Cap-Vert : Mario Lucio: ministre, musicien, écrivain et visionnaire

Mercredi 1 Juin 2016 - 11:53

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Chaque année au début du printemps, Praia la capitale du Cap-Vert accueille l'Atlantic Music Expo et le Créole Jazz Festival, deux événements majeurs de musique des deux rives de l'océan Atlantique. En 2012, le chanteur et écrivain capverdien Mario Lucio devenait ministre de la culture et lançait l’année d’après l’Atlantic Music Expo (AME), un grand projet pour la culture musicale de son pays. Au cours de la 4ème édition de ce festival, le ministre a signé un accord de coopération culturelle entre le Cap-Vert (pays d’Afrique de l’ouest) et les Îles Canaries (région d'Espagne).

Les Dépêches de Brazzaville : Qu’est-ce que ça vous inspire qu’un pays européen vienne s’inspirer de votre expérience ? 

Mario Lucio : Je préfère utiliser le mot « partage ». C'est vrai, c'est un moment symbolique. Mais si on regarde de près les Îles Canaries font partie de l'Europe mais en fait c’est une question politique car géographiquement nous sommes voisins sur l’océan atlantique. Il existe l'Otan (Organisation du traité de l'Atlantique Nord). Pourquoi pas aller chercher des points communs avec l'Afrique du Sud et Danemark et créer une « organisation culturelle de l'Atlantique » ?

LDB : Vous avez investi tellement d’énergie et de moyens pour cette quatrième édition de l'Atlantic Music Expo (AME). Quel bilan en faites-vous ?

ML : Ce n'est pas une question d'argent. Ici au Cap Vert si on devrait attendre après les ressources pour monter quelque chose on serait resté au XV siècle. Pour notre indépendance, le gouvernement du Portugal nous a fait un prêt en nous envoyant un avion plein de dollars pour payer le service public. Quelques mois plus tard un nouveau gouvernement a pris le pouvoir et à ce moment les caisses de l'Etat se sont retrouvées avec 130 $. C'est avec cette somme que nous avons commencé à construire un nouveau pays.

Quand l’idée de l’AME est née nous n’avions pas de budget, mais nous avions un projet et notre forte volonté. Nous avions commencé par chercher des partenaires et exposer à l’étranger l'idée d’une nouvelle économie culturelle. Car la culture c’est notre richesse.

Et la coopération avec le Luxembourg nous a fait gagner 75 000 euros pour 3 ans et c’est avec cette somme que nous avons commencé. Nous avons généré un chiffre d'affaires de un million d’euros pendant une semaine au cours de cette édition 2016 de l'AME et du Kriol Jazz Festival, notamment à travers les billets d'avion, les restaurants, les hébergements dans les hôtels, les locations de voitures, le transport, le matériel du plateau, les lumières, les billets d'entrée, etc.

 LDB : Quelle est la place de la culture dans l'économie du Cap Vert ?

ML : Elle occupe la deuxième après l'exportation du poisson. La vente de CD's et DVD's nous apporte deux millions d’euros chaque année. Et si on compte les droits d'auteurs, royalties, et les cachets des artistes c'est six millions d’euros. L'industrie culturelle fait 10% de notre produit intérieur brut ; C'est plus qu’aux USA, en Afrique du Sud ou en Irland. Quand j'ai raconté cela à des experts, personne ne m'a cru. Dans notre pays, avant d’arriver au concert, le public passe par les vendeurs de l'artisanat, de bière, du poisson, des instruments musicaux …Nous avons fait une étude selon laquelle pendant certains festivals les vendeurs font des recettes pour toute l'année pour nourrir leur famille.

LDB : Vous êtes un chanteur et écrivain, d’où vous est venue l’idée de l’AME ?

ML :C'est en fait une leçon de notre histoire ! Au XVe siècle notre pays n'existait pas. C'était un archipel de 9 îles volcaniques inhabitées. Ensuite c’est devenu une plateforme très importante dans le commerce des esclaves transatlantique. C'était un atout géographique, la position sur l'océan jouait un rôle décisif.

Après cette lointaine époque, quand le commerce des esclaves a pris fin, notre pays ne disposait d’aucune ressource naturelle, sauf la ressource humaine, nous-mêmes. Notre culture créole est notre richesse. C'est d'abord la musique puis le théâtre, le cinéma etc. C'était cela mon idée. Transformer une ancienne plateforme atlantique de commerce des esclaves à une plateforme atlantique d'exportation  de la musique.

QLDB : Quelle est votre définition de la culture créole ?

ML : C'est une identité acquise mais, une identité qui s’acquiert signifie que l’on doit s’ouvrir pour être créole. On ne peut pas imposer sa créolité. C’est pour cette raison que je ne parle pas de créolité mais de créolisation qui est un processus dynamique. D’ailleurs Édouard Glissant un des grands philosophes de la créolisation dit qu’ « un créole c'est un métis plus quelque chose. ». Je pense qu’un créole n'est pas nécessairement un métis.

Pour moi un créole c'est un être humain ouvert au monde avec toutes ses influences. C'est un état d'esprit, c'est une identité du futur.

Propos recueillis par Sasha Gankin

Légendes et crédits photo : 

Mario Lucio, Ministre de la culture du Cap-Vert

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