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Musique : les Atalakus et Vous

Samedi 21 Novembre 2020 - 16:30

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Initié par « Bana Odéon, orchestre folklorique de Kinshasa, et popularisé à l’aube des années 80, par l’orchestre Zaïko Langa-Langa, le phénomène Atalaku connait un véritable essor, depuis un certain temps.

 Né dans le sillage de la rumba, le phénomène a depuis pris de l’ampleur, conquérant progressivement d’autres genres musicaux, comme le soukouss, le zouglou, le zouk, l’afro pop.…Mais plus improbable encore, on le retrouve dans d’autres univers, tels que la politique ou la Sape. 

 Mais qui sont donc ces mousquetaires du maracas, devenus presque des figures imposées, dans l’orchestration de certains genres musicaux ?

Les Atalakus sont un genre particulier de chanteurs, qui ont pour métier de créer, d’amplifier ou d’« endiabler » l’ambiance, par la scansion de cris enjoués et arrimés à la musique, pour  en renforcer l’impact, par l’accélération du tempo. Telle la cravache sur le cheval, ils opèrent comme des stimuli d’adrénaline, dont le but est de survolter les émotions.

Le mot Atalaku découle de la contraction de l’expression kongo « tala eku », composé du verbe « tala » (qui signifie, regarde, conjugué à la première personne du présent de l’impératif), et de l’adverbe « eku » (qui signifie, ici). L’union des deux termes donnant : « regarde ici ». Dès lors, l’enjeu est clair : être le point de mire d’un espace donné, pour faire le faraud ou le paon. En kituba, langue véhiculaire parlée, principalement dans les deux Congo, on parlerait de matalana.

L’ancêtre de ce personnage est cet animateur extatique, qui s’illustrait jadis dans les groupes folkloriques Kongo, paré du ntsakala, instrument précurseur du maracas. A la manière de la mouche du coche des fables de La Fontaine, l’Atalaku va pousser les participants à un spectacle, à plus d’ardeur, à la sublimation, pour le rendre plus entrainant, plus explosif. A cette fin, il n’hésitera pas à user des louanges, évoquant ainsi, mutatis mutandis le « Ndjimi » des sociétés tékés, le « Ololo » des sociétés Mbochi, voire le griot d’Afrique de l’Ouest.

  1. Le « pyromane » des scènes

Souffler sur les braises de l’ambiance, telle est la principale mission des Atalakus, laquelle se distingue manifestement dans les « génériques » des opus, dont ils ouvrent souvent les plages.  Comme les lunes sur les marées, ils vont élever la pression, surtout dans la séquence la plus dansante des chansons, dite des « Sébènes ». Celle qui succède aux couplets et aux refrains, du moins dans la structuration classique de la rumba.

Dans cette phase à dominante instrumentale, les roucoulades de l’Atalaku apporteront cette touche humaine, la voix, si chère aux sociétés bantoues, encore marquées par l’oralité. Pour syncoper le rythme, en temps forts et temps faibles et garder la vivacité des sens, il va jouer des inflexions et embardées vocales, dont il a le secret, souvent avec la complicité de l’ensemble des instrumentistes, notamment du drummer et du soliste.

Dans Zaïko Langa-Langa par exemple, les deux premiers Atalakus, Nono Monzuluku et Bébé Manzeku-venus justement des Bana Odéon- œuvraient en triade avec les solistes Roxy, Béniko et les drummers Méridjo et Ilo Pablo. La même mécanique est aujourd’hui à l’œuvre dans l’orchestre Extra-Musica Nouvel Horizon, entre l’Atalaku Zaparo de Guerre, le drummer Ramatoulaye et le redoutable soliste Sonor Digital.

2. L’encenseur social

Depuis l’avènement du numérique, le disque « matériel » est tombé en désuétude. Cataclysmique, cette situation constitue un coup dur porté aux musiciens, en les privant d’une source majeure de revenus, de surcroit à un moment où les concerts qui auraient pu compenser la perte, sont frappés d’interdit, à cause de la pandémie de covid-19. Double peine ! Pris de court et à la gorge, mais fort heureusement opportunistes, les musiciens vont se mettre à exploiter le filon émergeant du panégyrique, de l’atalakulisme, pourrait-on dire. L’atalakulisme, désignant ce besoin de visibilité, observable dans les sociétés actuelles, de plus en plus sensibles à l’image. Ainsi, en politique par exemple, entendons-nous parler de l’Atalaku du pouvoir (l’apologiste du pouvoir).

Devenue attractive, la fonction a gagné ses lettres de noblesse. Jadis dévolue aux collaborateurs, tels qu’on les a connus par le passé : Toutou Kalondji, Dolce Parabolique, Ditutala, Djuna Mumbafu, Kila Mbongo… elle fait désormais saliver tout le monde, jusqu’aux leaders, dont certains en ont fait leur chasse gardée. De Roga-Roga à Koffi Olomidé, en passant par JB Mpiana ou Werrason…tous ont fini par y succomber. Lançant dans leurs chansons, comme dans leurs interventions médiatiques, des noms en cascade, exactement comme on jetterait les pierres. D’où le nom de « mabangas », pierres en lingala, donné à cette pratique. La rumeur prétend même que l’interdiction que Roga-Roga aurait infligée à ses musiciens de lancer de « ces précieuses pierres », pour s’en réserver l’exclusivité, serait le détonateur direct de l’hémorragie des musiciens, qui a abouti à la création de l’orchestre Extra-Musica Nouvel Horizon !

Telle une pieuvre, l’Atalaku ne cesse de s’étendre, dans l’ignorance totale de la barrière des espèces, atteignant jusqu’au dandysme ou la « Sape », tout aussi friands de paillettes que de lumière. A croire que l’étoffe a horreur du silence ! Comme semble l’indiquer le médiatique habilleur de la marque Connivence, Jocelyn Armel le Bachelor, qu’on présente comme un des leaders de la Sape, autant que du discours qui la valorise, le « nkelo », qu’on traduirait en français : joute oratoire.

 L’Afrique de l’ouest n’est pas en reste, avec par exemple le célèbre chanteur DJ Arafat, aujourd’hui disparu.   On y voit aussi émerger un nouveau genre de postulant à la célébrité : le faroteur, faro-faro. Mot nouchi (français argotique ivoirien), dérivant, sans doute de l’expression « faire le faraud », comme vu précédemment. Lui, veut impressionner par sa prodigalité ostentatoire. Ses théâtres d’opération favoris étant les boîtes de nuit et les fêtes, où il distribue avec éclats, des espèces sonnantes et trébuchantes, souvent sous les clameurs de la foule, emmenée par le disc-jockey, devenu Atalaku de circonstance. Ce phénomène existe aussi en France, dans certains milieux des jeunes, où cette exhibition s’appelle « faire la mala »

Tout compte fait, dans nos sociétés actuelles, où la communication et les apparences montent en puissance, la prise de la parole s’apparente de plus en plus à une prise du pouvoir. De ce fait, les Atalakus, dont le rôle se renforce au fil du temps, disposent d’un véritable potentiel de progrès. Cependant, sur ce chemin du progrès, ils devraient se souvenir de leur responsabilité sociale, en respectant une certaine éthique.

 

                                                               

Guy Francis Tsiehela

Edition: 

Édition Quotidienne (DB)

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