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Lundi 3 Mars 2014 - 0:30

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Réfléchir sur le rôle de la femme dans la crise politique, tel est le but de ce témoignage. Ma tâche sera de répondre clairement à la question suivante : quels sont les rôles joués par les femmes pendant la crise ivoirienne et centrafricaine dont j’ai été le témoin ? Avant de répondre à cette question, il est important de souligner que la femme, par sa constitution, telle qu’elle est et paraît, a un statut de douceur

Marie-Noëlle Koyara, ministre d’État du Développement rural et de l’Agriculture en CentrafriqueCe statut fait d’elle un être qui ne cherche pas à conquérir le monde, ni à le dominer, mais à l’affiner. Ainsi, la femme répond à la solitude de l’homme qui est un être du dehors, de l’extérieur. Naturellement, elle est là pour humaniser l’essence masculine, adoucir la vie de l’homme, et rendre habitable son monde, un lieu de vie, de paix, de douceur, une terre natale.

J’étais en Côte d’Ivoire, en tant que représentante de la FAO quand la crise postélectorale de 2010 a éclaté. Ce qui nous intéresse ici, c’est le comportement des femmes ivoiriennes pendant cette crise. Malgré la situation difficile pendant laquelle les gens ne sortaient pas de leur maison, les femmes partaient aux champs en acceptant de parcourir à pied de longues distances pour ravitailler leurs foyers avec des produits champêtres. Il y avait toujours quelque chose à manger.

Ce fait témoigne bien que la Côte d’Ivoire, malgré la guerre, a su garder ses fondements en matière agricole. Bien qu’il y ait eu quelques carences de nourriture dans certains quartiers, les Ivoiriens n’ont pas connu la famine en tant que telle durant toute cette crise postélectorale. Ceci suppose qu’une bonne stratégie de l’agriculture peut sauver des vies humaines, même dans des situations de crise. On peut voir en cela que Félix Houphouët-Boigny, président fondateur de la Côte d’Ivoire avait compris l’importance de l’agriculture et en avait fait la promotion en son temps.

En plus de cette initiative du père fondateur de la Côte d’Ivoire, j’ai aussi remarqué que presque tous les fonctionnaires ivoiriens ont des champs, des fermes, de grandes plantations dans leur village. En clair, la Côte d’Ivoire est pour moi un des pays africains qui a réussi à faire de l’agriculture sa priorité, son moteur de développement. Et pourtant la Côte d’Ivoire a aussi du pétrole, de l’or, et bien d’autres richesses. Mais ce pays donne de l’importance à l’agriculture, perçue comme base du développement.

Comparativement à la Côte d’Ivoire, et sans accuser qui que ce soit, la crise centrafricaine pose plus de difficultés. Or à une certaine époque de l’histoire de la révolution verte en Afrique, quand on parlait de l’agriculture, on parlait de la Centrafrique et la Côte d’Ivoire. Que s’est-il passé ? Certes, nous avons des leçons à tirer afin de remettre en marche de bonnes stratégies agricoles. Il y a un choix à faire pour sortir le pays des difficultés qu’il traverse, étape par étape, domaine par domaine, en commençant prioritairement par le domaine de l’agriculture. Pourquoi l’agriculture ? Parce qu’avant même de réunir les gens, avant de les écouter et de dialoguer avec eux, il faut manger et surtout bien manger. C’est alors que le dialogue peut commencer avec l’autre.

Comprendre cette réalité de la vie, c’est aussi une manière de mettre en pratique cette déclaration de Jésus selon saint Matthieu : « Car j’avais faim, et vous ne m’avez pas donné à manger ; j’avais soif, et vous ne m’avez pas donné à boire » (Mt 25, 42-43). Cette parole est capitale pour moi. Parce qu’elle est une interpellation humano-divine qui doit motiver tout homme et toute femme de bonne volonté à être le gardien de son frère et de sa sœur afin que chacun trouve au moins de quoi manger.

En République centrafricaine, nous avons une bonne terre, nous avons de l’eau, les fondements sont là ; le minimum pour faire vivre toute une population est là. Il faut une volonté et du courage ; il faut mettre en place des stratégies dynamiques avec des résultats fixés dans le temps et dans l’espace. C’est difficile, mais c’est possible si l’on considère qu’on est ensemble pour le bien. Il faut que nos frères et sœurs se tiennent la main et se disent : il est temps que les choses changent en bien et pour le bonheur de tous, un bonheur partagé et entretenu par tous et par chacun de nous.

Je souhaite remettre l’agriculture centrafricaine à sa juste place et qu’elle devienne la source principale de richesse, d’emploi, d’alimentation et surtout source de paix et de joie d’être avec l’autre. En fait, celui qui a faim n’est pas libre, il peut être manipulé à tout moment. Si nous arrivons à développer l’agriculture, il y aura à manger, et si on mange bien, je pense qu’on pourra parler de paix, de réconciliation, de tranquillité, de justice, et de cohésion sociale au niveau national. Voilà mon témoignage et mon expérience au service de la vie humaine. C’est aussi un chemin de la non-violence. Parce que la femme est par nature un être non violent, un être de douceur.

Marie-Noëlle Koyara a 58 ans et est ingénieur agronome. Elle est actuellement ministre d’État du Développement rural et de l’Agriculture en Centrafrique, poste qu’elle aura aussi occupé sous Michel Djotodia. Marie-Noëlle Koyara a été la représentante de la FAO pendant seize ans en Côte d’Ivoire (pendant et après la crise), au Burkina-Faso et au Cap-Vert (pendant la crise). Avant la FAO, Marie-Noëlle Koyara a été ministre de l’Agriculture et de la Promotion rurale (1993-1996), puis ministre de la Promotion de la femme, en charge des actions sociales. Elle parle couramment sango, français, anglais et portugais. Elle est détentrice de plusieurs distinctions nationales et étrangères.

Marie-Noëlle Koraya

Légendes et crédits photo : 

Marie-Noëlle Koyara, ministre d’État du Développement rural et de l’Agriculture en Centrafrique ©DR