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Ces oubliés et ces méconnus de l’histoire congolaise : Congo-Kinshasa : la mutinerie de la Force publique

Vendredi 23 Février 2018 - 8:00

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Nous sommes en juin 1960, la petite saison vêt le Pool-Malebo d’un épais brouillard matinal. Il fait un temps frisquet. Les enfants et les femmes se réchauffent autour du feu. Le soleil matinal perce péniblement l’épais manteau de nuage et plonge ses rayons blafards sur le fleuve Congo qui coule paresseusement.  Le spectacle est féérique.

À Brazzaville, le monde s’éveille lentement. La ville est calme. La population s’apprête à vaquer à ses occupations quotidiennes : les travailleurs au boulot, les élèves à l’école,  les ménagères à leurs tâches, les marchands et les commerçants à leurs échoppes.

Kinshasa accède à l’indépendance dans la douleur.  Cette année-là,  le 4 janvier 1960, les populations de Léopoldville se soulèvent. Le président Joseph Kasa-Vubu, accusé d’être à l’origine de cette insurrection, est recherché puis arrêté par les forces belges. Entretemps, au mois de février, les politiciens congolais participent, à Bruxelles, à la table ronde. Au centre des débats,  l’indépendance du Congo-Belge. Elle est acquise le 30 juin de la même année. Au lendemain des festivités de l’indépendance, a lieu une mutinerie de la Force publique. Les militaires se sont aperçus qu’avant et après l’indépendance, le général Janssens, un Belge et symbole vivant de la colonisation, est toujours  commandant en chef de la Force publique. Vérité brutale. Les militaires congolais sont obligés de se mettre au garde-à-vous devant les officiers blancs et devant le président et le Premier ministre, hier encore en prison, sous leur garde. Pour eux, à tort ou à raison, c’est une situation vexatoire. À l’évidence, la mutinerie est dirigée contre le gouvernement. Le Premier ministre,  Patrice Emery Lumumba,  réagit promptement en nommant des Congolais au sein de la hiérarchie militaire. Le 8 juillet 1960, l’ancien adjudant Lundula, ancien infirmier, reprend du service. Il est nommé général, commandant en chef des troupes à Likasi ; de secrétaire d’Etat, l’ancien sergent Mobutu, qui avait quitté l’armée en 1956, devient chef d’état-major avec le grade de colonel. Pratique insolite, les soldats sont invités à tirer au sort les noms de ceux qui, parmi eux, étaient candidats au grade d’officiers. C’est dans ce contexte que l’adjudant Kokolo devient commandant du camp léopold. En dépit de ce qui apparaissait pourtant comme des  gestes d’apaisement, le mouvement s’amplifie sur l’ensemble du pays. Les troupes belges stationnées au Congo-Léopoldville interviennent pour protéger les Européens victimes de violences et d’humiliations diverses. Cette intervention ne peut contrarier le vent de panique qui agite les coopérants blancs, victimes de vexations, exactions et de viols. Ils n’ont d’autres choix que de quitter Léopoldville pour les berges de Brazzaville, plus hospitalières, en ces circonstances troublées, que la terre de sa sœur de la rive gauche. Pour les Belges, c’est la ruée vers Brazzaville. Les autorités congolaises de la rive droite mettent « les petits plats dans les grands », pour assurer la sécurité des ressortissants belges, pour l’essentiel. Brazzaville connaît une effervescence particulière. Les hôtels sont pris d’assaut. Il en existe quelques-uns : Le Grand Hôtel, en face de la Gare centrale (actuelle Primature) ;  Le Petit Logis, sis avenue Gouverneur-général-Eboué (Amilcar Cabral, aujourd’hui) ; l’Hôtel Métropole (sur la même avenue), en Face du Trésor public, Les Relais Aériens (à l’emplacement de l’actuel Ledger), Hôtel du Parc (en face de l’ancienne école des Cadres, actuellement, CEG de la Fraternité, etc. Le départ massif des expatriés belges vide l’administration de la nouvelle République. En dépit des conséquences sur le fonctionnement de l’Etat, cette exode des Belges constitue, à n’en point douter, une accélération du processus de décolonisation de la République démocratique du Congo. Les relations entre l’ancien colonisateur et son ancienne colonie s’en trouvent sérieusement compromises.

Brazzaville, de son côté, a fait de son mieux pour assurer aux fugitifs belges, le gîte et le couvert. En reconnaissance de cette hospitalité, la Belgique édifie, au profit du Congo-Rive-Droite, l’immeuble dit  des 10 étages, situé près du Tribunal de Grande instance, sur l’allée du Chaillu. L’hôtel « Ma Campagne »,  situé près de l’ancien abattoir de Brazzaville,  œuvre d’un Belge venu de Léopoldville dans la charrette des fugitifs, fut, de longues années, une relique de cet épisode agité de l’indépendance de la République du Congo-Léopoldville et un symbole de la légendaire hospitalité du peuple congolais de Brazzaville.  L’Hôtel « Ma Campagne » qui veilla, des années durant, sur le sommeil et au repos de ses clients de passage,  a laissé place, dorénavant, au cimetière « Ma Campagne » où nombre de nos concitoyens reposent pour l’éternité. La mort rôde  toujours autour de la vie.   Les vrais héros ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

                                                                                                                          

Mfumu

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