Afrique centrale/Afrique des Grands lacs: deux régions en quête de stabilité

Lundi 1 Septembre 2014 - 20:00

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~~Depuis un peu plus d’une année, l’attention de la communauté internationale se focalise sur la République centrafricaine en raison de l’instabilité qui y règne. La crainte des partenaires extérieurs et des voisins de ce pays, est que les violences armées instrumentées par les luttes pour le pouvoir ne déteignent sur l’ensemble des Etats d’Afrique centrale, alors même que l’Afrique des Grands lacs, toute proche, n’est pas non plus épargnée par des conflits du même type. A quatre mois de la fin de cette année 2014 marquée par la montée des antagonismes de tous genres, l’Afrique centrale et celle des Grands Lacs se trouvent réellement à la croisée des chemins.
A la vérité, les deux régions en font presque une. Non seulement elles sont habitées par les mêmes peuples, mais les pays qui les composent sont à cheval entre l’une et l’autre région. C’est le cas notamment de l’Angola, considéré comme un pays d’Afrique australe, qui appartient tout naturellement aussi à l’Afrique centrale. Les cas aussi du Burundi et du Rwanda, faisant naguère partie de l’Afrique orientale allemande, qui ne sont pas moins membres de la région d’Afrique centrale. Le Burundi siège au sein de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale, le Rwanda qui s’y était retiré est décidé à revenir. Ou encore  la République démocratique du Congo, membre de l’Afrique des Grands Lacs, avec le Burundi, le Rwanda et l’Ouganda, mais aussi de l’Afrique centrale. Ce n’est peut-être pas anodin si les douze pays de ces deux espaces politico-géographiques (Angola, Cameroun, Gabon, Guinée Equatoriale, Centrafrique, Congo Brazzaville, Congo Kinshasa, Soa Tomé-et-Principe, Tchad, Burundi, Rwanda, Ouganda) ont, à quelque chose près, les mêmes préoccupations d’ordres  sécuritaire, politique et socio-économique. Descryptage :
Centrafrique : Comme cela est indiqué plus haut, la République centrafricaine connait des temps difficiles depuis plusieurs mois. Situer ce calvaire, pour lequel la population civile paie un lourd tribut, à la seule période de la prise du pouvoir par la Séléka, en mars 2013, serait hasardeux. A la différence de ses voisins, qui ne peuvent, loin s’en faut, se targuer de vivre dans la plus grande quiétude, le cas centrafricain est néanmoins exceptionnel, car dans ce pays, depuis plus d’un demi-siècle, la prise du pouvoir par la force, suivie de la déliquescence de l’Etat, lorsqu’un plus fort parvient à en chasse un autre, est érigée en règle. A cause de cela stationnent depuis plusieurs années des forces multinationales commises à la stabilisation de ce pays, avec les résultats qu’on sait. A n’en point douter, la Centrafrique demeure un cauchemar pour ses voisins.
L’année 2015 pourrait-elle être celle de la remise à niveau de ce pays grâce à la tenue que l’on souhaite dans la quiétude des élections générales au bout de la transition en cours ? Il est permis de le croire.
Il faudrait pour cela que chacun des acteurs centrafricains en vue, des autorités transitoires aux leaders des partis, des églises, des Ong ou des milices, mettent les intérêts supérieurs de la Centrafrique au dessus des leurs propres. Ceci d’autant plus que cette année-là sera, dans la plupart des pays d’Afrique centrale et des Grands lacs qui lui viennent en aide militairement et financièrement, celle des grandes manœuvres politiques dévoreuses d’énergies et d’apitoiement  pour autrui. 2015, une année charnière, on a envie de dépeindre ce futur proche.
Angola : les soucis d’alternance dans ce pays sont repoussés à l’an 2017 au lendemain de l’élection du président José Eduardo dos Santos par le parlement angolais, le 31 août, et sa prestation de serment, le 26 septembre 2012. Luanda n’a de cesse, depuis quelques décennies de s’affirmer comme une puissance militaire régionale, non sans attirer les regards plus ou moins envieux.
Les récents incidents frontaliers avec son voisin et ami historique, le Congo, heureusement réglés dans les hautes sphères des deux Etats, ont néanmoins alerté sur une sorte de prééminence dont se pare tout pays se sentant sûr de ses atouts. Sauf situation exceptionnelle, l’Angola poursuit allègrement la construction de son développement grâce à sa forte production pétrolière, qui le place désormais en tête des pays producteurs d’Afrique subsaharienne devançant ainsi le Nigeria plombé par les violences terroristes.
Cameroun : Après le scrutin du 2011, remporté par le président Paul Biya, les Camerounais attendront 2018 pour voter le nouveau président. Il y a encore un peu de temps peut-on dire. Mais à côté des appétits gloutons d’éventuels successeurs du locataire du Palais d’Etoudi, les Camerounais ont bien d’autres chats à fouetter aujourd’hui.
La proximité avec le Nigeria aidant, le pays fait désormais face aux incursions des hommes de la secte Boko Haram, décidés, à se constituer des bases arrière au Cameroun. Ce qui devrait, dans le moment présent, ressouder un tant soi peu l’unité des filles et des fils de ce pays vivant dans une relative stabilité depuis plusieurs années. Ceci ne veut pas dire que le paysage politique camerounais soit des plus sereins. A chaque élection, comme partout ailleurs sur le continent, les contestations des résultats manquent de peu d’ébranler la nation.
Gabon : élu en 2011, le président Ali Bongo Ondimba est confronté à la fronde des anciens barons de son parti, le Parti démocratique gabonais, pour certains, de proches collaborateurs de son père, feu Omar Bongo Ondimba. Même si son pays est épargné par des violences armées du genre de celles qui sont observées ailleurs chez ses voisins, le renouvèlement de son mandat, en 2016, aura l’air d’une épreuve du feu.
Après la dissolution de l’Union pour la nation, groupement mené par André Mba Obam, ex-ministre de l’Intérieur sous le président Bongo, Ali Bongo Ondimba est désormais marqué à la cheville par Jean Ping. L’ancien ministre des Affaires étrangères de son père et ancien président de la Commission de l’Union africaine met tout en œuvre, depuis qu’il a quitté le palais de l’UA, à Addis-Abeba, pour lui succéder. On imagine que la compétition restera électorale et honorablement démocratique et ne ressemblera pas à la présidentielle de 2011 qui fut émaillé d’incidents graves.
Guinée Equatoriale : Fort de ses abondantes ressources pétrolières, ce pays déroule intensément sa modernisation, avec l’ambition de fédérer des énergies africaines autour des préoccupations d’indépendance économique et politique de l’Afrique. On peut l’estimer à l’abri de soubresauts désagréables dans les années à venir. Sans le dire, l’alternance semble préparée dans le sens de la succession par le fils Teodorin Nguema Obiang à son père, Teodoro Obiang Nguema Mbasogo. La nomination du premier au poste de vice-président de la République a surtout été considérée comme un signe avant-coureur de cet aboutissement, même si rien, officiellement, n’a été déclaré pour l’instant.
Par le passé, la Guinée Equatoriale  a fait la une des médias à cause des tentatives de déstabilisation menées par des forces hostiles au pouvoir en place. Mais le pouvoir semble avoir une bonne longueur d’avance sur ces coups bas. La prochaine élection présidentielle en Guinée Equatoriale se tiendra en 2016. Au plan régional, Malabo n’a pas vidé son différend territorial avec le voisin gabonais, avec qui elle se dispute l’ile pétrolifère de Mbanié. La Guinée Equatoriale a aussi fait un faux bond à ses voisins d’Afrique centrale sur le calendrier de l’intégration, notamment dans la mise en circulation du passeport Cémac (la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale), en renonçant à la procédure d’établissement. Elle ne s’est pas ravisée depuis lors.
Rd-Congo : l’année 2016 fixe le terme constitutionnel des deux mandats du président Joseph Kabila Kabange, élu successivement en 2006 et en 2011. Traversée par tant de crises, dont la plus lancinante se déroule à l’est de son territoire, la République démocratique du Congo (RDC) vit sous l’assistance militaire des forces internationales de l’Organisation des Nations unies. Le 23 février 2013, à Addis-Abeba, en Ethiopie, un accord global fut conclu par la RDC et plusieurs de ses voisins sous le parrainage du secrétaire général de l’Onu, Ban Ki Moon.
Cet accord en plusieurs points engageait les dirigeants de Kinshasa, entre autres «  à réformer l’armée, la police et les services de sécurité, consolider l’autorité de l’Etat, poursuivre la décentralisation du pays, promouvoir le développement économique, des infrastructures sociales, promouvoir la réforme structurelle des institutions publiques, la réconciliation, la tolérance et la démocratie ». C’est dans cette optique  qu’étaient organisées des concertations nationales à Kinshasa, du 7 septembre au 5 octobre 2013.
Boycottées par les principaux partis d’opposition, ces assises préconisaient la mise en place d’un gouvernement de cohésion nationale censée apaiser le climat politique et préparer le pays à affronter les échéances électorales à venir dans la sérénité. Ce gouvernement n’est pas toujours formé, preuve que toutes les cartes ne sont pas réunies. Pendant ce temps, le débat sur une éventuelle modification de la constitution a pris toute sa place au sein de la classe politique de RDC. Les avis restent tranchés entre les partisans du oui et du non.
Congo : A l’instar de son voisin le plus immédiat lorsque l’on considère la proximité entre Brazzaville et Kinshasa, les capitales politiques des deux pays, le Congo attend lui aussi avec quelques appréhensions l’échéance présidentielle de 2016. En particulier du fait de la polémique en cours entre les tenants et les opposants à la révision ou au changement de la constitution en vigueur.
Mais quoi que passionné, le débat ici a quelque peu évolué, car même si le parti au pouvoir, le PCT, ne s’est pas encore prononcé officiellement sur le sujet,  plusieurs de ses responsables se sont exprimés en diverses occasions, à titre individuel ou associatif, disent-ils, pour inciter à l’organisation d’un référendum. Celui-ci devrait intervenir certainement l’année prochaine. Les partis politiques du centre veulent s’interposer entre la majorité et l’opposition pour offrir un cadre de concertation apaisée sur la question. Les observateurs pensent que les prochaines élections locales, fixées au 28 septembre prochain, seront un test à plus d’un titre.
 Les défis de ce rendez-vous auront pour noms, la mobilisation des électeurs afin d’assurer un taux de participation honorable à ces scrutins, mais aussi le consensus nécessaire de la part des partis politiques qui partagent les engagements pris lors des différentes concertations durant lesquels les dirigeants proclament leur volonté d’aller aux urnes dans la tranquillité et la transparence.  Il convient aussi de noter qu’en 2015, le Congo abritera les 11è Jeux Africains. Un rendez-vous sportif de la jeunesse africaine qui ne devra souffrir de désagréments qu’induirait une atmosphère politique délétère. 
Sao Tomé-et-Principe : le petit archipel de l’océan pacifique, officiellement appelé République démocratique de Sao Tomé et Principe, a élu son président, Manuel Pinto da Costa, au suffrage universel, le 7 août 2011, pour un mandat de cinq ans. C’est bien en 2016 aussi que ce dernier sollicitera à nouveaux les voix de ses compatriotes dans l’espoir de rempiler. De manière générale, ce pays a su préserver un climat électoral équilibré depuis l’ouverture démocratique favorisée par la conférence nationale de 1989. A 212 679 habitants, pour une superficie totale de 1 001 km2, le Sao Tome est presque une même famille et devrait éviter de se déchirer.
Tchad : l’élection présidentielle tchadienne de 2016 sera précédée des locales et des législatives en 2015. Pays stable  depuis l’arrivée au pouvoir du président Idriss Déby Itno en 1990 (contrairement aux alternances violentes qui émaillent son histoire), le Tchad n’est pas moins soumis à des luttes politiques d’envergure entre le pouvoir et l’opposition.
Désormais producteur d’or noir, le Tchad s’est donné les ambitions de développement tout en renforçant ses forces armées. Sa campagne malienne contre les islamistes aux côtés des forces françaises lui a valu le bon regard de l’ancienne puissance colonisatrice. Mais au moment où certains de ses voisins se tourmentent sur la question, ce pays semble avoir très tôt soldé le contentieux constitutionnel en ayant abandonné la clause de la limitation des mandats. «  Le président de la République est élu pour un mandat de cinq (5) ans au suffrage universel direct. Il est rééligible », stipule 61 de la constitution tchadienne en vigueur (2005).  Si ce n’est pas une fin en soi, cela accorde tout de même à ce pays un moment de répit dans le temps présent. Ceci n’a rien à voir, en revanche, avec la présidentielle prochaine, à la quelle le président Déby se positionnera sans doute. Son opposition ira-t-elle cette fois en rangs serrés ? Souvent divisée elle lui a souvent porté chance. Il restera tout de même au Tchad d’améliorer ses relations avec son voisin centrafricain lorsque ce dernier aura franchi sa propre transition en 2015. Sans dire que son retrait unilatéral de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique, en 2013, avait semblé secouer la maison Cémac.
Burundi : La période de la future élection présidentielle au Burundi est comprise entre le 26 juin et le 27 juillet 2015. Depuis deux ans se déroule dans ce pays un débat capital sur la possibilité ou non pour le président sortant, Pierre Nkurunzinza, de se présenter à ces consultations. Ici comme dans les autres pays d’Afrique centrale ou des Grands lacs, la pomme de discorde est constituée par le fait que le président en fonction a accompli ses deux mandats constitutionnels et ne devrait plus concourir.
Les partisans du chef de l’Etat l’y incitent et lui-même se dit prêt à répondre à l’appel de ces derniers si sa formation politique, le Conseil national pour la défense de la démocratie-Forces de défense de la démocratie (CNDD-FDD), le lui demande. Une perspective électorale à controverses autour de laquelle, le Bureau des Nations unies au Burundi (BNUB) pourrait, peut-être, jouer un rôle de conciliation en appui des institutions du pays commises à la gestion des questions électorales et constitutionnelles. Du 11 au 13 mars 2013, la succursale de l’Onu à Bujumbura avait réuni les politiques burundais dans la perspective de mieux aborder les élections générales de l’année prochaine. Si l’Onu intervient, c’est qu’il y a des choses à régler, pourrait-on dire.
Rwanda : Il faut attendre tout de même trois ans, avant de savoir si le président rwandais, Paul Kagame, briguera ou non un mandat supplémentaire à l’issue des deux premiers septennats (2003-2010 et 2010-2017). Pays hanté par le génocide de 1994, le Rwanda, en dépit des problèmes de politique intérieure suscités par les relations conflictuelles entre le pouvoir et l’opposition, est un modèle de succès sur la voie du développement.
Les experts lui accordent un satisfécit en matière de gouvernance économique au point de le citer en exemple. Rempilera ou rempilera pas, le chef de l’Etat ne l’a pas déclaré, qui répond, chaque fois que la question lui est posée que « les Rwandais seuls décideront ce qu’ils voudront le moment venu ». Une chose est sûre, Kigali à ces derniers temps des rapports en dents de scie avec plusieurs de ses anciens amis. L’Afrique du Sud, notamment, avec la succession des agressions signalées contre les opposants rwandais en exil dans ce pays ; les Etats-Unis qui s’en sont déclarés préoccupés ; la France, avec qui le Rwanda n’a pas soldé le contentieux né du génocide eu égard à la présence des forces françaises de l’opération Turquoise sur le terrain durant les événements. Quand à la République démocratique du Congo, le conflit à l’Est de ce pays envenime depuis des années  les relations avec le Rwanda.
Ouganda : Devrait-on, peut-être, dans le cas des deux régions, parler de la « petite exception » ougandaise ? Pendant 15 ans, en effet, entre 1986, année de la prise du pouvoir par le président Yoweri Museveni et 2001, l’Ouganda expérimente une «  démocratie sans parti ». A force de pression, la société civile ougandaise obtient, en 2005, l’instauration d’un système multipartite. Yoweri Museveni, lui, est élu en 2006, puis en 2011.
Alors qu’il fut moins critiqué pour avoir verrouillé la compétition politique dans son pays, le tombeur de Tito Okelo en prend pour ses galons ces derniers temps à cause de la promulgation par Kampala d’une loi réprimant l’homosexualité. Les critiques les plus virulentes viennent principalement de l’Occident. Pays d’encrage de la rébellion de Joseph Kony, l’armée de résistance du seigneur (LRA), l’Ouganda n’en est devenu aujourd’hui qu’un territoire moyennement affecté.
La LRA sévit désormais à la ronde, dans un espace comprenant la Centrafrique, la République démocratique du Congo et le Soudan du Sud. Si l’Ouganda n’est pas une puissance militaire régionale, il participe fortement, comme le Burundi et le Rwanda aux missions internationales de maintien de la paix, notamment en Somalie. Par le passé, il a assuré un appui logistique aux Forces patriotiques rwandaises dans leur conquête du pouvoir à Kigali ; a contribué à la prise du pouvoir par Laurent Désiré Kabila à Kinshasa. Yoweri Museveni devrait-il,  sans doute, remettre son mandat en jeu en 2016.
Résumons ce qui est écrit ci-dessus : avec un peu plus de 173 millions d’habitants, les deux régions forment une vaste région aux richesses variées. Il n’existe aucune entité commune d’intégration liant les douze pays qui la composent. Celles qui sont en place, géographiquement parlant, fonctionnement comme elles peuvent avec des fortunes diverses. Sur ce plan, d’ailleurs, ces ensembles économiques doivent s’entrechoquer entre-elles. Le cas notamment de la Communauté économique des Etats de l’Afrique centrale et de la Communauté économique et monétaire de l’Afrique centrale, ou encore la Conférence des pays des Grands lacs qui s’étend outre la Rd-Congo, le Rwanda, le Burundi et l’Ouganda, au Kenya, à la Tanzanie, à la Zambie, au Mozambique et au Malawi. Comment assurer le développement des deux régions précitées, et permettre au pays et aux peuples qui y vivent de profiter des potentialités qu’elles regorgent. Sans doute en étudiant des mécanismes politiques et d’intégration qui en préservent  la stabilité. Les politiques, tout  comme les experts ont du pain sur la planche.
 

Gankama N'Siah