Interview. Léonidas Carel Mottom Mamoni : « Nous allons remettre l’aspect panafricain du Fespam en ouvrant des postes importants aux pays membres de l’Union africaine »

Dimanche 14 Août 2016 - 0:09

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À la tête du ministère de la Culture et des Arts depuis quelques mois, Carel Mottom Mamoni fait le bilan de son action dans cet entretien accordé aux Dépêches de Brazzaville.

Les Dépêches de Brazzaville : Vous êtes ministre depuis environ 3 mois, vous avez multiplié des rencontres avec les acteurs du secteur sans doute pour cerner les contours du paysage culturel congolais. Que tirez-vous de toutes ces rencontres et quelle sera votre politique générale à la tête de ce département ?

Léonidas Carel Mottom Mamoni : Son Excellence Monsieur le président de la République, Denis Sassou Nguesso, m’a confié une mission, celle de mettre en pratique son programme de société. En effet, depuis mon arrivée à la tête de ce département de la Culture et des Arts,  j’ai rencontré divers acteurs culturels pour prendre le pouls, les écouter et évaluer les besoins de la communauté culturelle. Il en est ressorti au cours de ces rencontres que le secteur culturel n’est pas structuré. Les artistes ne disposent pas d’un statut, encore moins les opérateurs culturels. Beaucoup de structures sous tutelle ne disposent pas de statut juridique. Les artistes ne reçoivent pas d’aide de la part de l’État.  Il s’agit pour moi de redonner confiance et enthousiasme à des acteurs tellement délaissés, voire méprisés depuis tant d’années et inventer avec eux l’avenir de la vie artistique et culturelle de notre pays dans un monde en pleine mutation. Dans son programme de société « Réponse aux urgences des temps présents » et dans son volet 2 « Que faire, dès 2016, pour plus d’emplois au profit des jeunes ? », le président de la République dit : « Il faut créer deux ou trois incubateurs (structures opérationnelles qui suscitent, aident à s’installer, accompagnent et facilitent la réussite rapide) des entreprises, des jeunes…). Nous voulons faire du secteur culturel un de ces incubateurs. Ce secteur est beaucoup pratiqué par les jeunes. La prise en compte du secteur culturel parmi les secteurs incubateurs dans ce volet de réponses urgentes est nécessaire. Car ce secteur où excellent plusieurs jeunes nécessite un regard plus profond des pouvoirs publics d’autant plus que l’emploi des jeunes est au cœur du programme de Son Excellence Monsieur le président de la République, Denis Sassou N'Guesso. Le secteur culturel est un vecteur de créations d’emplois directs et indirects.

L.D.B : Au lendemain de votre arrivée, vous avez rencontré les acteurs du livre à qui vous avez promis la mise en place d’un fonds de soutien et  l’acheminement des livres d’auteurs congolais de la France vers Brazzaville. Où en êtes-vous à ce jour ?

L.C.M.M : Tout est mis en œuvre pour cela. Nous tenons notre promesse. Le MCA a transmis aux écrivains l’adresse du transitaire qui est dans la zone de Fret de Roissy. Dès que tous les écrivains auront déposé les œuvres au transporteur, ils seront immédiatement acheminés à Brazzaville. Donc, il n’y a aucun problème à ce niveau.

L.D.B: Un fonds de soutien du livre, c’est une bonne chose. Mais qu’en sera-t-il-pour le spectacle vivant, les arts plastiques, la photographie ou le cinéma qui ont eux aussi besoin de subvention et de diverses aides ?

L.C.M.M : Nous allons créer des fonds d’aide à la création et la diffusion artistique. Que ce soit le spectacle vivant, les arts plastiques ou la photographie, des subventions seront accordées selon le processus que nous définirons aux structures en règle avec les nouvelles dispositions juridiques concernant le secteur culturel. Pour le cinéma, c’est un secteur qui mobilise souvent de gros moyens. Nous réfléchissons à la création d’un Centre national de cinéma. Un organe qui sera chargé de la gestion de tout ce qui concerne le cinéma et les images animés, c’est-à-dire subvention, politique culturelle, etc.

Nous faisons la même chose pour les photographes. Au-delà des subventions qui pourront leur être accordées pour l’organisation des expositions ou la participation à des salons internationaux par exemple, nous réfléchissons aussi sur un mécanisme qui leur permettra d’avoir une épargne sociale pour leur retraite par la taxation par exemple des tirages photos. Enfin, des aides secteur par secteur seront accordées à tous les acteurs culturels du pays et, j’insiste beaucoup, qui seront en règle avec la nouvelle législation en vigueur. Vous comprendrez bien que par cette politique, nous mettons en œuvre le programme de son Excellence Monsieur le président de la République Denis Sassou N'Guesso, à savoir la création d’emploi pour les jeunes. Car, grâce aux subventions accordées, les entreprises culturelles pourront engager des jeunes artistes.

L.D.B : Vous vous êtes rendus à Addis Abeba où l’Union africaine s’est engagée à participer activement à l’organisation du Fespam. Comment se traduira cet apport de l’Union africaine concrètement ?

L.C.M.M : Désormais l’UA a décidé d’être présente dans toutes les activités du Fespam en amont comme en aval. C’est une grande première pour le Fespam.  Cet apport se traduira par l’engagement d’encourager toutes les diasporas africaines à participer à ce projet. L’UA prendra aussi en charge les prestations de quelques experts qui animeront les colloques ou la formation dans les métiers de la musique ou de la gestion de structure culturelle.

L.D.B : Est-ce pour vous une victoire de la diplomatie culturelle que vous souhaitez mener ?

L.C.M.M : Ce n’est pas une victoire personnelle. Nous n’avons fait que rétablir les choses qui étaient décidées lors de la création du Fespam. La participation de l’UA tant au plan financier que expertise fait partie des engagements de l’UA. Je n’ai fait que rétablir les choses. Je profite de l’occasion pour saluer le dynamisme diplomatique du ministre Jean- Claude Gakosso.

L.D.B : Comment comptez-vous redorer le blason terni du Fespam et en faire un événement incontournable et compétitif sur le plan international ?

L.C.M.M : D’abord, nous allons remettre l’aspect panafricain de l’événement en ouvrant des postes importants aux pays membres de l’UA. Par exemple, le directeur artistique pourra être un non Congolais. Ce qui pourra apporter une autre manière de faire dans les choix des artistes. Autre innovation, les artistes congolais auront une place de choix. Les jeunes groupes seront mis en exergue afin de leur donner une visibilité. Le Fespam sera vécu réellement comme un événement national et international. Certains groupes des départements feront leur entrée dans la programmation. Des podiums seront placés dans tous les arrondissements de Brazzaville afin de démocratiser la culture et donner accès aux quartiers périphériques souvent loin des zones où se déroulent les activités. Pendant longtemps, le Congo s’était retrouvé quasiment seul à financer et à gérer l’événement. Désormais l’UA va participer tant financièrement que techniquement. Nous ferons venir la presse internationale afin de diffuser l’événement médiatiquement au plan international. Par ailleurs, les Congolais se plaignaient que le Fespam n’avait aucun impact sur les populations. Nous allons désormais veiller à cela. Par exemple, les formations aux métiers de la musique seront organisées. Au plan économique, la culture est un secteur qui crée de nombreux emplois directs et indirects. Ainsi, par l’emploi de plusieurs personnes par le festival dans son organisation, des jeunes pourront disposer des revenus leur permettant de consommer et relancer ainsi l’activité économique des commerçants. La mise en place d’un village artistique, c'est-à-dire un lieu de rencontre de tous les festivaliers, tous les jours  permettra aux artisans, sculpteurs, peintres, restaurateurs, hôteliers, transporteurs, autrement dit la plupart des secteurs, de créer des emplois pour faire face à l’augmentation de la demande générée par l’accroissement de leurs activités. Ce lieu sera un endroit où des contacts pourront être établis et aussi des contrats signés avec les programmateurs étrangers invités pour la circonstance. Ces rencontres auront pour corolaire la professionnalisation des artistes et donc l’assurance de revenus futurs liés à leur activité artistique.

L.D.B : La vie culturelle est l’un des axes de votre politique. Cela suppose une réelle politique culturelle décentralisée. Quelle politique culturelle allez-vous mener aussi bien dans les régions que dans les quartiers ?

L.C.M.M  : Vous savez que dans la nouvelle Constitution la décentralisation a été consacrée. Pour l’instant, le transfert réel des pouvoirs aux collectivités locales n’est pas encore effectif. Mais le ministère dispose des directeurs départementaux qui sont des relais du notre action. Il existe trois directions départementales dans chaque département. Nous avons le directeur départemental des Arts et des Lettres, le directeur départemental du Livre et de la Lecture publique et le directeur départemental des Archives et du Patrimoine. Ils recevront des subventions du ministère pour réaliser les actions décidées par mon département. La culture sera amenée dans les quartiers populaires. Par exemple, pendant le Fespam, les podiums seront placés dans tous les quartiers. Les groupes de théâtre et de danse iront désormais se produire dans tous les départements. Les subventions seront attribuées aux structures culturelles qui organiseront des activités dans les départements et les quartiers.

L.D.B : Vous parlez aussi d’économie culturelle. Cependant, ces termes renvoient à un écosystème (création, marché, acheteurs, diffusion, etc) qui est quasi inexistant localement et dont l’apport est quasi inconnu. De quelle manière allez-vous relancer et rendre possible l’apport de la culture et des arts à l’économie congolaise au sens très large du terme ?

L.C.M.M : Certes, il n’existe pas de système permettant de mesurer l’impact du secteur culturel au Congo en raison de l’opacité de son fonctionnement. Mais les mesures et mécanismes que je suis en train de mettre en place permettront de corriger cette infirmité. En effet, comme je l’ai déjà spécifié plus haut, la mise en place du statut de l’artiste et de l’entrepreneur culturel, le développement du mécénat culturel, la politique de subvention sont des éléments qui vont générer une réelle économie culturelle. Le développement de l’offre culturelle par la création et la diffusion des œuvres artistiques sont des éléments qui vont générer des ressources pour l’État. Par exemple, un opérateur qui fait venir Koffi Olomidé, Maître Gim’s ou tout autre artiste au Congo. L’entrepreneur procèdera au retrait à la source des impôts sur le revenu des artistes invités, paiera des charges fiscales et sociales. Il paiera, en outre, des salaires au personnel direct et indirect. Ces personnes sont des futurs consommateurs des biens d’autres secteurs. Par leur consommation, ils paient ipso facto la TVA. Comme on le sait, elle revient à l’État. Cela est valable pour les groupes de théâtre, de danse, les organisateurs des festivals ou tout autre événement culturel. Les opérateurs étant désormais répertoriés par l’obtention d’une licence et, par conséquent,  leur activité ne pourront plus échapper au fisc. Pour rappel, la licence sera obligatoire aussi aux bars ou tout autre lieu qui reçoivent un concert, un spectacle, ou toute manifestation culturelle.

L.D.B : Allez-vous attaquer la question d’infrastructures quand on sait que nous ne disposons pas d’établissements culturels publics de bonne facture pouvant recevoir des créations contemporaines internationales ?

L.C.M.M : C’est vrai que notre pays souffre paradoxalement de cette infirmité malgré la qualité de ses artistes qui se déploient partout dans le monde entier. En effet, la construction des infrastructures  culturelles fait partie des investissements que mon ministère va faire. Il y a déjà le palais de la culture qui est prévu à Kintélé. Ensuite, dans chaque département nous construirons des maisons de la culture afin de permettre l’accès à tous à la culture. La culture est un facteur de cohésion sociale, un vecteur de paix. Nous voulons démocratiser la culture. Il est donc indispensable de construire des salles de spectacles.

 L.D.B : Une réhabilitation du Cfrad ou du Cercle Sony-Labou-Tansi, vous y pensez ?

L.C.M.M : Oui, bien sûr….Ce sont des lieux importants de création et de diffusion de spectacles. Le Cfrad a une très longue histoire. C’est là que le Général de Gaulle prononça son fameux discours en février 1944. Plusieurs de nos grands artistes ont fait leur pas là. Quant au Centre Sony- Labou-Tansi, c’est un lieu consacré à notre plus grand écrivain. Ces deux lieux méritent un toilettage, afin de redorer leur blason.  Mais nous réfléchissons aussi à la création d’une nouvelle structure qui regroupera les deux entités. Cette structure sera le moteur de la réalisation du programme culturel du ministère.

Propos recueillis par Dona Elikia

Légendes et crédits photo : 

Le ministre de la Culture et des Arts, Léonidas Carel Mottom Mamoni

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