Grazina : un récit du trainVendredi 14 Mars 2025 - 20:27 Dans le train qui l’amène en vacances en Allemagne démocratique, Grazina, une jeune fille lituanienne se retrouve seule dans la cabine d’un wagon lits face à Rex Mondo, un étudiant africain. Cette proximité aussi subite qu’inattendue de deux individus de genre, de race et de culture différents est un impondérable de voyage que Rex doit gérer tout en restant au–dessus du lot. 1- On était en été. Juillet avait commencé à dérouler son tapis de jours ensoleillés. Les candidats aux vacances se pressaient vers diverses directions de lieux de séjour. J’avais choisi de visiter Paris et m’étais retrouvé à la gare Varsovie-Baltique de Leningrad, dans la cohue des passagers qui avait pris ce train express. Ce voyage n’était pas le premier que j’effectuais sur cette ligne à destination de Paris ou de Berlin-Ouest. Le train express, un long convoi d’un attelage de wagons-lits, quittait la gare Varsovie-Baltique de Leningrad aux environs de 19 heures pour avaler de milliers de kilomètres avant d’atteindre la capitale française au bout d’un périple de trois nuits et trois jours. Voyager de Leningrad à Paris équivalait, sur le plan de la géographie, à faire une descente du Nord-Est de l’Europe, dans une contrée proche du climat polaire vers son Sud-Ouest, dans les parages tempérés de l’océan Atlantique. L’itinéraire emprunté traversait les forêts, les plaines et les steppes de la Russie, de la Lituanie, de la Biélorussie, de la Pologne, les deux Allemagnes, la Belgique et se terminait à la gare du Nord de Paris dans la matinée. Après un départ nocturne de Leningrad, les passagers retrouvaient la lumière du jour sur le territoire biélorusse, où ils traversaient la frontière à la ville de Grodno. Une deuxième nuit suivait avant d’atteindre Varsovie, la capitale polonaise, orthographiée Warszawa et prononcée Varchava par ses habitants. A l’aube du second jour, on pénétrait sur le territoire germanique avec la traversée de Francfort-sur-Order. Aux escales des deux Berlin, les temps d’arrêt étaient les plus importants de toute l’itinéraire. La dernière nuit de ce long voyage intervenait pendant la traversée d’une partie de l’Allemagne fédérale et de la Belgique. Le troisième jour, enfin, la ville de Jeumont au sortir de la frontière belge annonçait au voyageur la fin prochaine de son long périple avec l’arrivée dans la capitale française. Sur cette ligne comme sur la plupart des lignes soviétiques équipées des wagons-lits, deux types de voitures desservaient les usagers. Il y avait, d’une part, le wagon-lit soviétique et, d’autre part, le wagon-lit est-allemand. Toujours propres et entretenus avec soin, les deux types de wagons se différenciaient radicalement par la conception de l’intérieur de leurs cabines. La voiture soviétique proposait aux passagers quatre couchettes pliables superposées deux par deux, l’une au-dessus de l’autre, placées de chaque côté de l’entrée de la cabine. Au bout de l’espace formé entre les couchettes, sous la fenêtre d’aération, était fixée une petite table servant à différents usages des passagers. Les bagages étaient regroupés dans une fente pratiquée au-dessus de l’entrée de la cabine. Les conditions de voyage étaient satisfaisantes, voire confortables en termes de strict nécessaire. Les voitures sorties des ateliers de la ville de Karl Marx Stadt étaient conçues à partir d’une idée révolutionnaire de l’architecture d’un salon de train. Il s’agissait, ici, de proposer au passager, pour ne pas le dépayser, l’idée d’un salon domestique mobile avec des éléments de confort que cela suppose. Le voyageur se déplacerait avec l’impression d’être confortablement assis chez lui, à domicile. Suivant cette idée, les couchettes pliables superposées les unes sur les autres, réduites au nombre de trois, étaient placées d’un seul côté. L’espace ainsi libéré dessinait un vide circulaire dédié aux différents meubles de la cabine : miroir, table, toilette, lavabo, etc. Même la fente aux bagages au-dessus de la porte d’entrée se distinguait par son originalité. Mais le plus frappant dans la conception Est-allemande était certainement l’emploi d’une feuille de bois vernissée comme papier-mur à l’intérieur de la cabine comme sur les parois du couloir. L’éclat de cette feuille de bois vernissée achevait de rassurer le voyageur sur le confort qu’offrait cette voiture. J’avais pris place à bord d’une de ces voitures Est-allemandes dans la cabine n°6. Celle-ci se trouvait à l’arrière du wagon, en troisième position de l’entrée. Par un curieux concours de circonstances, j’étais le seul passager dans ma cabine. Il s’agissait d’un impondérable dû à la réservation des places par l’agence de voyage « Intourist » de Leningrad. Par expérience, je savais que si personne ne montait à la gare de Vilnius, j’étais assuré de voyager sans compagnon ou sans campagne de route jusqu’à Berlin-Ouest voire jusqu’à Paris. Les choses allaient bientôt changer. (A suivre)
François Ikkiya Ondaï Akiéra Notification:Non |