Ordre des architectes du Congo : Antoine Beli Bokolojoué dresse le bilan des 32 ans de l’institution

Samedi 27 Avril 2024 - 17:29

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Créé par la loi 013-92 du 29 avril 1992, l’Ordre des architectes du Congo (OAC) célèbre, ce lundi, ses 32 ans d'existence. Dans une interview exclusive accordée aux Dépêches de Brazzaville, le président de l’OAC, Antoine Beli Bokolojoué évoque, à travers un bilan, la bonne santé de son institution avant de projeter son avenir.

Les Dépêches de Brazzaville (LDB) : Comment se porte votre institution et quelles sont les perspectives de l'OAC 32 ans après sa création ?

Antoine Beli Bokolojoué (ABB) : Notre institution se porte bien et cette année nous célèbrerons le 32e anniversaire de notre existence.   Que signifiera être architecte dans les vingt-cinq prochaines années ?  L’avenir des architectes dans notre pays dépend largement de ce qui se joue aujourd’hui. Pour préserver notre indépendance et continuer à exercer pleinement nos missions de maîtrise d’œuvre, il nous faut prendre la mesure des évolutions nécessaires pour notre profession. Il s’agit de développer notre capacité à organiser notre exercice avec responsabilité, faire évoluer les agences vers des structures d’entreprises, nous adapter aux nouvelles pratiques et nouveaux outils, donner confiance aux commanditaires et au public.

C’est pourquoi les architectes sont une force de propositions. Pour que l’architecture et l’urbanisme soient le bien de tous, et l’instrument d’un cadre de vie démocratique, il faut renforcer le rôle de l’OAC, fixer un cadre réglementaire des appels d’offres de maîtrise d’œuvre en architecture ; reconnaître le statut et le titre d’architecture pour les architectes exerçant dans la fonction publique. Il faut aussi instaurer un diagnostic préalable global et indépendant, gage pour les usagers d’un investissement qualitatif et cohérent, lors de la réhabilitation ou la rénovation d’un bâtiment ; octroyer aux établissements un statut qui les rapproche des écoles d’ingénieurs pour faciliter les passerelles et accroître les compétences réciproques ; créer le conseil architectural et urbanistique auprès des départements pour accompagner leur réflexion sur l’aménagement et la concentration.

LDB : Quelles sont les actions que vous avez déjà menées depuis votre réélection ?

Depuis ma réélection, le conseil national a mis en place des commissions pour revoir nos textes, car certains de ces textes ne sont plus adaptés à la situation présente. Nous nous battons pour faire adopter les lois sur le port du titre, sur l’exercice de la profession et la loi sur l’orientation de l’architecture au Congo. Le Congo a aujourd’hui un institut d’architecture au sein de l’Université Denis-Sassou-N’Guesso, nous avons également les étudiants à l’EAMAU au Togo, école dont le Congo est membre du conseil d’administration. Nous avons des étudiants en architecture à travers le monde. Si nous ne réglons pas le problème du cadre législatif concernant ce métier, comment allons-nous faire avec tous ces jeunes qui vont rentrer en nombre chaque année ? telle est ma bataille aujourd’hui.

LDB : Dans d’autres pays, ce sont les architectes qui construisent les villes, mais chez nous, il y a comme une démission.  Comment expliquez-vous cette attitude ?

A B B : Non, nous ne sommes pas démissionnaires, encore qu’on nous consulte. Ce qui n’est pas souvent le cas. L’architecture est de toutes les époques et sur tous les territoires. Elle influe sur notre manière de penser, de circuler, en somme sur notre façon de vivre. L'architecte est le bâtisseur de la cité. Il faut replacer l’architecture au cœur des débats de société et remettre l’architecte au centre du projet urbain et architectural pour assurer la qualité du cadre de vie de chacun. Nous devons donc nous munir d’une stratégie en faveur de l’architecture fondée sur trois axes : sensibiliser, développer et innover. 

Malgré quelques rares efforts notables de certains départements ministériels et certaines entreprises publiques qui ont su s’attacher les services d’architectes, urbanistes, paysagistes, pour densifier et innover, force est de constater la médiocrité des paysages périurbains des villes, le mitage des campagnes, l’abandon de certains quartiers. Alors que le Congo est l’un des rares pays d’Afrique doté d’une loi sur l’exercice de la profession d’architecte, les deux tiers des constructions, notamment en commande publique, sont construites sans recours à un architecte. Quant à la commande privée, aucune obligation n’est faite pour recourir à l’architecte. La loi portant code de l’urbanisme et de la construction vient heureusement corriger les choses. C’est un outil législatif qu’il faut maintenant appliquer. Nous sommes conscients que le Congo comme d’autres pays traverse une crise économique mais aussi sociale et environnementale profonde dont les conséquences frappent très durement l’ensemble des métiers de la construction et de la maÏtrise d’œuvre.

LDB : Certaines villes congolaises, notamment Brazzaville et Pointe-Noire, sont aujourd’hui confrontées au phénomène d’érosions. Comment y remédier ?

A B B : C’est une question délicate, car plusieurs facteurs rentrent en jeu. Je prendrai quelques exemples dont l’occupation anarchique des terrains, les constructions qui ne respectent pas les normes. La première façon de lutter contre la nature, c’est la nature, c’est-à-dire la meilleure manière de lutter contre les érosions, c’est la végétation. Ensuite comme je l’ai évoqué tantôt, il faut règlementer les occupations des terrains et réglementer les constructions. Car, à la fin, c’est l’Etat qui paye la note pour réparer. Donc nous devons agir en amont. Aujourd’hui, en ce qui concerne les deux grandes villes, nous avons les outils nécessaires pour régler les problèmes. Brazzaville et Pointe-Noire disposent des Plans locaux d’urbanisme qui sont des outils de planification règlementaire. Commençons par appliquer ces outils de planification pour régler les problèmes.

Je suis convaincu que nous règlerons beaucoup de problèmes déjà. Il y a des érosions qui sont en sites occupés, il faut beaucoup de méthodologie et surtout de pédagogie pour régler ces problèmes. Dans les sites non occupés, il faut appliquer la règlementation pour éviter de vivre la même chose. Les propriétaires fonciers ne doivent pas faire la ville. Le principal acteur pour faire la ville, c’est l’architecte-urbanisme. Malheureusement nous constatons que les propriétaires fonciers vont chercher des gens au cadastre pour tracer et étendre la ville, même dans les zones inconstructibles. L’Etat doit intervenir et stopper tout cela. On ne peut pas être plus fort que l’Etat.

 

LDB : Des architectes sont de moins en moins consultés à cause des coûts élevés des prestations. Qu’en dites-vous ?

A B B : C’est une idée fausse. Les honoraires d’un architecte sont fonction de l’importance du projet architectural et fonction de la complexité de celui-ci. Par ailleurs, l’architecte applique une grille de tarification définie au pourcentage par rapport au coût du projet. Même dans ce cas, la négociation l’emporte toujours. Mais l’architecte est le meilleur partenaire de la construction. Se cacher derrière les honoraires de l’architecte pour ne pas respecter la loi est une aberration.

LDB : L'OAC joue le rôle de conseil technique du gouvernement. Quels types de relations entretenez-vous avec les pouvoirs publics dans le cadre de l’exercice de votre profession ?

A B B : Je suis conscient que notre rôle économique et culturel ne peut être envisagé de façon protectionniste. Tout ce que nous défendons et tout ce que nous proposons doit être restitué dans une perspective plus large que notre situation nationale. Notre leadership dans la maîtrise d’œuvre ne pourra être conservé que si, d’une part, nous nous battons pour obtenir une loi claire sur l’architecture qui protègera l’exercice de la profession dans notre pays, et d’autre part, si nous renforçons les structures de nos cabinets, agences et bureaux d’études en prenant conscience de la nécessité de la formation continue.

L’architecture est un enjeu de politique soumise en ces temps de raréfaction des fonds publics et de complication des procédures à de fortes pressions parfois antinomiques. Prenons un exemple : l’obtention d’un marché d’études en architecture relève dans notre pays d’un parcours de combattant. Aucune cellule des marchés publics ne respecte les règles du jeu. Le gagnant est connu d’avance, et les autres sont là pour meubler l’appel d’offres dans sa forme. Il nous appartient de nous organiser pour « mobiliser et sensibiliser », « innover et développer ». Ceci vise à affirmer l’importance de l’architecture et de la profession d’architecte dans l’économie de la construction sur le plan national.

LDB : Et pour terminer ?

A B B : Le potentiel, d’une part, des textes qu’il faut actualiser et des nouveaux textes à produire d’autre part, devraient mettre en place et en exécution la concrétisation des actions préconisées dans le vaste programme de « Ensemble, poursuivons la marche », cher à Son Excellence Monsieur le président de la République. Pour cela, les moyens humains et financiers sont d’une grande importance, d’où la nécessité de former davantage les cadres relevant des secteurs du bâtiment et des travaux publics et particulièrement les architectes, dont le nombre devient véritablement une préoccupation.

Parfait Wilfried Douniama

Légendes et crédits photo : 

Antoine Beli Bokolojoué/DR

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