Brice Owabira : « La question de la conservation des archives devrait être placée au centre de nos politiques de développement »

Lundi 1 Mai 2017 - 15:15

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La France et la République du Congo multiplient des contacts dans le domaine culturel, particulièrement dans la conservation des archives de l’Afrique équatoriale française (AEF). Pour en savoir plus, Les Dépêches de Brazzaville ont rencontré le directeur des archives nationales du Congo, Brice Isinove Owabira. Dans une interview, il fait l’état des lieux de sa structure, le partenariat avec les archives de France et surtout sur l'éventualité d'un rapatriement des archives du Congo se trouvant en France.

Les Dépêches de Brazzaville (LDB) :  Quel est l’état actuel des archives nationales ?

Brice Isinove Owabira (BIO) :  Dans l’ensemble le patrimoine archivistique du Congo est confronté à des difficultés qui se résument notamment par le manque des ressources humaines qualifiées et des structures adéquates devant permettre une conservation dans les conditions optimales de ce qui constitue la mémoire de la Nation. Dès notre arrivée à la direction des archives nationales, nous avions procédé à un état des lieux panoramique pour inventorier les problèmes inhérents à la gestion et à la conservation des archives au sein de cette structure mais aussi au niveau des services producteurs qui sont les administrations publiques et privées. Le résultat de cet inventaire nous a révélé que nombreux des gestionnaires d’archives dans nos administrations n’ont jamais bénéficié de formations requises dans la gestion des archives ; ce qui se traduit par la gestion chaotique des archives dans nos services administratifs avec des conséquences préjudiciables qui obligent nos administrations à la routine, souvent sans cadre référentiel sur la traçabilité des actions antérieures.    

LDB : Le Congo multiplie les contacts avec la France en ce qui concerne les archives ; qu’en est-il exactement ?

BIO : Comme vous le savez, le Congo, notre pays fut l’une des colonies de la France, et ce quasiment pendant un siècle. Ce lien séculaire que nous entretenons avec la France a généré la production d’une masse documentaire assez importante dont une partie reste conservée dans notre pays. Nos deux pays considèrent ces documents comme une mémoire partagée et c’est à ce titre que nous avions entrepris depuis l’année 2015, avec le concours des archives de France et l’Ambassade de France, une démarche visant à valoriser et mieux conserver ces documents historiques qui intéressent non seulement nos deux pays mais également les anciennes colonies de l’Afrique équatoriale française (AEF) dont le Gabon, le Tchad et la République centrafricaine. Dans un premier temps, nous avions avec l’assistance des experts français créé un lien virtuel pour permettre de rendre visibles ces documents qui sont restés longtemps dans l’oubli de la part des chercheurs, à contrario du fonds de l’Afrique équatoriale occidentale française (AEOF) conservé au Sénégal. Ce lien (www.http//archivescolonialesbrazzaville.wordpress.com) a permis aujourd’hui de mettre en orbite ce fonds qui attire quelques chercheurs internationaux qui viennent dans notre pays pour des séjours de recherche. La phase terminale de ce partenariat que nous voulons sceller davantage avec les archives de France est de nous accompagner dans la numérisation de ce fonds pour une conservation durable et pour en assurer une large diffusion.

LDB : Le Congo compte-t-il demander à la France de rapatrier ses archives à l’instar des autres pays africains comme le Benin ?

BIO : A ma connaissance, la sollicitation du Benin vis-à-vis de la France ne concerne pas les archives, mais les biens culturels. Et une telle sollicitation est souvent l’objet d’une longue procédure entre les deux parties, tout d’abord dans le cadre des instruments internationaux qui lient les deux pays et ensuite dans un cadre bilatéral qui peut aboutir à la mise en place d’une commission rogatoire pour étudier une telle question. En ce qui concerne le rapatriement des archives entre le Congo et la France, à ce jour aucun échange n’est à l’ordre du jour sur ce plan et si cela pouvait être le cas, il sera l’objet d’un accord consensuel conformément aux instruments internationaux édictés en la matière. Par ailleurs, une autre option du rapatriement qu’on pourrait négocier au cas où la nécessité s’impose avec les archives de France serait, de demander des copies numérisées de certains documents importants pour enrichir notre fonds d’archives.

LDB : Nous connaissons toutes les difficultés qu’il y a au niveau de vos services à conserver les archives ; quelles dispositions avez-vous prises ?  

BIO : Exactement notre environnement actuel de travail ne nous permet pas d’assumer pleinement les missions qui nous sont dévolues. Mais ces conditions loin d’estomper nos ardeurs, nous obligent à veiller à la conservation de ce patrimoine en utilisant les méthodes les plus usuelles dans la conservation à savoir ; l’entretien des locaux, le dépoussiérage, le recollement, le conditionnement des documents. Nous comptons sur la détermination et l’abnégation du ministre de la Culture et des arts qui se préoccupent de la construction du nouveau bâtiment devant offrir un meilleur cadre de travail pour la conservation de nos archives.

LDB : On parle souvent  de la numérisation des archives, où en est-on avec ce projet ?

BIO : Pour le moment nous envisageons faire une étude de ce fonds qui permettra de faire un constat d’état des documents, de sélectionner ceux qu'il faille  numériser, de procéder à la restauration pour ceux qui sont défectueux et au catalogage et enfin, évaluer la volumétrie des documents susceptibles d’être numérisés. Nous attendons le financement pour commencer ce travail avec l’assistance technique de nos collègues des archives de France. Ce n’est qu’à l’issue de cette étude que nous pouvons envisager la numérisation de ce fonds documentaire. Nous croyons à la mise en œuvre de ce projet qui fait partie de l’une des priorités de notre ministre de tutelle.

LDB : votre message de la fin

BIO : Je voudrais profiter de l’occasion pour attirer l’attention des pouvoirs publics d’accorder un intérêt particulier à la conservation de nos archives en l’intégrant dans les priorités du gouvernement. Car le développement d’un pays ne se résume pas uniquement à la simple croissance économique, ni au simple relèvement du revenu moyen par habitant mais constitue un processus global dont les multiples dimensions, économiques, sociales et culturelles s’influencent mutuellement. La question de la conservation des archives devrait être placée au centre de nos politiques de développement, car les archives sont des référents essentiels pour éclairer les actions et les décisions politiques, économiques et sociales.         

 

Bruno Okokana

Légendes et crédits photo : 

Photo 1 : le directeur des archives nationales, Brice Isinove Owabira Photo 2 : un échantillon des archives nationales du Congo conservées dans des conditions pas trop adéquates

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