Les Dépêches de Brazzaville : Le fonds de dotation Sœur Marguerite œuvre pour intensifier l’enseignement primaire. Il met en avant des slogans comme « Instruire un enfant, c’est sauver un homme. Instruire la jeunesse, c’est sauver un peuple ». Avez-vous le sentiment que l’éducation en Afrique subsaharienne va dans ce sens depuis l’installation de l’École spéciale au Congo ?
Sœur Marguerite : Je suis arrivée au Congo à l’âge de 46 ans, à l’époque où Brazzaville comptait 300 000 habitants sur une population nationale de moins de 4 millions. Brazzaville était la capitale intellectuelle par excellence. Aujourd’hui, je suis triste, car on ne retrouve plus d’écoles de la trempe de l’École des cadres qui a formé l’élite africaine. Les jeunes ont perdu la soif d’apprendre et l’envie d’entretenir la structure mentale des anciens. Ils quittent la campagne pour venir grossir l’orphelinat mental dans les villes. Leurs distractions résident autour des films de violence, de la prostitution, de la dépravation des mœurs. De plus, l’enseignement est défavorisé : les professeurs sont mal payés, les classes comptent une moyenne de cent élèves. Le résultat ? Les cours deviennent irréguliers. Les élèves qui réussissent dans ces conditions sont considérés comme des génies. Non, vue du Congo, l’éducation doit jouir d’une large campagne de sensibilisation.
Quelle est la place des femmes dans le système éducatif ?
Parler de l’éducation avec au centre les femmes, cela me réjouit ! Pour les femmes, beaucoup de travail a été fait et elles savent en profiter, car elles sont détentrices d’un besoin non exprimé, mais sous-entendu. Elles sont avides de savoir et sont très intelligentes. Elles veulent apprendre à lire pour le bien de leur famille et faciliter le quotidien. N’ayez jamais de doute : les femmes congolaises sont très intelligentes, elles font preuve de bon sens. D’ailleurs, ce sont elles qui sont venues à nous lorsque nous avons ouvert l’École spéciale. Tout a commencé par la volonté de lire les chants à l’église dans le quartier du Plateau des 15-Ans. Mais il fallait apprendre à lire, compter et écrire. Et cela était considéré comme profane à l’église. C’est pour cela que nous avons créé un lieu d’alphabétisation en dehors de la paroisse. L’école a commencé avec ces mamans dont je garde un excellent souvenir, surtout lorsqu’elles découvraient que leur langage oral pouvait être écrit au tableau : « batekolo bani », littéralement « mes petits enfants ». Écrire une expression orale fait passer du concret à l’abstrait. La méthode gestuelle ouvrait les capacités d’instruction comme s’ouvre le printemps : tout renaît.
L’Afrique réussira-t-elle son développement en s’appuyant sur l’amélioration de la condition féminine ?
Le meilleur exemple, c’est l’actualité de la Centrafrique. Je suis contente que ce soit une femme qui hérite du lourd travail à faire dans ce pays en pleine dislocation. Hier, cela était vrai pour le Libéria. Le secret des femmes, c’est qu’elles voient la situation à court terme. L’important n’est pas de signer des accords pour l’an 2050, mais de donner à manger à tous, d’assurer l’éducation pour tous et de soigner ceux qui sont malades. Il est sûr qu’elles ont plus les pieds sur terre que les hommes… Mais bon, il faut bien de tout pour faire ce monde !
Comment assurer l’intégration après l’école ?
L’intégration après l’école est belle. En étant formé à l’École spéciale avec les sœurs de la Charité, les femmes civiles françaises, les étudiants bénévoles qui venaient dispenser des cours, il y a eu une vraie ouverture d’esprit et un beau mélange entre Congolaises et Françaises. L’intégration sociale a permis de ne pas avoir peur du Blanc. Ensuite, elle a permis aux femmes de se débrouiller toutes seules. Elles sont devenues autonomes pour pouvoir compter leurs récoltes, retrouver les services spécialisés à l’hôpital ; in fine, ouvrir et gérer leur propre commerce.
L’avenir des femmes, vous y croyez ?
Oui, évidemment ! Il y a deux sortes de femmes. Les femmes qui ont fait beaucoup d’études et qui s’en vont vers d’autres pays. Et les femmes qui se débrouillent grâce à la lecture et au calcul et qui s’occupent de leur famille. Ça, c’est le plus important. Car ces femmes n’ont pas qu’une vie. Elles sont à la fois mère, sœur, employée… Et c’est pour cela que les bases de l’école sont importantes. Ainsi, l’avenir des femmes et des hommes doit commencer dans l’instruction primaire qui en est le fondement principal.