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Ainsi va la musique : Extra-Musica Zangul dans la tempête, Roga-Roga sur la selette

Vendredi 28 Février 2020 - 15:15

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L’esprit de division serait-il donc inscrit dans les gènes de l’orchestre Extra-Musica Zangul du talentueux artiste Ibambi Okombi Rogatien, alias Roga-Roga ? Pourquoi cet orchestre, fleuron de la musique congolaise est-il si fréquemment secoué par des crises, dont certaines vont jusqu’à ébranler son socle ? Ainsi, la dernière crise a débouché sur le départ massif et tonitruant d’une quinzaine de musiciens, partis monnayer leurs talents ailleurs, en créant leur propre orchestre Extra-Musica Nouvel Horizon.

Au fait, que s’est-il vraiment passé dans la mythique maison Zangul du maître soliste Roga-Roga, désormais passé au micro ?

Crise de croissance ou conséquence d’un mauvais management, cette séparation interpelle les mélomanes, qui souhaitent y voir plus clair, tant cet orchestre, aux multiples consécrations, appartient désormais au patrimoine culturel des Congolais. Seulement voilà, à défaut de communications cohérentes, nos mélomanes ne savent plus où donner de la tête, dans cette indescriptible cacophonie. Celle-ci arrangeant bien sûr les affaires des spéculateurs, qui s’en donnent à cœur joie, dans ce qui s’apparente, de plus en plus à du « songi-songi ». Et les réseaux sociaux, qui en sont le réceptacle, explosent de ragots contradictoires, qui témoignent -s’il en était encore besoin- de leur appétence pour ce genre d’évènements sensationnels.

D’emblée, il faut rappeler que le phénomène des scissions est aussi vieux que le monde des orchestres. C’est un mécanisme d’évolution des structures humaines que l’on retrouve aussi ailleurs, comme par exemple dans le monde sportif. Mais, ce qui aurait été banal par ailleurs, revêt ici un tour dramatique, du fait, sans doute de la personnalité par trop clivante de Roga-Roga, et du poids des antécédents de son groupe musical, dans l’imaginaire des opinions publiques.

En effet, l’activité musicale dans les deux Congo relève encore hélas, principalement du domaine de l’informel, et évolue à ce titre à l’abri de toute règlementation. Ce qui en fait une activité essentiellement régie par la volonté et la morale des acteurs, où le rapport des forces s’est érigé en seul arbitre. Une véritable aubaine pour les « boss », qui en profitent pour y faire la pluie et le beau temps. Manifestement anachronique avec les temps modernes, ce fonctionnement aléatoire doit être balayé, pour rétablir la loi dans sa vocation de régulateur de l’ordre social. Sinon, dans cette affaire, ce sera toujours les plus faibles, qui se trouvent être aussi les plus jeunes, qui en pâtiront. Les « seigneurs » musicaux se servant d’eux, comme d’une main-d’œuvre taillable et corvéable à merci.

Une grave injustice à réparer, à leur égard, eux dont le dynamisme et la créativité participent pourtant, pour beaucoup à la prospérité et au rayonnement de ces orchestres. Si rien n’est fait, le phénomène du « mozui, na mozangi », chanté par Roga-Roga lui-même pourrait encore avoir de beaux jours devant lui. Avec pour danger, à terme de décourager les vocations dans ce domaine, en cours de professionnalisation, où les standards internationaux de qualité, très contraignants par ailleurs, en font une activité, à plein temps et à part entière.

Quant aux femmes, leur sort n’est guère brillant. La presse se fait régulièrement l’écho de nombreux abus, dont elles sont régulièrement l’objet. Et en la matière, selon les témoignages de ses anciennes danseuses, Koffi Olomidé passerait pour un maître !

 Vivement donc que les artistes, par le biais de leurs instances représentatives, telles que de l’Union des musiciens congolais (UMC) ou l’Union nationale des écrivains et artistes congolais (Unéac) s’emparent de ce problème, pour imposer un minimum de règles, dans ce qui apparait aux yeux du public, comme une zone de non-droit. Cet assainissement s’avère nécessaire pour redorer le blason de l’art, en général et de la musique en particulier, dont l’attractivité et l’image ne pourraient que s’en trouver améliorées. Ensuite, pour le rayonnement de notre pays pour lequel la musique a toujours beaucoup contribué. Et enfin pour la diversification de notre économie, à partir du moment où la musique draine désormais des sommes considérables d’argent, à en juger par le train de vie, manifestement fastueux de certains « seigneurs » de musique. Alors que dans le même temps leurs musiciens, réduits au statut de serf se « clochardisent » à vue d’œil, dans l’indifférence la plus totale. Eh bien Messieurs les « seigneurs », ne vous en déplaise, le statu quo n’est plus tenable.  « Trop c’est trop », comme l’avait lui-même titré Roga-Roga !

Au fond, les scissions ne sont vraiment pas le problème. Elles pourraient d’ailleurs même être la solution de redynamisation de notre offre musicale, par le renforcement de la concurrence et de l’émulation qui peuvent en résulter. Les mélomanes rompus à l’histoire musicale se souviendront par exemple que c’est par l’effet vertueux de cette « scissiparité » que nous devons l’existence de la plupart des orchestres qui nous ont fait rêver, tels que les Nzoï, le trio Cepakos, les Kamikazes, Viva la Musica, Zaïko Langa Langa, Langa-Langa stars, Wengué Musica etc.

Cette énième explosion d’Extra-Musica devrait, dans tous les cas engager Roga-Roga dans une vraie réflexion sur la philosophie de son management.  Quitte à recruter un manager attitré, pour lui éviter d’avoir à cumuler cette indécente position de juge et partie, avec les risques de conflit d’intérêt qui y sont inhérents. Sinon, les mêmes causes supposées – despotisme, arbitraire, égoïsme - produiraient les mêmes effets, et le condamneront à revivre les mêmes scénarios, un jour ou l’autre. Une instabilité, dommageable à la crédibilité de son orchestre, qu’il pourrait être tenté un jour d’attribuer à une improbable main noire (un autre titre de son album). Décidemment !

Il est dans l’ordre des choses que la professionnalisation de la musique appelle symétriquement celle de l’organisation et du management des orchestres qui la produisent. Des modèles de réussite existent, notamment à l’échelle internationale pour servir d’étalon. Rien ne sert donc de s’aventurer en terre inconnue ! Une première mesure de bon sens imposerait par exemple de contractualiser les rapports de travail, avec un statut du salarié, impliquant des droits et des obligations claires, comme c’est le cas dans bien d’autres domaines. D’autre part, Roga-Roga serait bien avisé de se souvenir que le bébé n’est l’exclusivité de ses parents que quand il est dans le ventre de sa mère. Une fois sorti de celui-ci, il devient une propriété collective. Transposée dans la gestion d’une entreprise, cette logique voudrait que le « boss » en arrive à dissocier sa personne de celle de son entreprise, avec son indispensable corollaire de la séparation des patrimoines. Sinon, c’est la porte ouverte à tous les abus, et en premier lieu, à l’abus de biens sociaux, au détriment du groupe.

Maintenant, du point de vue purement artistique, le match des deux extras s’annonce houleux. D’un côté, Extra Musica Zangul, avec son virtuose Roga-Roga, qui est capable à lui seul de faire la différence. De l’autre, Extra-Musica Nouvel Horizon, bardé de talents expérimentés, qui ne demandent qu’à être encadrés.

De ce duel, dont nous avons déjà eu un aperçu le 1e janvier passé, à l’occasion de leur production simultanée en plein air, nous devrons en savoir davantage à la sortie de leurs prochains albums, respectivement, « Patati patata » pour le premier et « Choc » pour le second.

Souhaitons leur « bon vent » pour le plaisir des mélomanes et pour le rayonnement de notre musique. 

Guy Francis Tsiehela, chroniqueur musical

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Édition Quotidienne (DB)

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