martyre que subissent les populations civiles, on a envie de trancher en disant que devant la détresse qui s’empare de leur pays, les dirigeants nigérians ne devraient pas choisir de faire valoir le caprice.
Il reste pourtant à se demander, pour terminer sans conclure, comment les États africains s’y prendront-ils pour concrétiser l’engagement d'Addis-Abeba ? Eux qui, c’est peu dire, n’ont jamais pensé à leur défense commune qu’en implorant l’aide tutélaire des forces internationales à travers les Nations unies. Eux qui, souvent, rechignent à mettre la main au portefeuille pour honorer leurs « factures » souveraines au sein de l’Union africaine. Eux, enfin, qui ne prennent conscience du danger qui les menace que lorsque celui-ci est en passe de franchir le point de non-retour. Attendons de voir si cette donne a vraiment changé.