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Rien qu’un pan de Poto-Poto!

Samedi 10 Juin 2017 - 15:34

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C’est l'un des plus anciens quartiers populaires centraux de Brazzaville, fondé vers 1900 sur des marais peu salubres et la localité pré-coloniale d'Okila, sa commune fut créée et planifiée en 1911 par les administrateurs Latapie et Butel, avec plan en damier, caractéristique et lotissements modèles pour « Africains ». C’est le 31 décembre 1943, par arrêté n°2623 du gouverneur général de l’AEF, Félix EBOUE qu’il est érigé en  commune indigène.

Le vieux Poto-Poto, autour de la rue Mfoa, superbement évoqué par l’écrivain Tchicaya U Tam'si dans son roman « Ces fruits si doux de l’arbre à pain » comme  une immense zone de brassage des ethnies du Nord-Congo arrivées vers Brazzaville à la faveur de l'exode rural.  Poto-Poto est d’abord et avant tout une manière d’être, une ambiance, un croisement de cultures, et tout cela est fidèlement décrit dans le huitième roman d’Henri Lopes « Une enfant de Poto Poto ».

Etendu au nord du centre-ville pour être limité au nord-ouest par Moungali, tandis que Ouenzé  lui est frontalier au nord, au sud-ouest, il est mitoyen à Bacongo, en revanche au sud et à l’est, Poto-Poto est arrosé par les eaux du fleuve Congo. Il a une population environnante de 101.000 habitants avec une superficie de 900 ha.

Village de création administrative coloniale, il est né du regroupement des campements des travailleurs africains et des hameaux de la plaine, il a été alimenté par l’exode rural des populations riveraines du fleuve Congo, que les bateaux de l’administration coloniale, des missionnaires embarquaient en masse pour Brazzaville.

Dès la fin du XIXème siècle, ils ont accompagné Savorgnan de Brazza sur les rives du Pool et depuis, nombre de « Sénégalais » se sont établis au Congo et ne l'ont plus quitté. En effet, Pierre Savorgnan de Brazza prenait le bateau à Dakar et emmenait avec lui des « laptots » (militaires africains). Parmi ces derniers, des Sénégalais, certes, mais aussi des Maliens, des Guinéens et autres Ouest-Africains à l’instar de Camara Malamine qui avait quitté son village du Fouta sénégalais pour devenir marin, avant de s’engager à Saint-Louis dans le corps des laptots  et devenir le premier chef de poste du territoire Nkuna cédé par Makoko. Ce dernier mourut à Gorée, au Sénégal, en 1886 et la rue reliant la place de l’hôtel de ville à celle de la Poste centrale, au cœur de Brazzaville, porte son nom.

Au départ, les Sénégalais ont été installés autour de la mairie de la ville, qui n’était encore qu’un bourg. Ils ont ensuite été déplacés par l’administration coloniale près de la Maison d’arrêt (en lieu et place de l’actuel palais de justice, d’où le nom de « Dakar » donné à ses abords), puis dans l’arrondissement de Poto-Poto, dont ils seront les premiers habitants. En 1910, ils y construiront la première mosquée. Poto-Poto est alors surnommé le quartier des Sénégalais.

Au fur et à mesure de l’implantation coloniale française, les laptots vont céder la place aux gens de métiers, car il n’y avait pratiquement pas d’ouvriers au Congo, Il a donc fallu faire venir des maçons, des électriciens, des chauffeurs, des mécaniciens, etc.  Certains se sont installés à Pointe-Noire et se sont spécialisés dans la pêche. Quant aux Togolais et Dahoméens, surnommés Popos, la plupart à l’époque sont employés comme comptables par les compagnies concessionnaires, d’autres deviennent magistrats.

La vague migratoire qui a suivi est composée principalement de commerçants, attirés par la noix de cola présente au Congo, puis ils sont passés du négoce de la cola à celui d’autres denrées.

Quelques familles sortiront du lot, comme les Diop, dont sont issus un célèbre chef de quartier, Mamadou Diop, ainsi que le premier commerçant musulman à vendre du manioc de Kinkala sur les marchés de Brazzaville, Sidiki Diop. La famille Thiam se distingue elle aussi en introduisant la grande pêche fluviale et en créant le port de Yoro, à Brazzaville et la famille Diawara est connue pour avoir développé le commerce de la noix de cola dans les départements de la Likouala et de la Sangha.

À partir des années 1970, le lingala devient la langue parlée à Poto-Poto à la faveur du besoin pour les nouveaux arrivants, de personnel de maison, ils embauchèrent pour la plupart des Congolais de Kinshasa, qui à leur tour imposèrent le lingala aux patronnes.

Les Ouest-Af demeurent les rois incontestés de l’importation de produits manufacturés et du commerce de détail au Congo, ils en contrôlent toute la filière et disposent de centrales d’achat à Dubaï et en Chine, ont des agents au port de Pointe-Noire et se réunissent souvent en s’informant au quotidien de la concurrence et des prix pratiqués. Ils sont néanmoins aujourd’hui de plus en plus concurrencés par les Rwandais,  Camerounais, Nigérians, Congolais de Kinshasa, mais aussi les Chinois et Indiens.

La diversité a donné à Poto-Poto des grands traits d’affluence démographique, les appellations des rues témoignent de la composition ethnique très variée et très cosmopolite de ses premiers habitants à l’image de sa population d’environ actuelle. Mongo, Dahomey, Yaoundé, Bangalas, Haoussas, Kassaï, Banziris, Bakongo, etc…

L’un des intérêts du quartier Poto-Poto, c’est qu’il est particulièrement vivant, né d’un brassage de populations congolaises et africaines d’origines et d’ethnies diverses.

Poto-Poto, joyau architectural  c’est aussi un véritable patrimoine culturel qui permet sa visite sous tous les contours. L’on doit commencer sa découverte  par la basilique Sainte-Anne et ses jolies tuiles vertes inaugurée en 1949, sa silhouette élégante, construite dans un style qui mêle architecture européenne des années 1940 à celle des pratiques locales, tunnels en bambous du Mayombe, cases-obus en terre du Tchad… à côté du stade Félix-Éboué dont la superbe tribune monumentale est due au même architecte, Roger Erell, et de la partie la plus ancienne, autour du rond-point de la France-Libre, inauguré par Jacques Chirac en 1996.

Ses atouts culturel et artistique et même sportif se déclinent de plusieurs manières.  L’école de peinture de Poto-Poto, cette  grande case couverte d’un toit en tôle installée sur un terrain arboré, fondée en 1951 par le Français Pierre Lods, pour y rassembler les talents dont Jean Iloki et Eugène Malonga sont les initiateurs…: Jean Balou, Nicolas Ondongo, Félix Ossali, Marcel Gotène, François Thangol, Michel Hengo, Jacques Zigoma, Guy Léon Fylla … y ont développé leur art et rencontré pour certains une renommée internationale, à tel point qu’on parle d’un style de peinture de Poto-Poto, notamment celui des « Mikés » ou « Mikeys » qui signifie « petit » en lingala, qui se développe sous l'influence de Félix Ossali, le premier élève de Lods,  et cette école, s’est, si bien perpétuée, car imitée  dans toute l'Afrique et sa reconnaissance dépasse rapidement les frontières du Congo avec plusieurs distinctions.  

Certains monuments architecturaux perpétuent les vestiges précoloniaux comme la Cathédrale Sacré Cœur, le Cimetière Hollandais, , l’Hôtel de Ville, le Palais de Justice, la Poste Centrale, La Primature etc..,  et d’autres font la fierté de Poto-Poto à l’instar du Mémorial Pierre-Savorgnan- de Brazza et de la grande Fresque de l’Afrique en plein Centre ville.

L’on ne peut pas raconter l’histoire musicale du Congo Brazzaville et partant de Poto-Poto pendant la période coloniale sans parler d’artistes légendaires tels  Paul Kamba, Albert Loboko, Bernard Massamba « Lebel », où encore  Emmanuel-Joachim- Damongo-Dadet, Gabriel kakou, qui dès 1934 apprenait aux jeunes gens  à jouer de la guitare et créait ainsi les jalons de la rumba à son domicile familial de Poto-Poto, parmi tant d’autres.

Paul Kamba est le réel précurseur de la Rumba Congolaise, et son parcours musical est lié à la transformation de Brazzaville, cité d’histoire il est presque oublié par la nouvelle génération par manque de discographie. Albert Loboko est un grand musicien certes, mais aussi footballeur qui consacra ses meilleurs moments de loisir à la musique d’orchestre, en jouant de la guitare, du piano et du banjo, bien avant  Paul Kamba et les autres cités. En 1935, il crée le groupe musical « Bonne Espérance » que  rejoint par la suite Paul Kamba, avant d’assurer la  relève avec « Victoria Brazza » en d’Août 1941.

Notre cité de la diversité a également été le théâtre de dancing clubs et bars célèbres comme Chez Baker sur l’avenue de France, Gaité Brazza, Congo Zoba, Mouendo koko, Mon pays, Bankaites, Faignond en 1949…

 

Ferréol GASSACKYS

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Édition Quotidienne (DB)

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